Histoire des 3 Adolf (l') - Edition Prestige Vol.1 - Actualité manga
Histoire des 3 Adolf (l') - Edition Prestige Vol.1 - Manga

Histoire des 3 Adolf (l') - Edition Prestige Vol.1 : Critiques

Adolf ni tsugu

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 08 Janvier 2021

Osamu Tezuka est sans doute l'artiste le plus important qui soit côté manga. Un nom qui, s'il est connu dans l'imaginaire du plus grand nombre, n'est pas toujours synonyme d'expérience de lecture, l'un des facteurs en cause étant la difficulté de ses procurer les titres du légendaire mangaka, pendant une bonne période. Cet exemple d'ouvrages manquants est récurrent chez Delcourt/Tonkam, au point que bon nombre de séries de l'éditeur font la joie des spéculateurs les moins scrupuleux. Qu'à cela ne tienne, le cas Tezuka est suffisamment important pour que Delcourt / Tonkam ait nourrit une vraie réflexion autour des mangas du maître. Aussi, la boîte profita de l'année 2018, qui marqua l'anniversaire des 90 ans que l'artiste ne connaîtra jamais, pour créer une véritable collection hommage à Osamu Tezuka, une initiative qu'on ne peut que saluer, d'autant plus que ces « versions prestiges » forment de bien beaux objets.

C'est en juin 2018 que les premiers titres qui composent une collection toujours en cours ont été publiés. Les deux premiers sont parmi les plus importants et appréciés de la carrière de l'artiste qui fut incroyablement prolifique de son vivant : D'un côté, une intégrale d'Ayako incluant une fin jamais lue en France avant cette réédition, et de l'autre une nouvelle version de L'histoire des 3 Adolf, scindée en deux épais opus.

Dans cette œuvre publiée pour la première fois en 1983, c'est le récit de Sohei Togué que nous sommes amenés à suivre. En août 1936, ce journalise sportif couvrait les Jeux Olympiques de Berlin, une compétition qui faisait la fierté des compétiteur comme du Chancelier Hitler, Führer largement acclamé par son peuple. Cette expérience, d'abord assez festive, vire au drame quand Sohei reçoit un appel de son frère, Isao. Celui-ci veut le voir, car il détient des informations suffisamment importantes pour renverser Hitler. Mais avant que les deux frères puissent échanger face à face, Isao est assassiné. Meurtri, Sohei jure de découvrir la vérité sur la mort d'Isao, mais aussi sur le secret qu'il détenait. Une enquête qui le confrontera aux pires ignominies nazies qui teintent partiellement le Japon, et qui mettra en lumière au total trois Adolf : Le Chancelier allemand d'une part, mais aussi deux petits garçons qui vivent au Japon...

Véritable thriller historique et politique, L’histoire des 3 Adolf traite un contexte bien particulier, mémorable et pourtant pas si lointain : La montée du régime nazi et la Seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui, il peut sembler difficile d'aborder cette thématique sans tomber dans le surfait. Mais en 1983, Osamu Tezuka signait une histoire forte, dont la première moitié présente dans ce recueil révèle d'entrée de jeu une intrigue aussi intelligente que passionnante.

