Innocent Vol.2 - Actualité manga
Innocent Vol.2 - Manga

Innocent Vol.2 : Critiques

Innocent

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 11 Avril 2016

Critique 1

Le bien trop jeune Charles-Henri Sanson se dresse comme un seul homme sur l’échafaud. Il fait face à la plèbe remplissant tristement la Place de Grève, laquelle arbore, pour l’occasion, les allures d’un étrange théâtre nauséabond. A ses pieds, gît un de ces condamnés auquel il doit être infligé la sentence de la décapitation : le glaive lugubre à la main et par frappes répétées en direction de la nuque. Le pauvre malheureux n’est autre que Jean de Chartois : l’ami intime de Charles-Henri, seul et unique compagnon. L’adolescent, exécuteur des hautes œuvres de Paris et serviteur du Roi, vacille : dérober la vie d’un être est une chose ; ôter l’âme de celui que l’on porte en son cœur en est une autre. Alors qu’il n’espérait lui faire le moindre mal, l’exécution deviendra paradoxalement l’endroit d’une boucherie à ciel ouvert : les effusions de sang soulèvent les foules, la tête du décapité est méconnaissable, Charles-Henri perd ses moyens et son père est forcé d’intervenir pour sauver ce qui pourra l’être : le baptême du feu devient un enfer. Le pur Charles-Henri d’autrefois n’est désormais décrié que comme l’un de ces monstres sadiques : apostrophé par une populace elle-même suffisamment morbide de bêtise afin de venir contempler le spectacle indigne.

Eu égard à cette cacophonie publique, la grand-mère et le père de Charles-Henri, lesquels règnent en maître sur le devenir de la charge familiale, méditent quant à l’opportunité du choix de celui-ci à la succession. L’auteur dépeint la haute tension animant les relations au sein de cette fratrie, à travers différents aspects de la vie des Sanson. Notamment, une pratique propre au premier du nom : la dissection des cadavres provenant de l’échafaud. Cependant, cela ne révulse que trop le vertueux Charles-Henri : il ne se sent pas vraiment à son aise et s’évanouit. Alors que le père se cherchera un nouveau successeur, Charles-Henri sera le siège d’une réflexion au plus profond de lui-même : s’il ne s’agira point en l’espèce d’un revirement dans la psychologie de ce protagoniste principal, il sera néanmoins assisté à une première inclinaison partielle ou plus précisément à une reconsidération de la pratique de son art : sans renier les valeurs qui lui sont intrinsèques, le jeune bourreau semble déterminer à embrasser, d’une certaine manière, sa destinée, afin de pouvoir, peut-être un jour, être celui qui en accompagnera les mutations nécessaires. Cet aiguillage existentiel se fera dans le cadre du rejet patriarcal et de la violence de la sexualité en tant qu’exécutoire de la procréation unilatérale en vue de le supplanter.

L’auteur poussera davantage loin les paradoxes entre le milieu social et la nature de l’individu, à travers un autre membre de la famille : Marie-Josèphe, la très jeune sœur cadette, une enfant, poupée à la main. Alors que l’angélique Charles-Henri est voué à la prestation de l’échafaud ; la cruelle Marie-Josèphe est à peine regardée par ses ascendants : elle qui semble d’ores et déjà, par ses aptitudes et contre toute attente, prédisposée à la tâche séculaire de lignage. Sakamoto-sensei avait justement ouvert la série sur celle-ci, en nous laissant apercevoir les déformations que pouvait produire un tel environnement familial sur la psychologie d’une très jeune enfant. En sus d’être couplé à une vision très nietzschéenne des faibles profondeurs de l’âme aux détours d’un prisme féminin. Bref, d’une précision analytique assez truculente de justesse et de sobriété. Ainsi, l’on peut apercevoir prendre forme un duo fédérant Charles-Henri et sa petite sœur : deux êtres aux sensibilités résolument opposées ; néanmoins réunis, par l’adversité, contre des ascendants orientés qui tirent, jusqu’à présent, les ficelles d’une torture qui n’a que trop duré.

Dans le dernier tiers de l’ouvrage, l’auteur s’attelle à dépeindre le contexte sociétal d’alors : l’Ancien Régime, la crise économique, l’insupportable misère des petites gens, les taxes spoliatrices, sa monarchie royale cannibale et ses trois strates sociales : le tiers état, le clergé et la noblesse. Un nouveau personnage viendra cristalliser l’ensemble, et pas n’importe lequel : Robert-François Damiens lui-même, le régicide : condamné à l’écartèlement pour s’être essayé à poignarder le Roi de France. L’auteur procède ici à une habile synthèse entre situations d’époque, personnages historiques et, de surcroît, une particularité de la famille Sanson : la médecine. Ils étaient réputés pour leurs diagnostics de santé à raison, notamment, de leur connaissance de l’anatomie. A juste titre, Shin’Ichi Sakamoto mettra l’accent sur le fait qu’ils octroyaient et facturaient les soins proportionnellement aux facultés contributives du malade : un pauvre pouvait ne rien avoir à débourser, alors qu’un aisé serait hautement sollicité financièrement. Egalement, notons que l’auteur s’est ici, avec une certaine habileté, arrogé certaines libertés sur la vie du régicide et sur son lien éventuel avec la famille Sanson.

Le dessin, assez incroyable, dépeint un XVIIIème siècle comme s’il eut été ressuscité entre nos mains ; et la gravité de la violence sera parfois magnifiée de métaphores, à l’instar de cette grenadine qui agonisera en lieu et place de la tête du condamné. Aussi, comme lors du précédent ouvrage, il sera livré un équilibre fin entre les sentiments romanesques et les réalités historiques, afin d’enrober l’ensemble d’une fluidité digne des plus grands conteurs. Décidément, la destinée démesurée de Charles-Henri Sanson ne cessera de fasciner davantage.

Critique 2

La première exécution publique de Charles est une véritable boucherie. Forcé de mettre à mort son unique ami, le jeune Sanson perd ses moyens face à une foule hypocrite qui le hue : elle est ici pour assister à une exécution « propre », pas à un carnage. Un début d'album éprouvant, mais puissant, tant émotionnellement que graphiquement.

Par la suite, on assiste à un revirement de personnalité nécessaire, mais beaucoup trop brusque de Charles-Henri. Face aux provocations de son père, le futur bourreau officiel de la couronne décide de se prendre en main et d'accepter sa mission avec professionnalisme, tout en nourrissant le désir ardent qu'un jour, la peine de mort puisse être abolie. Expéditive, cette partie du parcours de notre jeune héros aurait mérité de l'être moins, on aurait en effet apprécié un déroulement psychologique plus cohérent. S'ajoute à cela un portrait pour le moment maladroit de Marie-Josèphe Sanson, sœur cadette de Charles-Henri, dont la personnalité semble se limiter à une cruauté clinique sans borne.

Ces quelques maladresses passées, la dernière partie du volume repart sur de bonnes bases en revenant sur un événement historique majeur : la tentative de régicide de Robert-François Damiens. Une nouvelle épreuve pour Charles-Henri, à qui incombe la lourde tâche d'écarteler Damiens, personnage présenté ici comme un père dévoué et bafoué, victime symbolique des injustices sociales de l'époque. Dommage que le personnage soit davantage un outil pour servir un propos qu'un véritable individu.

Toujours aussi époustouflante, la patte graphique de Sakamoto confère un merveilleux souffle dramatique au récit, sauvant à lui seul une grande partie des maladresses de ce volume.

Toujours loin d'être parfait, ce second tome d'Innocent oscille entre forme sublime et fond trop caricatural. En attendant un volume trois qui promet d'être plus violent que jamais, il est encore difficile de se faire un véritable avis sur la nouvelle série de Sakamoto.

Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Luciole21

15 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs