Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 17 Août 2023
Chronique 2 :
Alors que l'on attend, depuis plus de deux longues années, qu'elles publient les deux derniers volumes de la très chouette série It's My Life, les éditions Ototo ont décidé de lancer dans notre langue, depuis le mois dernier, la deuxième oeuvre de la carrière d'Imomushi Narita: Killing Me / Killing You, un nouveau récit aux inspirations fantasy que la mangaka a démarré au Japon dans le magazine Young Dragon Age des éditions Fujimi Shobo en 2017, donc parallèlement aux derniers chapitres d'Its My Life. Contrairement à It's My Life qui suivait un rythme plus ou moins hebdomadaire dans son magazine de prépublication, Killing Me / Killing You suit un rythme plus tranquille voire lent, et même assez erratique parfois: alors que les trois premiers volumes ont eu droit à un rythme annuel constant (octobre 2018, octobre 2019 et octobre 2020), le quatrième tome est quant à lui arrivé presque trois ans plus tard puisqu'il vient tout juste de sortir dans son pays d'origine le 9 août dernier. Espérons donc que, suite à la parution récente de ce 4e opus, l'oeuvre pourra ensuite reprendre un rythme un peu plus stable !
Killing Me / Killing You nous plonge dans un monde qui, dans un passé indéterminé, a connu un bien étrange et décisif événement, lorsqu'une pluie de météorites argentées s'est abattue en détraquant le monde, métamorphosant le physique de plusieurs êtres vivants et confinant la majorité des humains survivants à une certaine folie. La conséquence sur la dénommée Meteor, elle, a également été très surprenante: frappée dans son enfance par une de ces météorites qui est restée incrustée dans son front comme une sorte de corne, elle est, depuis, devenue immortelle. Ayant tracé sa route en solitaire au fil d'un temps dont elle a oublié la valeur, elle a fini par croiser la route d'un semblable: Youthanasia, non seulement immortel comme elle, mais en plus rendu si difforme qu'il préfère cacher son physique sous une longue capuche pour ne plus effrayer les autres. C'est ainsi que tous deux voyagent désormais ensemble avec un espoir, un objectif précis: trouver un moyen d'enfin en finir avec la vie...
Voici donc le récit de deux voyageurs immortels qui sont en quête d'un moyen de mourir, tant ils sont en partie épuisés et lassés par leur existence qui traîne depuis bien trop longtemps dans un monde détraqué et en perdition. Ce voyage, Imomushi Narita choisit de le narrer de manière assez linéaire pour l'instant, dans la mesure où, en gros, chaque chapitre va placer sur la route de ces deux-là une nouvelle rencontre importante. Ici, il dénichent un dragon dont on dit qu'il est porteur de mort et qui a choisi de continuer à vivre malgré sa très grande longévité. Là, il croisent la route d'un "gardien" d'un étrange labyrinthe dont on ne peut apparemment pas ressortir vivant, et découvrent en lui un homme qui a vu tous ses camarades du passé mourir pendant que lui restait là. Puis ils font halte dans l'habituation d'une mystérieuse humaine vivant avec des petites créatures pelucheuses et leur offrant tout le confort nécessaire, jusqu'à une issue aussi soudaine que surprenante.
Mais si ce schéma est classique, il va de soi qu'il n'est pas vain, puisque l'autrice a clairement à coeur de montrer l'importance que peuvent avoir ces rencontres pour chacun des personnages, et parce que ces rencontres en question lui permettent d'évoquer nombre de sujets propices à la réflexion. Evidemment, il y a en tête tout ce qui tourne autour de l'immortalité, cette chose dont tant de gens rêvent et qui peut pourtant finir par être vécue comme une véritable fardeau. Il sera ainsi question, entre autres, de la perte de la valeur du temps, de la perte des êtres chers au fil de ce temps qui s'écoule différemment pour des immortels, de la mémoire et des souvenirs qui s'amenuisent forcément au fil des décennies, des siècles ou des millénaires, de la solitude, du rapport biaisé à la vie et à la mort... Mais avec tout autant d'efficacité, Imomushi Narita se permet également diverses autres petites réflexions, par exemple sur la notion de normalité, ou encore sur la bêtise des humains qui ont tendance à rejeter d'emblée ce qui est inconnu ou différent (le dragon El Cielo et Youthanasia lui-même en sont de bons exemples).
Et s'il n'y a rien de forcément nouveau autour de ces thématiques, le charme opère facilement grâce à la manière qu'a Narita de dépeindre son histoire. On peut ainsi compter sur un attachant mélange de tons qui rappelle d'ailleurs pas mal It's My Life: la mangaka est capable d'alterner très facilement et rapidement entre une bonne dose d'humour (surtout grâce à Meteor qui se fait souvent mal dans des situations censées être mortelles), une atmosphère plus profonde teintée d'amertume ou de mélancolie (notamment quand Youthanasia se remémore des éléments de son passé, et celle qu'il aime et qu'il a peut-être envie de retrouver sans savoir si elle est encore vivante), et même de vrais élans de poésie. Egalement, l'oeuvre peut compter sur la patte bien reconnaissable de l'autrice, entre des designs bien pensés (Meteor avec sa corne, Youthanasia avec son physique difforme et emmitouflé, ou tout simplement les diverses créatures "détraquées" que l'on croise plus ou moins vite), de régulières silhouettes plus relâchées et chibi, et certains lieux bien imaginés (le labyrinthe en tête). Notons enfin que, là où chaque chapitre d'It's My Life avait un nom qui faisait référence à un morceau de musique metal (dont la mangaka est fan), cette fois-ci Narita a limité cet exercice au seul titre de la série, puisque "Killing Me / Killing You" est le nom d'un morceau du groupe de metal gothique finlandais Sentenced.
