Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 04 Septembre 2023
Chronique 2 :
Nombre d'auteurs s'inspirent de mangakas plus ou moins illustres, étant à l'origine d’œuvre plus ou moins iconiques; les exemples, vous en connaissez très certainement, sont nombreux: Togashi qui s'est grandement inspiré de Hirohiko Araki, s'étant lui même inspiré de Tetsuo Hara...les connexions peuvent être nombreuses et peuvent notamment donner une succession d’œuvres de qualité qui viennent embellir nos étagères de bibliothèque...
Et puis il y a les autres, ceux qui choisissent de s'inspirer de titres à la qualité plus douteuse, d'auteurs dont la carrière ressemble plus à une imposture, une belle supercherie, qu'autre chose! Ainsi, il apparaît évident que Yoto Ringo, l'auteur de Gestalt, titre qui nous intéresse ici, s'est clairement inspiré de Hiroya Oku, le célèbre auteur de Gantz...titre qui a marqué les esprits il y a quelques années maintenant... Mais entre temps, l'auteur n'a produit que des catastrophes, tentant de connaître à nouveau un succès similaire à Gantz, avec de la violence et de la nudité gratuite, sans la moindre profondeur, sans la moindre réflexion (n'était ce déjà pas le cas avec Gantz?) Mais nous ne sommes pas ici pour faire le procès de Hiroya Oku, il serait de toute façon à charge avec moi!
Tout ça pour dire que Yoto Ringo, auteur dont s'est ici la première œuvre, n'a peut être pas choisi la meilleure référence, la meilleure inspiration!
Le titre ne compte que trois tomes, est ce parce que l'auteur le voulait ainsi ou parce que le public Japonais et son éditeur ne l'ont pas laissé poursuivre? Difficile à dire à l'issue de ce premier tome.
Est ce que l'auteur est parvenu à sublimer son inspiration ou produit il quelques chose d'une moindre qualité? On va voir ça de suite!
Soso Shindo est un lycéen égocentrique, ne s'intéressant que bien peu aux autres. Il est bien plus préoccupé par les vues qu'il peut faire en mettant en ligne la vidéo d'un de ses camarades en train de se faire agresser que par lui venir en aide.
A l'inverse, Hanami est une jeune fille qui s'intéresse aux autres et leur vient en aide dès qu'elle le peut! Tout semble les séparer, pourtant ils vont être réunis dans une étrange "aventure" qui va les voir jouer avec la vie de l'ensemble des êtres humains!
Un beau jour, un compte à rebours apparaît dans le ciel, c'est la stupeur générale, Soso et Hanami se retrouvent alors aspiré à intérieur d'un cube, où ils retrouvent une centaine d'autres individus venus du monde entier! Ils y trouveront également des animaux parlant mais surtout un étrange personnage qui leur annonce qu'ils vont participer à la réinitialisation de l'humanité: la centaine d'individus ainsi aspirés dans cette étrange arche de Noé possède des pouvoirs, et vont devoir s'en servir pour faire un maximum de victimes dans un jeu où les points correspondent aux nombre de personnes qu'on peut tuer...
Ainsi très rapidement le parallèle avec Gantz est évident à faire: les "joueurs" se trouvent rassemblés dans une salle semblable à la pièce où se trouve la sphère noire de Gantz, pour y découvrir les règles du jeu, en attendant de commencer leur partie macabre; l'étrange robot qui les accueille fait évidemment penser aux êtres loufoques qu'on peut croiser dans le titre précité...
Car au final ce ne semble être que ça, un énième jeu de massacre avec pour volonté de rebooter l'humanité comme prétexte! On comprend rapidement que ceux qui rechignent à tuer seront éliminés, entendez par là, seront exterminés.
Pourquoi cela? Soit disant parce que l'humanité est devenue égoïste...c'est un fait, et la présentation de Soso pourrait constituer une critique réaliste à défaut d'être pertinente de nos sociétés actuelles, où le buzz prime sur tout le reste. Et cela pourrait être intéressant, mais il n'en ressort que tout ceci n'est qu'un prétexte...peut être que les deux prochains tomes nous pousseront à la réflexion mais ce n'est pas ce que ce premier opus laisse penser.
D'autant que si le but est de repartir sur de nouvelles bases, pourquoi choisir des "élus" aussi détestables que Soso et certains autres qui nous seront présentés dans ce premier tome?
Car c'est bien ce qu'est Soso, un personnage détestable! Déjà qu'on a très vite le sentiment de découvrir une version "Wish" de Gantz, si le personnage principal n'est en rien attachant, ça va être compliqué de progresser avec plaisir dans la lecture (mais là encore, on ressent l'inspiration de Oku, spécialiste de mettre en scène des personnages insupportables! Choquer c'est bien, mais s'il n'y a pas de fond derrière, quel intérêt?)
Et si on peut trouver quelques idées intéressantes, aucune ne semble vraiment exploitée convenablement! L'auteur veut jouer la provoc, la carte de l'irrévérence, et ça pourrait fonctionner, mais il ne suffit pas d’enchaîner les clichés du genre, de nous proposer de la violence purement gratuite si on ne trouve rien derrière.
