Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 22 Septembre 2022
Auteur qu'on a découvert avec l'excellentissime Nabari (ou Nabari no Ô pour les intimes), Yuhki Kamatani avait disparu de nos librairies jusqu'à 2018, avant que les éditions Akata ne reprennent l'artiste sous sa coupe avec Eclat(s) d'Âme, puis Nos C(h)oeurs évanescents. Deux séries qui présentaient d'autres facettes de la patte de l'artiste, prouvant sa narration poétique et onirique, via des histoires humaines brisant les barrières sociales.
Et tandis que Nos C(h)œurs évanescents s'est récemment conclu chez nous, l'éditeur a affirmé sa volonté de poursuivre sur l'Œuvre de Yuhki Kamatani, en proposant cette fois une de ses séries les plus récentes. Lancé en 2020 dans les pages de la revue Morning Two de la maison Kôdansha, Hiraeth wa Tabiji no Hate a récemment trouvé sa conclusion au Japon avec son troisième volume. Proposé chez nous à l'occasion de la rentrée, le manga est intitulé Hiraeth – La fin du voyage dans nos contrées.
Après avoir perdu sa meilleure amie, la jeune Mika ne supporte plus de vivre. Alors qu'elle tente de se jeter sous un camion pour espérer retrouver sa camarade dans l'au-delà, elle est sauvée par Hibino, un bel homme éternel qui est dans l'incapacité de mourir. Ce dernier accompagne une divinité prenant l'apparence d'un jeune homme, dans son voyage mystique qui lui permettra de gagner ensuite la mort. D'abord furieuse d'avoir été secourue, Mika va être prise de curiosité et se joindre au binôme, tout trois ayant un objectif commun : Trouver le salut par le trépas.
D'entrée de jeu, Yuhki Kamatani épate par la nature de son intrigue, en opposition totale avec la légèreté de ton développée par l'esthétique et la narration. Dans Hiraeth (terme issu du Pays de Galles qui renvoie au chagrin suite au deuil d'un être cher), trois personnages opposés et complémentaires s'unissent dans un voyage qui a pour but le répit par la Mort. Loin d'être glauque, l'enjeu est honoré par un parcours presque initiatique, teinté de mélancolie mais surtout par des interactions croustillantes et parfois pleines d'humour entre les trois protagonistes. Tandis que le passage dans l'au-delà constitue un objectif similaire, Mika, Hibino et cette divinité sans nom se découvriront et s'apporteront mutuellement dans cette épopée dont le premier opus plante brillamment les divers tons, en décortiquant au fil des pages et de manière unique des questions universelles : Le deuil et notre rapport à la mort.
Assez fataliste dans son amorce, Hireath ne manque pas de s'enrichir de nuances au fil des pages. Qu'est-ce que le trépas ? Quand passer dans l'autre monde ? Est-on légitime de profiter de la vie quand ceux qui nous entourent en sont privés bien trop tôt ? A-t-on le droit d'attendre sans opposition la faucheuse ? Par le biais de ses trois personnages, Yuhki Kamatani aborde différentes approches de la mort, toutes complémentaires et en phase avec ces trois figures vouées à évoluer, se dévoiler, et accomplir leurs quêtes respectives au fil de l'histoire.
Et si on aime ce parti-pris narratif assez nouveau (même si cette idée de la mort était déjà présente dans Nabari), la patte de Kamatani se déguste de nouveau avec un plaisir non dissimulé. Sa mise en dessin imagée et onirique trouve sa place dans Hiraeth, ce afin de représenter symboliquement divers états d'âme de personnages, et d'autres moments fort qui nécessitaient une cristallisation mystique par le visuel. Il en découle plusieurs planches d'une grande force graphique et lourdes de sens, devant lesquelles on s'extase sans rechigner.
Alors, Hiraeth, aussi enchanteur que mélancolique, nous transporte sans mal grâce à son propos représenté avec originalité, sa galerie de personnages forts, et ce trait si caractéristique du style de Yuhki Kamatani. Chaque retrouvaille avec l'auteur est un plaisir, et le début de cette courte série ne fait pas exception à la règle.
Côté édition, Akata reste sur ses bases solides en proposant un bel ouvrage au papier épais et au lettrage bien agencé grâce à Elsa Pecqueur. Yohan Leclerc livre un texte fort et en phase avec la richesse du récit, tandis que l'indétrônable Tom « spAde » Bertrand conçoit une couverture ravissante, à la pureté digne de celle de ce voyage initiatique dont on a hâte de découvrir la suite.