Hiroki Endo - Histoires courtes - Intégrale - Actualité manga

Hiroki Endo - Histoires courtes - Intégrale : Critiques

Endo Hiroki Tanpenshu

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 21 Octobre 2022

Longtemps considéré comme un prodige par une niche de fans en France, Hiroki Endo n'a, pourtant, pas forcément tout de suite rencontré la notoriété qu'il méritait. Mais les choses ont commencé à changer depuis l'année dernière puisque les éditions Panini, éditeur historique de l'auteur en France, a décidé de le remettre en avant. Cela a commencé avec le retour de son oeuvre phare, l'absolument incontournable Eden, dans une Perfect Edition fort jolie qui a pris fin la semaine dernière. Et c'est le même jour que Panini a choisi d'offrir une intégrale, là aussi en format Perfect, des excellentissimes Histoires courtes du mangaka. Et comme si ça ne suffisait pas, c'est même à une triple actualité qu'Endo a eu droit le 12 octobre avec le retour d'All Rounder Meguru, une série que Panini avait abandonnée il y a plusieurs années après seulement trois tomes, mais ce coup-ci chez Pika Edition sous le titre MMA - Mixed Martial Artists.

En ce qui concerne les histoires courtes constituant le joli pavé de plus de 450 pages qui nous intéresse ici, elles furent publiées une première fois en France par Panini en 2003-2004 sous le nom Nouvelles d'Hiroki Endo, dans une édition souffrant des tares de son époque: sens de lecture occidental avec des pages tout simplement inversées, traduction pataude, lettrage dépassé, et même censure de certaines scène de sexe jugées trop explicites (et explicites, elles le sont bel et bien, comprendre par-là qu'on voit quasiment tout sans la censure)... bref, une catastrophe ne rendant pas honneur au travail d'Endo, pour lequel il était donc plus que temps d'offrir une toute nouvelle édition. Et pour cette intégrale, fort heureusement Panini a tâché de très bien faire les choses cette fois-ci. Ainsi, on a droit à un grand format similaire à celui de la Perfect Edition d'Eden pour une cohérence totale en plus de rendre honneur au gros travail visuel du mangaka, à une première page en couleur sur papier glacé, à une très bonne qualité de papier et d'impression, à un contenu intégral sans la moindre censure, à une préface, aux deux postfaces d'origine de l'auteur, à une traduction entièrement refaite par Guillaume Mistrot pour un résultat bien plus convaincant, à un lettrage plus moderne et propre de la part de Tatiana Bonora, et à une jolie jaquette dotée d'un vernis sélectif et reprenant sur ses deux faces les illustrations ornant les deux tomes de la première édition.

Originellement compilées au Japon sous la forme de deux tomes parus respectivement en 1998 (à l'époque où l'auteur commençait son futur succès Eden) et en 2002, les six histoires courtes (plus un petit récit bonus de 6 pages) composant ce gros tome sont de longueur variable en pouvant aller d'environ 35 à environ 120 pages, et sont capables de s'ancrer dans des registres assez différents. Ici, un yakuza pourchassé et très affaibli est sauvé par une étonnante jeune fille orpheline vivant avec une horde de corbeaux qu'elle comprend parfaitement. Là, une adolescente vue comme calme et discrète renferme en réalité en elle les traumatismes de sa situation familiale qui menacent de ressortir et d'éclater à tout moment. Puis l'on suit une surprenant troupe de théâtre étudiante portant de nombreuses réflexions, un trio qui semble fuir certaines choses à travers le sexe dans un contexte de science-fiction un brin apocalyptique, la lutte d'un jeune garçon pour se trouver lui-même dans une famille et un contexte yakuzas virils et violents... sans oublier le récit où Endo se met lui-même en scène, de façon tantôt douce-amère tantôt un peu comique, pour évoquer son travail de mangaka, ses souvenirs, certains regrets pouvant aller avec, ou même sa drôle d'obsession pour les lycéennes.

Si le registre de l'histoire courte est souvent l'occasion pour les auteurs de s'essayer à des choses très différentes de manière assez libre (Naoki Urasawa et Inio Asano en sont d'excellents exemples, entre autres), c'est on ne peut plus vrai pour Hiroki Endo qui, tout au long de ces histoires, parvient à briller autant pour sa narration maîtrisée que pour ses mises en scènes parfois dingues jusqu'à nous toucher en profondeur (comment ressortir indemne de la première histoire et de son issue implacable, vraiment ?) et, surtout, pour sa liberté de ton puisqu'il ne se pose pas de limites (il mettra ainsi en scène certaines relations assez malsaines et très dérangeantes, et proposera du sexe très explicite comme déjà dit) et ose souvent propose un ton très direct pour mieux marquer. Mais évidemment, tout ceci n'est pas gratuit, car au fil de chaque récit l'auteur, tout comme il l'a si bien fait et développé dans son chef d'oeuvre Eden, réfléchit sur énormément de choses. En premier lieu la famille sous tous ses aspects (généralement peu reluisants ici), sujet présent dans la plupart des récits d'une manière ou d'une autre. Mais aussi, par exemple, le rejet de l'autre (l'étranger) ou de soi-même (le refoulement de son homosexualité), la religion sur laquelle il pose des convictions très nettes (il n'y a rien après la mort, on retourne à la terre), le rapport à notre corps et au sexe, les rapports hommes-femmes, ce que l'on appellerait aujourd'hui la masculinité toxique avec des hommes exerçant de différentes manières leur pouvoir, l'idée de virilité qui en découle, le sentiment amoureux avec une vision très terre-à-terre de la chose, la jeunesse et l'insouciance perdues avec le temps qui passe, etc, etc... le mangaka ponctuant même l'ensemble de quelques approches un peu plus psychanalytiques, évoquant notamment Freud ou Jung à certaines reprises. Ces pistes de réflexions sont très nombreuses, sont suffisamment élaborées pour réellement pousser le lectorat à s'interroger sur ces vastes sujets, et sont d'autant plus fortes que le ton voulu par Endo est toujours direct, franc, cru, même si quelques petites métaphores viennent aussi se glisser.

La redécouverte ou tout simplement découverte de ces histoires, quasiment 20 ans après la première édition, est donc d'une richesse folle dans cette intégrale de qualité qui rend enfin pleinement honneur au travail de l'auteur.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs