Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 18 Octobre 2023
Shirogane et surtout Masaru on trouvé une véritable nouvelle famille auprès des membres du modeste cirque Nakamichi. Et maintenant que leur intégration au sein de la petite troupe est actée, la première étape visant à redonner ses lettres de noblesse au cirque peut commencer ! Pour ça, malgré le manque d'argent et de matériel, Masaru a un plan, et peut compter sur tous les membres du cirque pour préparer au mieux un spectacle avec les moyens du bord, dans un parc, sans chapiteau. Forcément, au premier abord, ça n'a pas les allures d'un cirque, alors parviendront-ils non seulement à attirer suffisamment de monde, mais aussi à maintenir leur intérêt en leur procurant un réel plaisir ?
Le début de ce cinquième volume est donc voué à cristalliser l'intégration réussie de Masaru et de Shirogane (mais aussi de Liselotte) à travers un spectacle de rue préparé soigneusement par le jeune garçon, et où le principal intérêt est évidemment de voir toute l'évolution acquise par la petite troupe alors que, quelque temps auparavant, elle était encore au bord du désespoir. Le tome précédent nous ayant laissé le temps d'acquérir une réelle empathie pour les différents nouveaux personnages, on prend naturellement plaisir à observer l'application du directeur Shinobu dans la musique, les talents fous de dresseuse de Liselotte, la compétence de Nori et Hiro dans leur domaine, sans oublier les multiples casquettes de Shirogane qui assure ainsi que le rôle essentiel de Masaru d'un bout à l'autre. N'oublions pas les quelques manigances des Mitsuushi père et fils pour récupérer Shirogane voire mettre la main aussi sur la mignonne Liselotte si possible, leurs magouilles amenant un certain humour au vu de leur dégaine, mais apportant aussi une bonne part d'improvisation qui anime de plus belle cette partie et qui teste merveilleusement la cohésion de la troupe ainsi que la place qu'a trouvée Masaru.
En somme, on a droit à une grosse cinquantaine de premières pages bien menées, soulignant en beauté l'intégration de nos héros dans la troupe Nakamichi, cette partie sur le cirque pouvant alors ensuite être mise de côté pour tout le reste de cet épais volume de plus de 300 pages afin de s'intéresser à des événements se déroulant bien loin de là. Des événements nous plongeant en France, tout d'abord à paris avant de passer par Quiberon et Carnac en Bretagne, et mettant en vedette un certain garçon amnésique qui, en attendant de recouvrer la mémoire, s'agite dans un costume de clown avec, quelque part au fond de son esprit, l'image mystérieuse d'un jeune enfant qui rit et d'une sublime fille aux yeux d'argent... A partir de là, autant prévenir celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore les événements de cette partie, ça va spoiler sévère. Certes, depuis tant d'années les événements sont normalement bien connus, et même l'illustration de couverture de ce tome spoile la chose, mais prévenons tout de même que si vous voulez être sûr de ne vous gâcher aucune surprise, ne lisez pas du tout la suite de cette chronique.
Dans l'arc "Lui" qui s'ouvre ici, il va de soi que le garçon amnésique n'est autre que notre cher Narumi, laissé pour mort avec un bras arraché lors de l'inoubliable fin du premier arc de la série. Comment s'est-il retrouvé à Paris ? Pourquoi a-t-il à nouveau un bras gauche ? Et, surtout, quel rôle sera le sien désormais ? Tandis que la mémoire lui revient petit à petit sans vraiment être complète, une bonne part des réponses à ces questions va arriver suffisamment vite par l'intermédiaire de celui qui l'a sauvé, Guy Rech, un jeune homme français à l'allure élégante et séductrice (aaah, les clichés sur les Français), certes, mais ayant aussi ses traits de caractère plus farfelus, et ayant surtout beaucoup de choses à révéler à notre héros, surtout autour d'une certaine guerre qui a lieu à l'abri des regards depuis deux siècles entre des automates et les shirogane, des humains qui doivent les détruire avec leurs talents de marionnettistes. A partir de là, c'est l'explosion d'informations. Que ce soit sur la façon dont les automates, après leur création par des procédés d'alchimie, n'ont jamais cessé de s'améliorer eux-mêmes pour ressembler parfaitement à des humains, jusqu'à leur épiderme et leurs articulations camouflées. Sur le but de ces automates (dont les noms font références à des personnages de la commedia dell'arte) avec leur "Cirque de Minuit" qui est forcément dangereux puisque leur fluide vital factice ne fonctionne qu'en étant alimenté par du sang humain. Sur l'obligation pour les shirogane de les détruire afin qu'ils ne tuent pas d'humains. Sur l'importance dans tout ça de l'aqua vitae (un nom mythique dans l'Histoire de l'alchimie) en tant qu'élixir capable de guérir toutes les maladies et d'insuffler une âme aux objets inanimés. Sur les origines des shirogane ainsi que la façon dont Guy en est lui-même devenu un. Ou encore sur le lien habile qu'a la maladie du zonapha avec tout ça.
La lecture est donc forcément dense, tant on découvre plein de choses. Et pourtant, on ne s'y perd jamais et on n'est jamais barbés. Non seulement, car Fujita a une science de la narration hors-normes qui lui permet de distiller toute ceci avec parcimonie et fluidité, si bien que l'on assimile tout d'emblée. Mais aussi parce que sa cohérence avec les événements des tomes précédents et bien là, les choses se reliant parfaitement. Et enfin car il anime le tout avec un excellent combat contre un automate sadique du nom de Flavio (dont on appréciera le design assez élaboré), combat à la fois intense dans ses rebondissements (d'autant plus que des enjeux forts viennent du besoin de sauver des enfants et leur enseignante qu'il retient en otages), bien orchestré dans son rendu visuel avec quelques élans plus violents, et formidable dans ce qu'il nous montre à nouveau sur Narumi: l'image toujours présente en lui du jeune garçon qu'il n'a pas pu sauver autrefois et de la fille aux yeux d'argent, son désir profond de sauver les enfants alors qu'au départ il ne veut pas se battre en tant que shirogane, les raisons profondes et tragique l'ayant poussé à apprendre le kung-fu et le motivant à toujours voler à la rescousse des gosses... On sent en permanence que Narumi est un parfait mélange de force et de sensibilité qui ne prend jamais la vie à la légère, et ça se ressent encore plus dans le final de cet affrontement où il y a, pour lui, le bonheur d'enfin réussir à sauver quelqu'un pour la première fois.
Avec cette partie, l'heure est donc bel et bien venue pour Karakuri Circus de pleinement redécoller, voire même pour Kazuhiro Fujita de réellement lancer son ambitieux scénario, lui qui a déjà montré tant d'excellentes choses dans les volumes précédentes. L'aventure aux multiples ressorts imaginée par l'auteur est désormais totalement en marche, et elle ne cessera quasiment pas de captiver par la suite.