Tezuka a fait le choix de ne pas parler de la guerre en elle-même, ni même directement des déportations. Avant tout, le début de l'intrigue est l'aventure (si on peut l'appeler ainsi) de Sohei Togué, enquêtant sur la mort de son frère et allant de découverte en découverte, et d'escale en escale, pour honorer la mémoire de son défunt cadet. Si d'un côté il y a tout une dimension historique fascinante dans laquelle le mangaka parlait notamment de l'impact des relations franco-allemande, et ce qu'il advenait de l'idéologie d'Hitler au sein du Japon, on ne peut enlever au récit un côté road-trip, puisque l'investigation du protagoniste est une véritable épopée à travers le Japon, au cours de laquelle les ennemis comme les alliés et les histoires d'amour se succéderont. Ce focus sur Sohei constitue l'un des deux grands axes de l'intrigue et clairement le plus riche. Chaque étape du journaliste amène sa pierre à l'édifice, prenant tantôt des airs de thriller et tantôt une aura de course-poursuite, toujours dans l'idée de traiter la question sur les fameuses révélations que le frère du héros avait à lui faire. Le récit ne nous fait d'ailleurs pas tourner en bourrique inutilement puisque ces fameuses informations ne sont communiquées bien avant la fin de l'opus. Mais leur découverte ne semble être qu'un petit pas dans toute cette histoire dont l'enjeu n'est autre qu'Adolf Hitler en personne. Et en ce sens, conclure ce premier ouvrage sans avoir le second sous la main est une énorme frustration. Osamu Tezuka avait clairement le sens du rythme (et du découpage, ainsi difficile de dire que son style a mal vieilli bien que l'esthétique est marquée par son temps), rendant le tout prenant et addictif, nous laissant sur un fort suspense : Qu'adviendra-t-il des fameux documents auxquels s'accroche Sohei et qui pourraient causer le déclin du leader de l'Allemagne ? Une réponse qu'on aimerait forcément avoir rapidement.

Mais si le titre s'appelle « L'histoire des trois Adolf », c'est que d'autres personnages que le journaliste sportif occupent aussi une place prépondérante. Assez rapidement, nous rencontrons Adolf Kaufmann, fils d'un bureaucrate nazi influent, et Adolf Kamil, rejeton d'un boulanger juif, tous deux vivant au Japon. Si à première vue l'histoire des enfants semble être un véritable arc traitant la condition juive y compris au pays du Soleil Levant, le récit se révèle assez astucieux pour relier petit à petit cet axe narratif à l'histoire de Sohei. Au final, les deux segments d'histoire évoluent parallèlement, puis se croisent, pour de nouveau se rejoindre sur la toute fin. Un procédé ingénieux, et qui semble voué à prendre encore plus de sens dans le second et dernier tome.

En terme d'histoire, par son schéma comme ses personnages évoluant dans un contexte historique captivant, cette première partie est saisissante, intense, envoutante, mais aussi tragique par moment. De multiples ambiances que l'on doit aussi à tout ce que Tezuka traite dans cette œuvre, qu'il s'agisse du focus sur ces tensions d'un point de vue japonais, la question de la politique à l'époque au Japon, l'indépendance journalistique, la condition de la femme, et bien entendu la dictature nazie implantée de manière violente grâce à un culte de la personnalité présent à chaque coin de rue. Une densité d'écriture qui se mêle efficacement à un scénario sans temps mort, si bien qu'il paraît impossible de traiter toute la richesse de cette moitié d’œuvre en une simple chronique courte.

Et parce que toute la dimension historique du titre est particulièrement complexe, jouant notamment sur des événements mondiaux précis sachant que l'intrigue évolue dans les années et à grand renfort d'ellipses, on apprécie ces suppléments proposés, afin de resituer l’œuvre et son auteur, à travers des frises chronologiques ponctuelles d'une part, et une longue exégèse captivante que l'on doit au journaliste et éditeur Didier Pasamonik ainsi qu'à l'écrivain et critique Kôsei Ono, sans oublier l'agréable préface sur l'auteur par le traducteur Patrick Honnoré.

Enfin, un petit mot sur l'édition, d'une grande qualité. Delcourt/Tonkam a clairement souhaité saluer la mémoire d'un grand auteur avec ces ouvrages grands format, aux couvertures rigides, et à un papier d'une belle épaisseur qui ne laisse presque pas de place à la transparence, le tout profitant d'une reliure collée solide. Un très joli de pavé de plus de 610 pages donc, profitant d'une charte graphique sobre mais qui marquera efficacement l'ensemble de la collection. Si le prix de 29,95€ ne rend pas l'ouvrage possible pour toutes les bourses (ce qui rendra Osamu Tezuka encore moins accessible au plus jeune lectorat), le tarif proposé reste honnête étant donné le contenu, cette édition de L'histoire des trois Adolf n'étant pas le genre de titre qui se boucle en une petite heure ou deux, mais se savoure sur toute une après-midi.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs