Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 09 Août 2018
Critique 2
Est-ce son passage en France lors de la 15ième JE qui a inspiré l’auteur de Beelzebub ? Si pour le moment celui-ci n’explique pas son choix, il a en tout cas jeté son dévolu sur un personnage historique bien particulier, Maire-Thérèse de France, peu connue malgré son ascendance.
Bijogi Taiga vit dans un temple taoïste avec son père et sa grand-mère. Amoureux de sa voisine catholique, Sagiyama Anna, il ne parvient pas à concrétiser ses sentiments, leurs parents respectifs se vouant une haine farouche sous prétexte qu’ils ne pratiquent pas la même religion, et donc vont se piquer des croyants. Pourtant, un espoir lui apparaît lorsqu’il surprend Anna en train de pratiquer de la nécromancie en invoquant l’esprit de Marie-Thérèse Charlotte, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, et qu’elle lui demande sa coopération. Manque de chance, il accepte et la foudre s’abat sur lui alors qu’il se déclare enfin. Contre toute attente, il survit...pour se retrouver prisonnier du corps de l’illustre défunte. Et à elle d’hériter du corps de Taiga.
Le duo, qui partage désormais un même corps pour deux apparences, devra se montrer patient et inventif en attendant que chacun retrouve sa propre enveloppe charnelle.
Soyons honnêtes, les mangakas ont cette sorte de pouvoir qui est de prendre des personnages historiques et de les placer dans des situations totalement ubuesques. Que ce soit dans leur propre époque ou à la nôtre. Ici Tamura Ryuhei s’y essaye avec Marie-Thérèse Charlotte (MTC), un personnage que même nous autres français ne connaissons pas vraiment. Autant ses parents représentent toute une symbolique, autant ses frères et elle ne sont que leurs enfants. Du coup, on ne comprend pas vraiment un tel choix, et ce n’est pas l’aparté en milieu de manga qui va nous aider à y voir plus clair.
Avec un départ de scénario aussi barré, on retrouve ce qui a fait la saveur et le succès de Beelzebub. Les racailles sont toujours là, mais ce coup-ci le héros n’en fait pas partie, contrairement à son ami d’enfance qui est plutôt du genre sous-fifre et larbin. On y retrouve aussi de jolies filles et des membres de famille loufoques. Mais dans ce manga, il semble que l’amour de Taiga pour Anna soit tout aussi important que la quête qui les mènera lui et MTC à retrouver leur corps respectif. On est vraiment sur de la comédie romantique.
Cependant, est-ce que fantôme obsédé par la bouffe, pouvoirs nécromants et romance s’intègrent bien à cette histoire ? Eh bien pour être honnête, pas vraiment. Quand on termine la lecture de ce premier volume, on en ressort avec un sentiment très mitigé. On a plaisir à rire de la situation, mais ça paraît trop brouillon, avec des personnages pas forcément cohérents ou qui sortent de nulle part. Avec une prise de conscience des enjeux trop rapides et qui ne s’accordent pas forcément bien à la situation, ce qui aurait dû renforcer le ressort comique. Et le choix de MTC n’apparaît pas plus judicieux. On peut reconnaître l’originalité de celui-ci, mais pas plus.
Quant au dessin, il y a une certaine évolution avec des personnages plus lisses, des décors toujours détaillés, mais bien moins saturés, et quelques approximations anatomiques qui ne troublent pas la lecture. Si on devait véritablement émettre une critique, ce serait dans les similitudes physiques de certains personnages avec ceux de sa précédente série. Le père d’Anna a des airs d’Alain Delon (ce sont sans doute la moustache et la corpulence qui font ça), Taiga a le même air renfrogné que Tatsumi, Mamoru ressemble à Furuichi (le côté loser en plus visible) et bien d’autres encore. MTC, elle, arrive encore à s’éloigner un poil de Hilda, malgré le fait que l’auteur se moque de lui-même avec un petit dessin ou cette dernière fait remarquer leur ressemblance.
Pour ce qui est de l’édition, elle reste soignée, ce qui est toujours le cas chez Kazé quand il s’agit de série considérée comme « à fort potentiel commercial ».
Pour conclure, on peut espérer que le peu de volumes, quatre au total, rattrapera la déception de ce premier tome dont la mise en place du scénario est maladroite et brouillonne.
Critique 1
Ancien assistant de Toshiaki Iwashiro (l'auteur de Psyren), Ryûhei Tamura s'est amplement fait connaître avec sa première série-fleuve, Beelzebub. Démarrant sur les chapeaux de roue, cette longue comédie d'action en 28 tomes a également connu par la suite de gros coups de mou, mais dans l'ensemble les tribulations d'Oga et de Baby Beel furent très plaisantes, et on attendait donc avec intérêt de retrouver l'auteur sur une nouvelle série. Deux ans après la fin de Beelzebub au Japon, le mangaka est enfin revenu avec son nouveau projet, Hungry Mary, mais malheureusement l'expérience fut de courte durée puisque la série, faute de succès, s'est arrêtée après seulement 4 tomes en 2017. Une série courte dans le Shônen Jump, ce n'est pas forcément bon signe, et on espère donc que Hungry Marie s'offrira quand même quelque chose de potable. En attendant, cette courte série débarque en ce mois de juin en France chez Kazé Manga, et ses débuts s'avèrent plutôt prometteurs, car on y retrouve bien le ton développé par Tamura sur Beelzebub !
Enfant, Taiga Bijogi, en compagnie de son ami le frêle Mamoru, était plutôt un souffre-douleur pour les autres. Néanmoins, ça ne l'a pas empêché d'avoir le coup de foudre pour sa jeune voisine Anna Sagimiya... qu'il n'a jamais pu côtoyer depuis. En effet, le père d'Anna gère une église catholique, tandis que la grand-mère de Taiga gère un temple... En tant que voisins qui ont peur de se voir piquer l'un par l'autre leurs clients, ces deux-là se font cordialement la guerre, et ont interdit à leurs enfants de ne serait-ce que se parler. Six années ont passé depuis le coup de foudre, Taiga est devenu un as de la baston à force de pratiquer le kung-fu au temple... et il est toujours aussi amoureux d'Anna, qui ne lui répond même pas quand il lui dit timidement bonjour. Son histoire d'amour semble décidément impossible... à moins qu'un coup de pouce du destin s'en mêle ? C'est ce qu'il se dit d'abord quand, enfin, il peut adresser la parole à celle qu'il aime en la surprenant en train de... préparer un rituel de magie noire. Il s'avère qu'Anna et son père sont les descendants de serviteurs de Marie-Thérèse Charlotte, fille de Marie-Antoinette, et qu'ils cherchent tous les deux à ressusciter leur "maîtresse". Partageant désormais ce secret avec Anna, Taiga est aux anges quand l'élue de son coeur lui demande de "collaborer" et de la suivre chez elle... Seule petit hic: le père a prévu de faire de lui un sacrifice pour ressusciter Marie-Thérèse, à la place du blanc de poulet qu'il avait prévu de sacrifier au début (ouais, la vie de Taiga a beaucoup de valeur). Ça ne suffit pas à démonter le moral de Taiga: au sein de cette église, il a enfin l'occasion de se rapprocher d'Anna et de lui avouer ses sentiments ! Mais c'est précisément quand il lui déclare sa flamme que l'adolescent subit un autre type de "coup de foudre", et l'impensable se produit: à son réveil après l'incident, il est dans le corps de Marie-Thérèse ! La résurrection a donc à peu près fonctionné... "à peu près", car à cause de la foudre, l'esprit de Taiga est resté dans le corps de Marie-Thérèse. Et plus embêtant encore: dès qu'il a faim, son corps reprend l'apparence de Taiga... mais c'est l'esprit de Marie-Thérèse qui apparaît alors.
Vous l'aurez compris rien qu'avec ce pitch, Ryûhei Tamura n'a rien perdu de son humour assez décalé et un peu fumé, et il exploite bien la chose dans ce premier tome qui sonne surtout comme une sorte de mise en place. On découvre avec plaisir le caractère assez frappé de pas mal de personnages, comme le père d'Anna en adepte de magie noire (et dont la moustache rappelle Alindolon de Beelzebub), sa fille toute mignonne qui le suit dans ses délires, mais qui a désormais en tête la déclaration d'amour de Taiga (Taiga, lui, a tout oublié de cette déclaration quand il s'est pris le coup de foudre...), la grand-mère de notre héros qui est un peu une furie (et dont les nattes rappellent la cheffe des pirates dans Le Château dans le Ciel), ou encore Mamoru où l'auteur reprend sa figure d'ami loser et pathétique... Pas mal d'autres personnages apparaissent aussi dès ce tome, mais malheureusement ils restent pour l'instant peu marquants. Retenons quand même le même goût de l'auteur, comme dans Beelzebub, pour les racailles à la recherche de baston, mais ils sont plus secondaires que dans Beelzebub et leurs looks sont moins barrés, même si Tamura y distille quelques petites idées amusantes (après Alindolon dans Beelzebub qui était une référence idiote à Alain Delon, place ici aux frères Kanie, East et West, West étant évidemment une référence bête à Kanye West).
De manière générale, au-delà de sa palette de personnages autour de notre héro(ïne)s "deux en un", Tamura aime bien distiller son lot de petits clins d'oeil qui peuvent prêter à sourire. Mais l'essentiel passe pour l'instant surtout à travers les deux personnages centraux eux-mêmes ! L'idée de voir Taiga et Marie-Thérèse partager en quelque sorte un même corps où les esprits s'inversent (quand le corps de Taiga est là, c'est l'esprit de Marie-Thérèse qui l'occupe, et vice versa) fait vite ses preuves, car le corps de la princesse devient bien bourrin quand l'esprit de Taiga pète un câble. Quant à l'esprit de Marie-Thérèse qui occupe le corps de Taiga, il amuse surtout par sa méconnaissance de beaucoup d'éléments de notre époque (faisant alors passer Taiga pour bien des choses...), et par sa faim qui fait souvent irruption. Ça donne déjà plusieurs petites situations insolites, voire ubuesques, et on espère évidemment que l'humour fonctionnera tout aussi bien par la suite.
Et en filigranes bien sûr, Tamura n'oublie pas de poser quelques petits éléments scénaristiques, en plus de l'histoire d'amour contrariée de Taiga envers Anna. Notre héros pourra-t-il retrouver son corps normal un jour, qui plus est sans disparaître ? Qu'adviendra-t-il de Marie-Thérèse ? Qui sont les mystérieuses personnes qui viennent déjà lui tourner autour ?
Visuellement, le trait de Tamura n'a pas évolué depuis Beelzebub. C'est parfois un peu inégal, mais amplement suffisant pour une comédie de ce genre. Le dessinateur sait plutôt bien mettre en scène ses gags pour qu'ils aient de l'impact, et parvient souvent bien à jouer sur les expressions faciales rigolotes de ses personnages.
Dans l'ensemble, cette entrée en matière s'avère donc plutôt fun, et on y retrouve assez ce qui faisait le charme de Beelzebub (surtout à ses débuts), avec pas mal de gimmicks conservés par l'auteur, et ce qu'il faut de renouvellement. Entre son pitch de départ assez loufoque et plutôt bien exploité, sa galerie de personnages assez truculents pour certains, et certaines situations farfelues, Hungry Marie a ce qu'il faut pour amuser et divertir, le temps de 4 petits volumes.
Côté édition, on retrouve à la traduction Thibaud Desbief, qui avait déjà officié sur Beelzebub, et qui livre ici un travail tout aussi convaincant, assez dynamique et servant honnêtement l'humour. Pour le reste, on a droit au petit format shônen habituel de l'éditeur, avec un papier souple et une impression honnête. On saluera aussi le logotitre de la jaquette, qui est bien trouvé avec ses traces de morsure, même s'il peut paraître un peu trop grand en recouvrant une grosse partie de l'illustration.