Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 23 Mai 2011
A 17 ans, il était un lycéen admiré de tous grâce à son altruisme, son humour, son intelligence et sa beauté ensorcelante. A 24 ans, il n'est plus que l'ombre de lui-même, une loque décomposée, malade, désintéressée de tout, au bord du gouffre. Comment Yôzô Oba, un homme qui semblait avoir absolument tout pour lui, a-t-il pu, en seulement quelques années, sombrer totalement au point de devenir une véritable épave ?
C'est ce que nous propose de découvrir le mangaka Usamaru Furuya, déjà connu en France pour des titres psychologiquement forts et dérangeants (le Cercle du Suicide, L'âge de déraison) ou un peu plus grand public (Tokyo magnitude huit), à travers cette adaptation personnelle du roman du célèbre écrivain Osamu Dazai, la Déchéance d'un homme, déjà adapté il y a peu en un film animé de grande qualité.
Dès les premières pages, on comprend que Je ne suis pas un homme ne ressemblera à aucun autre manga. Pour ouvrir son récit, Furuya choisit de se mettre lui-même en scène, cherchant de nouvelles idées de manga sur internet, et finissant par découvrir la page autobiographique d'un dénommé Yôzô Oba. Dès lors, le récit prend la voie de l'introspection en nous invitant à suivre l'histoire d'Oba du point de vue du principal concerné. C'est donc via l'esprit tourmenté du jeune homme que nous découvrons la vie faite de mensonges d'un esprit développé avec maestria.
Le début des choses narrées par Oba donnent le ton: affichant un visage de façade, il cache en réalité en lui un vide sentimental quasiment total, et, plutôt que de se confronter à la société, préfère jouer le rôle que celle-ci attend de lui, quitte à n'être qu'une vulgaire marionnette.
Pourtant, Oba ne pourra bientôt plus tenir ce rôle. Face aux actes de faux amis ou d'amis potentiellement vrais mais qu'il croit faux, il finit par se laisser entraîner dans la déchéance, s'éloignant du rôle que la société lui imposait. Il enchaîne les rencontres décevantes, les conquêtes sexuelles, les échecs professionnels et familiaux, en prenant toujours le tout de manière lointaine (exception faite d'une jeune femme, Papillon, qui, quelque part, lui ressemblait étrangement dans son malaise), remettant en cause le pouvoir tout puissant de l'argent et de l'hypocrisie de relations feintes au sein d'une société dont nous découvrons petit à petit quelques-uns des plus sombres aspects. Et de ce fait, c'est la lente chute du jeune homme que nous voyons se profiler.
L'ambiance générale est résolument malsaine, pessimiste, étouffante (le sentiment de voir Oba complètement enfermé dans une société d'où il ne peut fuir est saisissante), et saupoudrée d'une profonde pointe de cynisme portée par les réflexions d'un anti-héros qui perce littéralement les pages, tantôt fascinant, tantôt détestable. La plongée dans l'esprit d'Oba est d'une redoutable efficacité.
Pour porter en avant tout ceci, Furuya s'appuie sur un coup de crayon à tendance réaliste, qui ne cherche pas à en faire trop, mais l'auteur ne cherche pas non plus à cacher les choses, et enchaîne les représentations de situations assez dérangeantes. Les épais cadres noirs participent beaucoup à l'ambiance, une ambiance rendue encore plus étouffante et désespérée lorsque ce noir en vient à prendre possession de pages entières.
Très immersif et dérangeant, Je ne suis pas un homme est un titre face auquel il paraît difficile de rester de marbre, la plongée dans cet esprit marginal qui est celui de Yôzô Oba donnant beaucoup à réfléchir sur notre propre manière d'appréhender la société qui nous entoure.
Du côté de l'édition, Casterman nous offre un travail mettant pleinement en avant le travail graphique de l'auteur grâce à un très grand format et à une impression de qualité sur papier glacé. La traduction, quant à elle, est fluide, malgré quelques fautes de frappe. Enfin, on notera que le sens de lecture est occidental, ce qui, apparemment, serait du à une volonté du mangaka de faciliter une publication dans ce sens.