Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 18 Novembre 2025

Ce mois de novembre voit les éditions Panini poursuivent à bon rythme, et pour notre plus grand plaisir, leur mise en avant de la grande Akimi Yoshida, après Le Sommeil d'Eve en juin, Lovers' Kiss en septembre et Kissho Tennyo en octobre, c'est La Cerisaie qui débarque, dans les standards de qualité habituels du format Perfect de l'éditeur : grand format, éléments en vernis sélectif sur la jaquette, impression soignée sur un papier souple, léger et assez opaque, traduction claire d'Akiko Indei et Pierre Fernande, lettrage propre d'Andrea Puglia, présence d'une préface d'Ariane Even pour recontextualiser un peu l'oeuvre et ses sujets, marque-page offert... sans oublier la présence de six pages en couleurs (dont une au début de chacun des quatre chapitres principaux).

De son nom original « Sakura no Sono » (dont le titre français est une traduction fidèle), cette œuvre a vu le jour au Japon en 1985-1986, à un moment majeur de la carrière de Yoshida puisque c'est aussi en 1985 que, en parallèle, elle se lança dans sa longue série culte Banana Fish. Petit signe particulier de La Cerisaie, il s'agit de l'unique œuvre que la mangaka propose dans le magazine Lala des éditions Hakusensha, elle qui reste généralement très fidèle aux éditions Shôgakukan (principalement via les magazine Betsucomi puis Flowers). Et contrairement à Banana Fish qui s'oriente vers l'action et le suspense sans pour autant perdre en sujets riches, l'oeuvre dont il est question ici, en seulement 170 pages environ pour un total de quatre chapitres, reste dans la pure tranche de vie scolaire en nous immisçant au cœur d'un lycée pour filles.

Ce lycée, nommé Ôka, est un lieu qui paraîtrait presque hors du temps et coupé du reste du monde, en étant situé sur une colline entourée d'une centaine de cerisiers, et en restant très ancré dans ses traditions, parmi lesquelles les obligations de saluer l'édifice chaque jour en le quittant et, pour le club de théâtre, d'interpréter chaque année, pour l'anniversaire de l'établissement, la même pièce, à savoir « La Cerisaie » d'Anton Tchékhov.

Des débuts des répétitions de la pièce jusqu'à l'imminence de son interprétation, ce manga nous propose de suivre quelques semaines de la vie de certaines adolescentes du club de théâtre ou de leur entourage, qui vivent toutes, de façon différente, cette étape charnière de leur jeunesse. Dans une tonalité chorale qu'elle avait aussi brillamment exploitée dans Lovers' Kiss, Yoshida focalise chacun des quatre chapitres sur une élève en particulier, même si toutes ses héroïnes s'entrecroisent et tissent des liens au fil des chapitres.

Il y a Atsuko Nakano, qui sort depuis déjà un an avec le gentil Shin d'un lycée voisin, qui n'ose pas encore franchir avec lui l'étape suivante de leur relation de couple, et qui observe une forme de mélancolie et de nostalgie chez sa grande sœur qui va bientôt se marier avec un homme qui n'est pas son premier amour.
Puis il y a Noriko Sugiyama, jeune fille qualifiée de « rebelle » par les adolescentes les plus sages et qui se retrouve même parfois comme cible de rumeurs vraiment pas flatteuses, simplement parce qu'elle ose être plus libre et passer du temps avec des garçons. Pourtant, derrière l'étiquette, elle ne fait rien qui pourrait être considéré comme répréhensible, et refuse même l'idée d'être le « jouet » du moindre mec.
Ensuite, il y a Yuko Shimizu, la présidente du club de théâtre, qui traîne depuis longtemps derrière elle l'image typique et clichée de la fille toujours calme, obéissante et sérieuse, si bien que ses camarades mettent naturellement une sorte de distance avec elle, en ne l'appelant même pas par son prénom. Pourtant, est-ce ce à quoi elle aspire, elle à qui on n'a jamais dit qu'elle était mignonne ou adorable ?
Enfin, il y a Chiyoko Kurata qui, avec sa grande taille et ses cheveux courts, est l'égérie du club pour les rôles masculins. Pourtant, elle aussi aimerait qu'on la trouve plus féminine, et cette situation la complexe d'autant plus qu'en prenant de l'âge sa poitrine a beaucoup grossi, ce qui attire certes de regards nouveaux sur elle mais pas forcément comme elle le souhaiterait.

Il y a celles qui vivent plutôt bien leur vie scolaire exclusivement féminine quand d'autres aspirent à déjà élargir leurs horizons, tout comme il y a celles qui apprécient les traditions du lycée quand d'autres les trouvent complètement dépassées et ridicules, ou encore celles qui sont admiratives face à la centaine de cerisiers entourant l'école quand d'autres ressentent une sensation d'étouffement devant ceux-ci. Mais dans tous les cas, au-delà de leurs petites différences respectives, Akimi Yoshida dépeint avant tout des héroïnes qui sont toutes marquées par des choses assez similaires. Tout d'abord, le regard que la société peut porter sur elle ainsi que la place qu'elle veut leur donner, place pouvant être étouffante quand, par exemple, les traditions veulent les garder dans le moule et que les adultes leur font une leçon assez vomitive sur certaines choses (une jeune fille qui fume est vouée à devenir p*te, mais bien sûr). Ensuite, l'acceptation d'elles-mêmes qui n'est pas toujours évidente puisque, précisément, elles aimeraient aussi qu'on les considère différemment de l'image qu'elles renvoient, au-delà des premières apparences. Puis, les choses qu'impliquent naturellement leur puberté, à commencer par leurs règles qu'elles ont pu vivre très différemment selon les cas et, surtout, selon le regard que leur entourage peut poser dessus, au risque de les enfermer de plus belle dans un basique statut de femme et/ou de bien trop les sexualiser. Et enfin, leur éveil amoureux, là aussi tout naturel à leur âge, et que chacune vit différemment (certaines sont déjà en couple, d'autres non) avec ce que ça implique aussi en termes d'éveil à leur sexualité et de découverte de leur orientation sexuelle.

Du fait de la brièveté de l'oeuvre, chaque aspect reste succinctement mis en scène par la mangaka, mais à chaque fois elle sait y dégager beaucoup de choses grâce à sa subtilité d'écriture où elle tape juste sans avoir besoin de rallonges, et avec toujours l'idée qu'il est évidemment nécessaire de laisser ces jeunes filles s'émanciper à leur manière, ce qui n'est pas forcément aisée dans une société qui reste assez castratrice et patriarcale à bien des égards. La magie supplémentaire de la mangaka est toutefois, peut-être, d'enrober tout ceci par une part de poésie et de symbolisme dont la pièce de Tchékhov, en tant qu'élément récurrent, est le meilleur représentant, plus encore quand l'histoire et les sujets de cette pièce font écho à ce que les héroïnes vivent.

C'est donc un lecture assez courte mais très réussie que nous offre à nouveau Akimi Yoshida, la mangaka mettant encore l'efficacité de son écriture au service de thématiques importantes et récurrentes dans sa bibliographie. N'oubliez pas, également, de lire l'histoire courte de 45 pages venant compléter l'ouvrage, celle-ci se révélant elle aussi assez plaisante et pertinente en se centrant sur les quelques doutes que peut avoir l'héroïne, une femme mariée, dans son couple banal et sans histoire.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction