Jigoku no senki – Le démon funeste Vol.1 - Actualité manga

Jigoku no senki – Le démon funeste Vol.1 : Critiques

Jigoku no Senki

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 29 Mars 2022

Depuis quelques années déjà, les éditions Black Box ont entrepris de mieux nous faire découvrir la bibliographie de Toshio Maeda, et on ne va clairement pas s'en plaindre, la carrière de l'artiste étant loin de se limiter à ses deux séries érotiques cultes Urotsukidoji (1986) et La Blue Girl (1992), avec quand même près d'une cinquantaine de récits conçus entre ses débuts en 1976 et 2000. C'est ainsi que l'éditeur a publié, en mai 2020, les trois volumes composant Jigoku no Senki, une série qui fait partie des toutes premières de la carrière du mangaka, en ayant été initialement publiée au Japon aux éditions Hôbunsha entre 1977 et 1981.

Notons que pour cette oeuvre, Maeda n'est qu'au dessin. Le scénario, lui fut l'un des premiers écrits de Shirô Azuma, un auteur également connu sous le nom de Hideo Nishiwaki, jusque-là inédit en France mais qui, depuis ses débuts en 1976, a signé au moins une quinzaine d'histoires dans des registres assez différents, allant du drame mature à la tranche de vie en passant par la boxe.

"Un enfant peut désirer la mort de son père, mais un père peut aller jusqu'au meurtre pour son enfant."

Telle pourrait être la ligne de conduite de Yajima, un homme dont la vie a complètement basculé suite à un drame. Autrefois inspecteur de police, il a arrêté ce travail pour passer dans "l'autre camp", en devenant assassin professionnel la nuit et chauffeur de taxi le jour. La principale raison de ce revirement ? Le besoin de subvenir aux frais d'hospitalisation de sa fille Maiko. En effet, tandis que cette dernière entrait à l'hôpital, sa femme Atsuko disparaissait avec ses économies. Il n'a donc plus rien à perdre, hormis son unique et précieuse enfant, qu'il est bien décidé à sauver, seule lueur d'espoir à laquelle il peut encore se raccrocher. Ainsi, quand le soleil bat son plein, le chauffeur de taxi bien sous tous rapports conduit ses clients ici et là dans la ville gangrénée par la corruption. Mais dès que la nuit tombe, cette même ville devient son "terrain de jeu" où, implacablement, il abat ses cibles.

L'oeuvre démarre sur un schéma on ne peut plus classique, où chaque nouveau chapitre (4 dans ce premier tome) donne globalement lieu à une nouvelle mission, quand ce n'est pas l'assassin qui se retrouve lui-même traqué comme dans la dernière histoire. Cela oblige donc les auteurs à reste plutôt brefs dans leurs premiers récits, et il s'agit sans doute là de la principale limite de ce début d'oeuvre: les premières affaires conclues par Yajima sont rapides voire plutôt expéditives sous certains angles, y compris dans la part d'action où Maeda doit souvent se limiter à quelques cases qui peuvent alors apparaître un peu basiques dans la mise en scène.

Et pourtant, grâce à bien d'autres éléments, ce premier tome parvient, peu à peu, à réellement happer, en premier lieu grâce au portrait particulièrement sombre et dur qui est fait de l'univers dans lequel évolue Yajima, à commencer par cette ville crasseuses, dangereuse dès que la nuit tombe, où il est tour à tour question de drogue, de prostitution, de pègre ou encore de marché noir. Quelque chose de pourri règne dans la cité... et c'est précisément ce qu'attaque Yajima la plupart du temps, notre assassin se confrontant généralement (mais pas uniquement) à ceux qui la dirigent dans l'ombre et en profitent: pontes de la finance, de la politique, haut-placés véreux... Et sans doute est-ce aussi une manière pour notre anti-héros, au-delà de simplement vouloir subvenir aux besoins de sa fille hospitalisée, d'évacuer toute la rage et la douleur qui peuvent être en lui. Yajima, sans doute rendu froid et calculateur par les duretés que lui ont imposé cette ville et son entourage, semble bien souvent haïr la corruption, les mensonges, la violence qui règnent et extérioriser ça comme il peut, ce qui en fait un héros noir et plutôt hard-boiled dans la plus pure tradition du genre. D'ailleurs, le statut de chauffeur de taxi du personnage principal ne serait-il pas un petit clin d'oeil à l'un des films les plus célébrés du genre, à savoir Taxi Driver, justement sorti l'année précédente ? Une chose est sûre: chaque chapitre semble devoir, à terme, nous plonger dans un univers toujours plus noir, toujours plus dur, chose que le dernier chapitre en particulier fait très bien ressentir par son issue tragique et enragée ainsi que par ce que l'on entrevoit de plus sur Yajima et son entourage

Jigoku no Senki se veut donc un récit sombre, très sombre même. Et pour porter ça, il faut bien avouer de Toshio Maeda livre un travail visuel d'orfèvre. Car malgré sa mise en scène très limitées des moments d'action, le trait en lui-même est d'une densité remarquable, entre les designs réalistes, le souci du détail, les décors urbains bien présents, l'encrage très insistant qui accentue en permanence l'ambiance noire, certains brefs élans de mise en scène bien plus ambitieux (le jeu avec les miroirs dans le dernier chapitre, cristallisant bien l'état d'esprit de Yajima à ce moment), ou simplement quelques cases frontales et assez explicites dans les scènes de mise à mort ou de sexe, sont autant de choses que Maeda maîtrise plutôt bien.

Sur ce premier volume, Jigoku no Senki est un titre que l'on a envie de ranger quelque part parmi certains dignes représentants des mangas noirs, que ce soit certains anciens récits de début de carrière de Ryôichi Ikegami ou certains récits de jeunesse de Jiro Taniguchi (en particulier Un Assassin à New York) entre beaucoup d'autres. Jusque dans certaines représentations qu'il serait éventuellement plus délicat de faire aujourd'hui, l'oeuvre est bien ancrée dans son époque (et doit évidemment être prise comme telle), une époque qui regorgeait de ce genre de récit noir (et pas uniquement dans le manga). Après les tout débuts un peu patauds, on se laisse facilement convaincre au rythme des pages, jusqu'à rester bien accrochés par le dernier chapitre qui donne follement envie de découvrir la suite.

L'édition française proposée par Blakc Box s'avère tout à fait honnête dans l'ensemble. Derrière une couverture originale donnant assez bien le ton, on a droit à un papier bien blanc, souple et sans transparence permettant une bonne qualité d'impression, à 16 premières pages en bichromie, à une traduction claire de momiNoki, et à un lettrage souvent standard mais propre de Cindy Bertet.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
14.25 20
Note de la rédaction