Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 13 Décembre 2021
Après l'aventure magique de Secrets of Magical Stones, l'action steampunk de Lucja -A story of steam and steel- et l'anticipation d'ID-Invaded, la dernière nouveauté de 2021 des éditions Véga-Dupuis joue sur un créneau bien différent (renouant peut-être un peu plus avec les ambitions initiales de l'éditeur Véga avant son rachat par Dupuis), l'éditeur nous proposant de découvrir en librairies, depuis quelques jours, L'histoire de l'Empereur Akihito, un one-shot d'environ 200 pages, en grand format, et dont le titre français ne peut pas être plus clair.
Pour cet ouvrage historique dont les 8 chapitres (plus un prologue et un épilogue) furent initialement prépubliés au Japon en 2019 dans le magazine Post de Shôgakukan sous le titre Akihito Tennô Monogatari, on retrouve deux mangakas déjà bien connus, et placés sous la supervision de l'historien Hidetaka Shiba.
Au scénario, on trouve donc Issei Eifuku, moine bouddhiste et mangaka, ancien assistant de Taiyô Matsumoto avec qui il a travaillé sur l'excellent Le Samouraï Bambou (Eifuku fut d'ailleurs, pendant longtemps, le seul scénariste avec qui Matsumoto accepta de faire un manga qui n'ait pas été scénarisé par ses propres soins, et les deux hommes restent des amis proches), et qui n'en est pas à son coup d'essai dans le registre du manga "biographique": depuis 2017, là aussi sous la supervision de Hidetaka Shiba, mais avec Junichi Nôjô au dessin, et avec le nom de Kazutoshi Hando crédité pour l'oeuvre originale (décédé en janvier 2021, Hando était un historien spécialisé sur la Guerre du Pacifique), Eifuku planche sur Shouwa Tennou Monogatari, une série proposée en France par Delcourt/Tonkam sous le titre Empereur du Japon, dans une édition vraiment pas à la hauteur, entre le rythme de publication ridicule et l'absence totale de matériel informatif qui aurait dû être là pour contextualiser les choses auprès du public français, étant donné que cette série aborde la vie d'une figure historique très controversée en la personne de l'Empereur Hirohito.
Quant au dessin, il a été confié à Usamaru Furuya, brillant mangaka polymorphe qui, au fil de près de 30 ans de carrière, a su séduire autant dans le manga expérimental ultra-référencé (l'indispensable Palepoli) que dans le manga à connotation sociale (Le Cercle du Suicide, L'âge de déraison...), l'adaptation de roman bien marquée (Je ne suis pas un homme) ou même le shônen un brin atypique (Genkaku Picasso).
L'ouvrage ici présent a un objectif assez simple: présenter les grandes lignes du parcours d'Akihito, fils de l'empereur Hirohito, depuis son enfance et jusqu'à l'année 2019 où, au bout de 30 ans de règne, il put abdiquer et céder sa place à Naruhito à l'âge de 85 ans. Après une introduction en couleurs présentant le discours du 8 août 2016 où Akihito aborda pour la première fois à son peuple sa volonté de céder sa place, puis la mise en images de la date du 7 janvier 1989 où il fut sacré empereur suite à la mort de Hirohito, l'ouvrage suit généralement un déroulement chronologique des événements ayant fait la vie d'Akihito: ses premières années de vie où il fut séparé de ses parents dès l'âge de 3 ans pour développer ses aptitudes à régner sur le pays (selon les coutumes de la cour impériale), son enfance et son adolescence où même s'il fallait éviter les traitements de faveur il était considéré à part (déjeuners pris séparément, etc), devoirs publics à honorer dès cette époque en tant que futur "généralissime", manière dont il a suivi la 2nde Guerre mondiale depuis son statut d'enfant puis a été au coeur, en tant que futur empereur, des changements constitutionnels du pays suite à sa défaite en 1945, nouveautés en éducation apportées par ces changements, rencontre avec sa future épouse Michiko, etc, etc...
La liste pourrait encore être très longue, mais la chronique n'aurait aucun intérêt à énumérer bêtement toutes les étapes de la vie d'Akihito. Ce qu'il faut simplement retenir, c'est tout d'abord que l'oeuvre, en seulement 200 pages, se veut enrichissante sur cet homme: chaque étape est abordée vite et bien car clairement, et avec logique car faisant souvent écho à la position particulière de cet homme avant de devenir empereur puis une fois devenu empereur. On peut certes sentir que, parfois, le récit est lissé pour, en quelque sorte, ne retenir que le bon, mais ce n'est pas très dérangeant. Non seulement parce que la page de sommaire, au début du livre, précise bien que le manga contient partiellement des éléments fictifs bien que basé sur des faits réels, ce qui fait bien comprendre qu'il ne faut pas tout y prendre au pied de la lettre. Mais aussi car, contrairement à son père Hirohito (très souvent considéré comme criminel de guerre), Akihito est une personnalité beaucoup moins controversée, essentiellement parce que, suite à la défaite japonaise en 1945, la fonction d'empereur du Japon perdit tout rôle concret pour ne plus avoir qu'une fonction symbolique.
Et c'est précisément sur ce dernier point que ce mangaka est sûrement le plus intéressant, puisque l'un de ses partis-pris est assurément de souligner la fonction d'Akihito, en tant que tout premier empereur du Japon dont le rôle, du début jusqu'à la fin, fut purement symbolique, sans réel pouvoir. Les auteurs cherchent efficacement à interroger le rôle qu'Akihito a dû se chercher, tout au long de sa vie, pour le jour où il devint enfin empereur. Qu'est-ce qu'un empereur symbolique ? Comment doit-il être incarné ? Quelle place doit-il avoir auprès de son peuple, lui qui est vu comme le symbole de l'union de son pays mais est exclu des droits de l'homme, n'a pas de nom de famille ni d'acte de naissance ou de liberté de choisir sa voie ? La manière dont Akihito a alors pu se questionner sur sa fonction symbolique au fil de sa vie est sans doute un élément très bien traité dans ce manga, en soulignant le parcours d'un homme qui ne s'est jamais plaint, ne s'est jamais rebellé, semblait avoir bien conscience des choses, et a alors tâché, avec son épouse, d'incarner l'écoute du peuple et la volonté, à son échelle symbolique, d'aller dans le sens de la paix.
Sur le plan visuel, Usamaru Furuya nous montre ici une facette encore mal connue de son talent, cette fois-ci en tant que dessinateur de manga purement historique. Le dessinateur se devait forcément de mettre en images une telle histoire avec rigueur et sobriété, et c'est bien l'impression qu'il donne d'un bout à l'autre, avec un style très réaliste, qui certes aseptise parfois un peu sa patte habituellement si reconnaissable, mais où généralement on reconnaît pourtant assez bien ses visages.
Enfin, l'édition française est tout à fait satisfaisante dans l'ensemble, exception faite d'un papier certes souple mais fin au point de laisser apparaître de légers moirages. Le grand format 150x210mm est appréciable pour un ouvrage de ce type, tout comme la présence des 8 premières pages en couleurs imprimées sur papier glacé. La traduction de Satoko Fujimoto est claire et rigoureuse, le lettrage de Daphné Belt est propre, et la jaquette se veut sobre en restant proche de l'originale japonaise.
Pour cet ouvrage historique dont les 8 chapitres (plus un prologue et un épilogue) furent initialement prépubliés au Japon en 2019 dans le magazine Post de Shôgakukan sous le titre Akihito Tennô Monogatari, on retrouve deux mangakas déjà bien connus, et placés sous la supervision de l'historien Hidetaka Shiba.
Au scénario, on trouve donc Issei Eifuku, moine bouddhiste et mangaka, ancien assistant de Taiyô Matsumoto avec qui il a travaillé sur l'excellent Le Samouraï Bambou (Eifuku fut d'ailleurs, pendant longtemps, le seul scénariste avec qui Matsumoto accepta de faire un manga qui n'ait pas été scénarisé par ses propres soins, et les deux hommes restent des amis proches), et qui n'en est pas à son coup d'essai dans le registre du manga "biographique": depuis 2017, là aussi sous la supervision de Hidetaka Shiba, mais avec Junichi Nôjô au dessin, et avec le nom de Kazutoshi Hando crédité pour l'oeuvre originale (décédé en janvier 2021, Hando était un historien spécialisé sur la Guerre du Pacifique), Eifuku planche sur Shouwa Tennou Monogatari, une série proposée en France par Delcourt/Tonkam sous le titre Empereur du Japon, dans une édition vraiment pas à la hauteur, entre le rythme de publication ridicule et l'absence totale de matériel informatif qui aurait dû être là pour contextualiser les choses auprès du public français, étant donné que cette série aborde la vie d'une figure historique très controversée en la personne de l'Empereur Hirohito.
Quant au dessin, il a été confié à Usamaru Furuya, brillant mangaka polymorphe qui, au fil de près de 30 ans de carrière, a su séduire autant dans le manga expérimental ultra-référencé (l'indispensable Palepoli) que dans le manga à connotation sociale (Le Cercle du Suicide, L'âge de déraison...), l'adaptation de roman bien marquée (Je ne suis pas un homme) ou même le shônen un brin atypique (Genkaku Picasso).
L'ouvrage ici présent a un objectif assez simple: présenter les grandes lignes du parcours d'Akihito, fils de l'empereur Hirohito, depuis son enfance et jusqu'à l'année 2019 où, au bout de 30 ans de règne, il put abdiquer et céder sa place à Naruhito à l'âge de 85 ans. Après une introduction en couleurs présentant le discours du 8 août 2016 où Akihito aborda pour la première fois à son peuple sa volonté de céder sa place, puis la mise en images de la date du 7 janvier 1989 où il fut sacré empereur suite à la mort de Hirohito, l'ouvrage suit généralement un déroulement chronologique des événements ayant fait la vie d'Akihito: ses premières années de vie où il fut séparé de ses parents dès l'âge de 3 ans pour développer ses aptitudes à régner sur le pays (selon les coutumes de la cour impériale), son enfance et son adolescence où même s'il fallait éviter les traitements de faveur il était considéré à part (déjeuners pris séparément, etc), devoirs publics à honorer dès cette époque en tant que futur "généralissime", manière dont il a suivi la 2nde Guerre mondiale depuis son statut d'enfant puis a été au coeur, en tant que futur empereur, des changements constitutionnels du pays suite à sa défaite en 1945, nouveautés en éducation apportées par ces changements, rencontre avec sa future épouse Michiko, etc, etc...
La liste pourrait encore être très longue, mais la chronique n'aurait aucun intérêt à énumérer bêtement toutes les étapes de la vie d'Akihito. Ce qu'il faut simplement retenir, c'est tout d'abord que l'oeuvre, en seulement 200 pages, se veut enrichissante sur cet homme: chaque étape est abordée vite et bien car clairement, et avec logique car faisant souvent écho à la position particulière de cet homme avant de devenir empereur puis une fois devenu empereur. On peut certes sentir que, parfois, le récit est lissé pour, en quelque sorte, ne retenir que le bon, mais ce n'est pas très dérangeant. Non seulement parce que la page de sommaire, au début du livre, précise bien que le manga contient partiellement des éléments fictifs bien que basé sur des faits réels, ce qui fait bien comprendre qu'il ne faut pas tout y prendre au pied de la lettre. Mais aussi car, contrairement à son père Hirohito (très souvent considéré comme criminel de guerre), Akihito est une personnalité beaucoup moins controversée, essentiellement parce que, suite à la défaite japonaise en 1945, la fonction d'empereur du Japon perdit tout rôle concret pour ne plus avoir qu'une fonction symbolique.
Et c'est précisément sur ce dernier point que ce mangaka est sûrement le plus intéressant, puisque l'un de ses partis-pris est assurément de souligner la fonction d'Akihito, en tant que tout premier empereur du Japon dont le rôle, du début jusqu'à la fin, fut purement symbolique, sans réel pouvoir. Les auteurs cherchent efficacement à interroger le rôle qu'Akihito a dû se chercher, tout au long de sa vie, pour le jour où il devint enfin empereur. Qu'est-ce qu'un empereur symbolique ? Comment doit-il être incarné ? Quelle place doit-il avoir auprès de son peuple, lui qui est vu comme le symbole de l'union de son pays mais est exclu des droits de l'homme, n'a pas de nom de famille ni d'acte de naissance ou de liberté de choisir sa voie ? La manière dont Akihito a alors pu se questionner sur sa fonction symbolique au fil de sa vie est sans doute un élément très bien traité dans ce manga, en soulignant le parcours d'un homme qui ne s'est jamais plaint, ne s'est jamais rebellé, semblait avoir bien conscience des choses, et a alors tâché, avec son épouse, d'incarner l'écoute du peuple et la volonté, à son échelle symbolique, d'aller dans le sens de la paix.
Sur le plan visuel, Usamaru Furuya nous montre ici une facette encore mal connue de son talent, cette fois-ci en tant que dessinateur de manga purement historique. Le dessinateur se devait forcément de mettre en images une telle histoire avec rigueur et sobriété, et c'est bien l'impression qu'il donne d'un bout à l'autre, avec un style très réaliste, qui certes aseptise parfois un peu sa patte habituellement si reconnaissable, mais où généralement on reconnaît pourtant assez bien ses visages.
Enfin, l'édition française est tout à fait satisfaisante dans l'ensemble, exception faite d'un papier certes souple mais fin au point de laisser apparaître de légers moirages. Le grand format 150x210mm est appréciable pour un ouvrage de ce type, tout comme la présence des 8 premières pages en couleurs imprimées sur papier glacé. La traduction de Satoko Fujimoto est claire et rigoureuse, le lettrage de Daphné Belt est propre, et la jaquette se veut sobre en restant proche de l'originale japonaise.