Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 19 Octobre 2023
Parfois considéré comme le parent pauvre du catalogue de Glénat Manga, le shôjo/josei s'offre en ce mois d'octobre une très belle actualité avec pas moins de trois nouvelles oeuvres, dont une n'est autre que Gene Bride. Lancée au Japon en 2021 dans l'excellent magazine Feel Young des éditions Shôdensha (magazine ciblant en premier lieu les femmes adultes, et où sont parus plusieurs bijoux comme certains titres d'Ebine Yamaji, Mari Okazaki et Erica Sakurazawa), cette série suit un rythme tranquille puisqu'elle ne compte que deux tomes à l'heure où ces lignes sont écrites. Elle nous permet de découvrir pour la première fois en France Hitomi Takano, une mangaka qui, depuis ses débuts professionnels en 2015, a déjà eu l'occasion de s'essayer à différents types d'histoires pour divers éditeurs, que ce soit du shôjo/josei pour Shôdensha, du yaoi pour les éditeurs Libre et encore Shôdensha, et et de la tranche de vie psychologique estampillée seinen avec sa plus longue série à ce jour Watashi no Shounen/My Boy, riche de 9 tomes et qui a démarré chez l'éditeur Futabasha avant de passer chez Kôdansha.
"Pourquoi votre seul souvenir de moi se limite-t-il à ma jupe ?"
Cette simple phrase résume assez bien l'état d'esprit qui est souvent celui de notre héroïne, Ichi Isahaya. Journaliste de son état, cette femme célibataire, bien que forte en caractère, vit assez mal sa condition féminine que, jour après jour, elle subit insidieusement: elle se tape des remarques déplacées de ses interlocuteurs masculins pendant son travail, elle est matée par un vieux pervers pendant son jogging, un autre essaie même de lui voler ses poubelles... et on touche déjà là ce qui est sans doute l'aspect le plus frappant de ce premier volume: à travers cette femme qui a généralement la langue bien pendue, Takano met le doigt sur plein de petites choses où le sexisme fait malheureusement partie du quotidien, en touchant Ichi mais pas uniquement elle puisque certaines autres inégalités (sur le plan politique, entre autres) et aberrations (comme l'impossibilité pour la police d'intervenir tant qu'il y a pas eu de violence) plus larges sont aussi évoquées en filigranes.
C'est dans ce contexte intéressant, actuel et pertinent qu'un beau jour, Ichi voit apparaître devant elle Makuhito Masaki, qui dit avoir été l'homme de sa vie et qui veut la remercier pour quelque chose qu'elle aurait fait à l'époque du lycée. Seul hic: la jeune femme ne se souvient absolument pas de cet homme, si bien qu'elle se méfie. Mais petit à petit, le fait est que Maku n'a pas de mauvaise intention et se montre très respectueux, si bien qu'ils deviennent en quelque sorte amis. C'est à la naissance de cette relation un peu particulière que se consacre l'autre aspect essentiel du volume, en nous invitant à découvrir petit à petit, certains aspects de la personnalité de Maku, par exemple son côté maniaque, sa tendance à paniquer quand des choses ne se passent pas comme il le prévoyait, ou certaines de ses idées saugrenues, le tout étant parfois plutôt amusant dès que s'en mêlent le caractère bien marqué d'Ichi et ses réactions décontenancées (à ce titre, les scènes "Ichi à colorier" sont assez drôles).
Mais derrière ça, ce que l'autrice distille, c'est surtout une part de mystère prenant, petit à petit, de plus en plus de place, en particulier autour de l'école où étaient, il y a visiblement une quinzaine d'années, nos deux principaux personnages. Pourquoi Ichi ne se souvenait-elle pas de Maku ? A-t-elle des trous de mémoire ? Que veulent dire les sortes de petits flashs du passé qui lui viennent en dévoilant notamment une amitié mise à mal avec une certaine Enami ? Que lui est-il arrivé dans cette école ? Qu'est exactement le principe de "Gene Bride" assez vite évoqué ? Si certaines énigmes perdurent, d'autres se dévoilent déjà en partie, par petites touches bien distillées, suscitant notre curiosité jusqu'à des toutes dernières pages encore plus intrigantes puisqu'elles semble sur le point de faire basculer le récit dans le fantastique ou la science-fiction.
Il faudra patienter pour en savoir plus là-dessus, mais en attendant ce premier tome accomplit très bien son rôle: ce qui démarre comme une tranche de vie mystérieuse sur fond de portrait de société sur la condition féminine semble voué à proposer encore plus que ça par la suite, la bande-annonce du tome 2 précisant d'ailleurs que la "vraie histoire" commence tout juste dans ces fameuses toutes dernières pages. Ajoutons à ça un dessin assez élégant et mâture, et il n'en faut pas plus pour que les débuts de Gene Bride nous apparaissent comme une bonne surprise assez prometteuse !
Intégrant le label "Shôjo+" de Glénat, l'édition française propose un résultat assez honnête dans l'ensemble. On regrettera juste un papier dont la finesse confine parfois à trop de transparence, mais à part ça l'impression est honnête, le lettrage de Hinoko est propre, la traduction de Hana Kanehisa est suffisamment claire, et la jaquette reste très proche de l'originale japonaise.