A un moment on pourrait croire que va se jouer au niveau individuel, un rivalité nationale de grande ampleur, mais pas du tout...ce n'est pas exploité et vite oublié, à moins que l'auteur lui même ne l'ait pas vu ainsi...peut être que c'est nous, pauvre lecteurs, qui cherchons des symboles là où il n'y en a pas.
Et malheureusement, au risque d'en rajouter, même au niveau visuel, l'auteur n'est pas au niveau! Hiroya Oku, malgré tout le mal que je pense de lui, avait au moins pour lui un trait remarquable, et une maîtrise du numérique impressionnante. Et visiblement Yoto Ringo n'a aucun des deux à l'heure actuelle.
Le trait est assez pauvre et grossier et ne fait clairement pas envie. On trouve également des problèmes de proportions qui viennent nous sortir de la lecture. On peut par contre noter une mise en scène et un découpage de l'action assez efficaces.
Le seul véritable sans faute de ce tome c'est encore et toujours l'édition de Ki-oon qui nous propose un volume soigné...Un contenant plus intéressant que le contenu, mais sans doute est-ce là un mauvais choix éditorial de leur part.
On a là un Gantz du pauvre, donc le bilan apparaît plus ou moins évident: si vous n'aimez pas les titres de Hiroya Oku, passez votre chemin, mais même si les aimez, notamment Gantz, pas sûr que y trouviez votre compte.
Peut-être que les deux tomes restants pourraient nous surprendre, mais vu qu'il ne reste justement que deux tomes, ce n'est pas bon signe et cela semble peu probable.
Chronique 1 :
Le catalogue des éditions Ki-oon est généralement riche en nouveautés très bonnes voire excellentes, comme nous l'ont encore prouvé, depuis le début de cette année 2023, des titres comme Soloist in a Cage, Badducks et surtout Du mouvement de la Terre. Mais comme chez tout éditeur, il peut y avoir des nouveautés plus mitigées ou, en tout cas, voués à diviser considérablement. L'un des derniers titres en date de ce genre chez Ki-oon fut probablement Gigant de Hiroya Oku, qui n'a montré aucun intérêt pour beaucoup de monde tandis que d'autres y ont trouvé une sympathique série B un peu insolente (à titre personnel, je mets ce manga et son auteur parmi les pires impostures de ces dernières années, mais c'est un autre débat). Et la nouveauté de début mai de l'éditeur s'inscrit précisément dans ce registre de récit dont Oku pourrait tout à fait être l'auteur. Intégralement prépubliée au Japon pendant l'année 2021, Gestalt a tourné court dans son magazine de prépublication, le Young Magazine des éditions Kôdansha, en ne s'étirant que sur trois volumes alors que le pitch de base laissait envisager plus de volumes. Il s'agit de la première et à ce jour unique oeuvre professionnelle du dénommé Yoto Ringo.
Gestalt nous immisce dans un Japon contemporain similaire à celui de notre réalité, où le lycéen Soso n'est pas vraiment du genre sympathique: fruit d'une certaine part de notre monde actuel où l'individualisme est roi, il n'a aucun ami et se contrefiche bien du sort et du regard de ses congénères. Si bien que, par exemple, quand il voit un camarade de classe se faire brimer il est plus occupé qu'autre chose à le filmer pour ensuite essayer de faire le buzz sur les réseaux sociaux (cherchez la contradiction: le gars est un asocial qui n'a rien à faire des autres mais qui veut quand même plein de followers). En somme, il est tout le contraire de sa camarade de classe Hanami, qui a le coeur sur la main, est toujours prête à aider les autres, et sait très bien qu'elle est une espèce en voie de disparition à cette époque. Alors, qui aurait cru que ces deux jeunes gens totalement opposés seraient réunis dans une sale affaire ayant pour enjeu le sort du monde, rien que ça ?
En effet, en cette journée qui aurait dû être comme les autres, d'étranges événements surviennent: un compte à rebours apparaît comme par enchantement dans le ciel en suscitant des réactions très diverses, une pluie brûlante et odorante commence à s'abattre... et c'est dans ce petit parfum d'apocalypse que Soso et Hanami sont soudainement aspirés dans une espèce de cube géant et pixélisé flottant au-dessus de Tôkyô. A l'intérieur, ils trouvent une petite centaine d'autres humains venus des quatre coins du monde, découvrent avec effarement des girafes capables de parler, et font surtout la connaissance d'un étrange concierge qui, pour leur arrivée dans cette Arche de Noé futuriste, s'est vêtu de tous ses plus beaux clichés sur le Japon. Et ce maître des lieux ne tarde pas à expliquer pourquoi cette centaine d'humains a été sélectionnée: le monde contemporain est devenu si décadent et égoïste qu'il a été décidé de racheter les péchés de l'homme et de le faire entrer dans un nouvel âge. Ce qui signifie, en gros, qu'il va falloir éliminer tous les humains devenus inutiles pour celles et ceux qui ont été sélectionné(e)s. Et là, vous vous demanderez forcément pourquoi des gens détestables comme Soso et d'autres (l'américain Johnson et le chinois Wang sont déjà agaçants à souhait) ont été sélectionnés, si le but de cette arche est vraiment de rebooter l'espèce humaine avec de meilleurs atours.
Nous voici donc, tout compte fait, avec un récit prenant vite des allures de jeu mortel presque banal, où les perdants (comprendre par là, les élus les plus paresseux dans le massacre d'humains) seront régulièrement punis par le concierge, et où le principal intérêt est de voir comment réagiront les humains de l'arche face à leur mission d'éradication de l'espèce humaine. Une mission pour laquelle ils devront utiliser des pouvoirs destructeurs bien différents mais qu'ils n'arrivent pas à maîtriser pour l'instant, en provoquant donc des premières catastrophes tragiques où ils tuent des personnes sans le faire exprès (oopsie).
Vous l'aurez sans doute déjà compris au vu des lignes précédentes: Yoto Ringo veut jouer la carte de l'insolence à la façon d'un Hiroya Oku. Mais savoir doser cette insolence, ce côté provocateur, demande un talent où il ne suffit pas d'enchaîner les situations et les clichés comme un gamin, et où il faut éventuellement savoir aussi distiller un propos derrière pour ça. Oku l'a précisément bien montré avec Last Hero Inuyashiki et une partie de Gantz qui étaient très bons dans ce domaine, là où il s'est (à mes yeux, en tout cas), complètement vautré dans le reste de Gantz et dans Gigant. Yoto Ringo aurait lui-même pu faire du bon avec son idée de base exploitant l'individualisme de notre époque. Mais malheureusement, d'un bout à l'autre de ce premier tome de Gestalt, il penche vers la deuxième catégorie. Ainsi, la lecture risque fort d'agacer par son accumulation de clichés sans saveur tant elle est forcée et gratuite, entre la rivalité de Johnson et de Wang pour le leadership (dommage, car ça aurait réellement pu jouer sur la rivalité USA/Chine), le côté très réac' (là aussi digne d'Oku) vis-à-vis des réseaux sociaux, ou encore plusieurs comportements illogiques. Ca enchaîne cliché sur cliché mais sans la part de subtilité et d'aspect critique qu'il aurait fallu, et ça ne mène nulle part. Et ce ne sont pas les tentatives d'humour plus franc qui vont arranger quoi que ce soit, à l'image des quelques élans de sexisme sur Hanako (quel intérêt de dire qu'elle a un bonnet D à un moment censé être tendu et important ? Le pire étant que Hanami corrige le truc d'elle-même en disant qu'elle fait du E...). Et le plus critique dans tout ça, c'est qu'au bout de ce premier tome on n'a eu droit qu'à une longue mise en place, et qu'en l'état actuel des choses il semble très difficile d'avoir une conclusion potable dans seulement deux tomes. Vraiment, Gestalt sent déjà un peu trop la série qui a bidé dans son magazine et qui a sûrement été écourtée.
Sur le plan visuel, là aussi ça sent pas mal l'influence de Hiroya Oku: ça transpire le numérique dans tous les sens, mais sans avoir les qualités dans ce domaine de l'auteur de Gantz qui, pour rappel, a été un précurseur dans ce style. Il y a pourtant quelques planches qui claquent assez, en tête la scène de l'envol de nos deux personnages principaux vers l'arche avec une efficace vue aérienne sur la ville, planche que Ki-oon avait d'ailleurs judicieusement choisie pour illustrer son annonce de l'acquisition de la série. De même, on pourra noter plusieurs petites idées comme le design insolite du concierge, quelques effets de flou classiques mais assez efficaces, et différents autres petits effets (de pixels, entre autres). Mais rapidement, les défauts sautent aux yeux, entre l'austérité et l'inégalité des visages des personnages d'un côté, les mouvements parfois vraiment pas naturels, et des décors de plus en plus paresseux en n'étant généralement que des photos de villes pas du tout retravaillées. Et puis, quand il y a des erreurs de proportion dès la jaquette d'un tome 1 (qui est censée donner envie), c'est plutôt mauvais signe. A l'arrivée, là où la froideur numérique du dessin de Hiroya Oku colle généralement bien à l'atmosphère de ses oeuvres, ici le résultat manque cruellement de maîtrise.
Le bilan de ce premier volume de Gestalt n'est donc pas bien glorieux à nos yeux: malgré une idée de départ qui aurait pu donner quelque chose de très chouette en termes de critique, d'insolence ou tout simplement de divertissement, le début de récit de Yoto Ringo regorge beaucoup trop de limites (scénaristiques, narratives et visuelles), de caricatures mal exploitées et de faux-cynisme pour nous convaincre, en nous laissant un goût désagréable et en nous donnant l'impression d'être pris pour des idiots. On devine sans souci ce qui pourra éventuellement plaire à une part du lectorat, mais ici c'est non.
Concernant l'édition française, Ki-oon a soigné sa copie, comme à l'accoutumée. A l'extérieur, la jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en bénéficiant d'un logo-titre bien dans le ton. Et à l'intérieur, le papier épais et opaque permet une bonne impression, le lettrage est propre, et la traduction d'Alex Ponthaut reste toujours claire.