Jeunesse de Yoshio (la) - Actualité manga

Jeunesse de Yoshio (la) : Critiques Oeuvre de 1973 à 1974

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 30 Septembre 2021

La quatrième anthologie de Yoshiharu Tsuge chez les éditions Cornelius est sortie en septembre 2020 sous le titre de La jeunesse de Yoshio, nom faisant écho à la nouvelle phare de l’auteur qui conclut ce recueil. Il s’agit de l’une des histoires les plus célèbres de l’artiste, mais aussi de l’une des plus longues puisqu’elle a été publiée en trois épisodes dans le magazine Manga Sunday au cours du mois de novembre 1974. Et cela quand bien même l’auteur l’avait dessinée plus tôt dans l’année et qu’elle était vouée à sortir d’une seule traite. En plus de ce long récit, ce quatrième recueil contient six autres histoires parues entre 1973 et 1974.

Dans la lignée de l’histoire concluant La vis, c’est à dire en s’appuyant sur des faits vécus, les récits de cette nouvelle anthologie ont un goût amer de nostalgie. Yoshiharu Tsuge revient sur son passé, sur ce qu’il a vécu dans sa jeunesse et sur un monde qu’il semble chercher à retrouver en vain. S’il raconte le travail qu’il faisait durant son enfance dans L’atelier de galvanoplastie d'Ôba ou alors qu’il narre un épisode de vie qu’il partage avec Masaharu Endô (futur réalisateur de Maya l’abeille) dans À l’époque de la pension, c’est bien La jeunesse de Yoshio qui est le témoignage le plus passionnant concernant ses jeunes années. Il y retrace une période de sa vie, grâce à un avatar nommé sans trop de subtilité Yoshio Tsube, durant laquelle il est devenu assistant d’Akira Okada, alors qu’il était âgé de 18 ans. Un récit spontané et innocent, qui ne semble pas à sa place dans la bibliographie de l’auteur, se remémorant l’homme qu’il était avant de connaître des années de solitude et de crises d’angoisses. Période correspondant au déclin des librairies de prêt, assurant son seul revenu, et dont il parvient à se sortir grâce à l’invitation de Shirato Sanpei à publier dans le magazine d’avant-garde Garo ; des histoires que vous pouvez découvrir dans l’anthologie Le marais. D’ailleurs La jeunesse de Yoshio est également l’occasion pour l’auteur de revenir sur son désir de créer un manga plus artistique. Il y montre le jeune homme qu’il était mal à l’aise avec l’idée de dessiner du divertissement, de créer des scénarios et des histoires qui ont du sens. D’autant plus qu’il s’agissait d’une nécessité pour subvenir aux besoins de sa famille recomposée. L’auteur y exprime aussi son désir d’expérimenter dans le manga, pensant que ce serait bénéfique à la reconnaissance de ce média perçu encore à l’époque comme consommable et jetable, loin des autres arts. Il est cependant ramené à la réalité par son maître, qui le qualifie alors de rêveur... L’histoire nous montrera que, 10 ans après cet échange, Yoshiharu Tsuge est allé au bout de ses ambitions artistiques et a changé à jamais la face du manga.

Le mot d’ordre de ce recueil est donc la nostalgie, et elle ne se traduit pas forcément par des histoires se déroulant dans le passé. C’est le cas de Nostalgie, justement, mais aussi de L’auberge de la plaine désolée. Dans le premier de récit, l’auteur se rend compte que les temps ont changé en se rendant avec sa compagne dans une auberge qu’il avait déjà visité dans sa jeunesse et où travaille une femme avec qui il avait eu une relation charnelle. Son attrait pour cette femme, qui se fait sentir tout au long du récit jusqu’à se conclure par une tentative d’agression sexuelle, est une métaphore de la recherche d’un Japon qu’il a connu dans sa jeunesse et qui a aujourd’hui disparu. La seconde histoire quant à elle, le confronte à un homme qu’il aurait pu être, ce qui renvoie directement à sa carrière de mangaka, jusqu’à ce que son avatar fasse un angoissant rêve. Dans les deux histoires, c’est sa compagne, Maki Fujiwara, qui le ramène à la réalité. C’est comme si elle était un élément à la fois dérangeant et essentiel l’empêchant de trop s’égarer. Ce constat s’établit également dans Incident, alors que l’homme semble être le seul à comprendre la logique n’ayant pas le moindre sens d’un conducteur s’immolant, un décalage se crée avec la femme qui donne des directives rationnelles aux pompiers. Par ailleurs, toujours concernant Maki Fujiwara, il peut être important de noter que ses réactions et expressions aussi spontanées qu’innocentes ressemblent à celles de Yoshiharu Tsuge dans La jeunesse de Yoshio, avant que les années d’angoisses qu’il a passé dans des toilettes réaménagées à dessiner des mangas de divertissement ne le métamorphosent.

La nostalgie, ou du moins l’irrépressible besoin de courir après un Japon qui n’existe plus, est un sentiment que l’on retrouve également dans L’auberge du réalisme au moment où le personnage tombe sur la pension de ses rêves mais qu’il ne peut pas y dormir car il s’est déjà engagé avec une autre. Cependant, c’est loin d’être tout ce qu’il y a retenir de ce récit certes moins célèbre que La jeunesse de Yoshio mais qui est sans doute l’un des plus fascinants de toute la bibliographie de Yoshiharu Tsuge. On y suit un avatar de l’auteur tombant dans une auberge dont on ressent la pauvreté, l’insalubrité et même la maladie de la famille qui la tient. En monologue intérieur, le narrateur se dit alors que l’auberge est bien trop réaliste, à comprendre par là qu’elle représente la dureté du quotidien et qu’il veut y échapper car voir cela lui fait mal au cœur. Dans une conclusion magistrale et littéraire, Yoshiharu Tsuge met en cause son propre égoïsme comme si lui qui prenait en photo un travailleur pauvre sur la page titre de la nouvelle pour les besoins d’un manga, lui que le réel n’attristait plus mais finissait par énerver, méritait son sort de dormir dans cette auberge réaliste tant il s’est déconnecté de ce réel. Et il met également en relation sa propre expérience de vie avec celle des personnages. Que ce soit dans La jeunesse de Yoshio ou L’atelier de galvanoplastie d'Ôba, le lecteur se rend bien compte de la situation familiale de l’artiste et de la pauvreté dans laquelle il a grandi, et cela se reflète dans le mode de vie du foyer qui tient cette auberge ou même dans l’enfant dont le personnage principal se moque car il peine à lire un texte scolaire et surtout lourd de sens, ce qui renvoie pourtant au vécu de l’auteur qui a dû arrêter l’école jeune.

Après un constat d’échec sombre et frontal évoqué dans la série des Patrons au sein de l’anthologie La vis, Yoshiharu Tsuge revient donc sur sa vie et son art avec un sentiment de nostalgie. À travers les histoires racontées dans La jeunesse de Yoshio, il se remémore son passé et d’où il vient, quand il ne court pas après un Japon en train de disparaître ou ne se confronte pas à l’homme qu’il aurait pu être. En définitive, ce quatrième volet de l’anthologie consacrée à l’auteur est essentiel pour mieux comprendre un artiste dont le génie semble pourtant insaisissable.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
jojo81
18 20
Note de la rédaction