A l'arrivée, le charme opère facilement à la lecture de ce premier volume. Derrière un principe assez classique et des petites réflexions pas spécialement nouvelles, Imomushi Narita installe un univers prometteur et attachant autour de ses deux personnages principaux, et peut compte pour ça sur ses talents pour jouer sur différentes tonalités. On attendra alors avec intérêt la suite de ce voyage on ne peut plus prometteur.
Côté édition, c'est du tout bon pour Ototo. A l'extérieur, la jaquette reste très fidèle à l'originale japonaise jusque dans son logo-titre (et n'oubliez pas de la retirer pour découvrir quelques petit suppléments sur la couverture du livre). Et à l'intérieur, on a droit à quatre premières pages en couleurs nous offrant trois belles illustrations sur papier glacé, à un papier souple et opaque permettant une honorable qualité d'impression, à un lettrage propre de Jean-François Leyssène, et à une traduction appliquée de la part de Yoan Giraud.
Chronique 1 :
Imomushi Narita nous a déjà régalés de sa série "It's my Life", dont nous attendons toujours la suite aux éditions Ototo, plus de deux ans après la parution du neuvième volume. Un rythme assez difficile à concevoir sachant qu'il ne reste que deux tomes avant la conclusion de la série, même si on sait que l'éditeur a connu quelques soucis pour entretenir la cadence de certaines parutions.
Étonnamment, alors que nous sommes sans nouvelles de "It's my Life", Ototo choisit cet été 2023 pour lancer "Killing Me / Killing You", autre série de l'artiste qui compte à ce jour quatre opus. Celle-ci fut lancée en 2017 aux éditions Fujimi Shobo, via le magazine Young Dragon Age. D'avance, on espère que la sortie francophone de ce nouveau titre sera moins laborieuse que celle de l’œuvre précédente de l'autrice.
L'histoire est celle de Meteor et de Youthanasia, deux partenaires de voyage qui partagent une caractéristique commune : l'immortalité. Celle-ci fut provoquée par la chute de météorites argentées, un phénomène qui a marqué la planète de différentes manières. Privés de ceux qu'ils aimaient et condamnés à errer, les deux vagabonds explorent le monde en quête d'un seul but : la possibilité de mourir.
Après l'attendrissant et bucolique "It's my Life", la mangaka choisit d'explorer le genre de la fantasy avec une œuvre au leitmotiv bien différent. Contrairement au récit d'Astra et Noah, l'enjeu n'est pas la vie, mais bien la mort, un plot qui justifie à lui seul les multiples teintes qui imprègnent ce premier tome.
Sur un découpage classique et précis, où chaque chapitre correspond à une aventure et à une rencontre, "Killing Me / Killing You" joue le registre de la comédie, en entretenant un côté décomplexé qui rappelle parfois le manga précédent de Imomushi Narita. Il faut dire que Meteor et Youthanasia sont des protagonistes hauts en couleur, différents et complémentaires, donc les interactions bien piquées ne manquent jamais de donner de la couleur à l'ouvrage. Par cette simple construction de personnages, l'artiste parvient à créer une dynamique, et donc du rythme, entretenu par les différentes figures que tous deux seront amenés à rencontrer, d'un dragon à la sinistre réputation au vagabond enfermé dans une forteresse piégée, en passant par une mystérieuse donneuse de vie qui cache un tragique secret. Par cette force rythmique, "Killing Me / Killing You" nous happe sur ce premier volet. Mais c'est surtout par ses nuances que la lecture, déjà agréable, devient un vrai coup de cœur.
Par cette aventure, nos héros sont en quête du trépas. Si l'enjeu est souvent montré avec beaucoup d'humour, Imomushi Narita contrebalance cet aspect avec diverses notes allant du drame à la mélancolie. Chaque rencontre est synonyme d'une atmosphère différente, et chaque halte du binôme sera un moyen pour chacun des deux immortels de se questionner sur la notion d'existence dans un monstre sinistré par les chutes de météorites argentées. Dès lors, le manga devient un voyage initiatique et philosophique, où la notion de "Vie" vient constituer le véritable enjeu thématique. Le lecteur se questionne alors sur la possibilité que Meteor et Youthanasia puisent changer d'avis sur leur volonté de mourir, tout en savourant ces ambiances garnies des réflexions des protagonistes. Celles-ci n'arrivent jamais par hasard et viennent symboliser les couleurs du voyage des deux compagnons de route. Derrière l'humour apparent de ce premier volume se trouve donc une certaine beauté, magnifiée par le trait de la mangaka particulièrement habile dans toutes les représentations d'ambiance de l'ouvrage. Son trait paraît léger de prime abord, mais la narration vient apporter une poésie de manière à nous communiquer au mieux les diverses notes de ce début de série. Puis, les quelques illustrations couleur demeurent un régal, chose qu'on appréciait déjà dans "It's my Life", si bien que l'artiste mériterait bien son propre artbook.
Par son premier tome, "Killing Me / Killing You" nous happe sans mal, par le rythme de ses aventures, le charme de ses deux héros, et ses tons doux, insouciants et sensibles qui se dégagent au fil de ces péripéties parfois comiques, parfois tragiques, et toujours ancrées dans une idée de voyage initiatique. Pour les lecteurs conquis par "It's my Life", le charme opère sans mal. Quant aux autres, voilà l'occasion rêvée pour découvrir la patte d'Imomushi Narita !
Concernant l'édition, Ototo livre une jolie copie aux belles finitions. La traduction de Yoan Giraud est particulièrement habile dans la retranscription des diverses atmosphères, tandis que l'adaptation graphique et le lettrage de Jean-François Leyssène garantissent le confort de lecture.