Fleurs du mal (les) - Kamimura Vol.1 - Actualité manga

Fleurs du mal (les) - Kamimura Vol.1 : Critiques

Aku no Hana

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 15 Février 2019

Après Le Fleuve Shinano (réédité l'année dernière aux éditions Kana) en 1973 et Yumeshi Alice (inédit en France) en 1974, Les Fleurs du Mal (Aku no Hana en vo), publié en 1975, est la troisième et dernière collaboration du grand et regretté Kazuo Kamimura avec le scénariste Hideo Okazaki. Il s'agit également, de loin, de l'oeuvre la plus crue de cette collaboration, voire de la carrière de Kamimura, et il n'est donc pas forcément étonnant de voir cette série arriver en France chez Le Lézard Noir plutôt qu'aux éditions Kana, jusque-là éditeur historique du mangaka dans notre pays (exception faite de la première édition du Fleuve Shinano, parue aux éditions Asuka il y a plus de dix ans).

Pour sa version française, Le Lézard Noir a opté pour une édition en deux volumes qui feront chacun un peu moins de 400 pages. A l'instar de tous les titres un peu plus patrimoniaux de son catalogue, l'éditeur poitevin a opté pour une édition plus luxueuse que la moyenne, avec une couverture en carton rigide et un grand format relié, du plus bel effet. On en profite pour saluer également l'excellente traduction de Samson Sylvain, un habitué et spécialiste des oeuvres de Kamimura, ainsi que la présence d'une très bonne postface de Stephen Sarrazin, qui recontextualise bien l'oeuvre dans son époque, évoque diverses influences (littéraires, cinématographiques) et lance des pistes de lecture.

L'ouvrage nous présente Rannosuke Hanayagi, le 17e héritier de la maison Kurokami, qui dirige son école d'ikebana avec grand succès, en ayant acquis une très solide réputation dans toutes les plus hautes sphères du Japon, en en faisant ainsi un homme puissant. Mais sous couvert de pratiquer l'art floral, cet homme est en réalité un véritable empereur du meurtre, du sexe et du vice: les "bourgeons" qu'il prend soin de faire pousser jusqu'à les faire éclore et en faire des "fleurs", ce sont des "fleurs du mal", et ce sont des jeunes femmes, qu'il prend soin de kidnapper, de torturer, d'humilier et de consumer jusqu'à leur déchéance complète. Et grâce à ses liens avec le monde économique et politique qu’il tient fermement sous son joug en leur faisant bénéficier de ses esclaves sexuelles, il semble intouchable et peut continuer de régner sur son empire de la luxure. A moins que Sayuri, sublime jeune femme dont il veut faire sa nouvelle reine, ne finisse par ses montrer comme une fleur à épines...

Evoquant dès les premières pages le procès de cet homme, procès avorté grâce aux relations de Rannosuke avec les hautes sphères, Okazaki et Kamimura installent d'emblée une atmosphère très forte et vicieuse, où la défaillance du système japonais est mis en exergue tandis que le maître de la maison Kurokami apparaît immédiatement comme un modèle d'horreur et de débauche, sadique et inébranlable. Un excellent moyen pour les auteurs d'installer l'oeuvre dans leur époque, celle du Japon des années 1970, alors en plein trouble et où nombre d'artistes ont pris le parti de pousser jusqu'au bout du vice le besoin de changement, de rejet de la norme, de transgression de la société. Kamimura a très, très souvent évoqué cela à travers le besoin de liberté et d'émancipation (sexuelle, sociale...) de ses héros et surtout de ses héroïnes, mais ici il le fait plus que jamais à travers toutes les transgressions possibles liées au sexe. La lecture se dessine donc, au gré des idées vicieuses de Rannosuke et de l'éclosion de la magnifique fleur Sayuri, comme un portrait de débauche allant toujours plus loin, en bafouant toute notion de morale. Viols en tous genre, tortures, humiliations, meurtres érigés en spectacles, soumission, domination, ancienne épouse reléguée au rang de chienne... Tout y passe, et le spectacle qui se montre sous les yeux du lecteur est aussi violent, malsain et dérangeant que fascinant, puisque les auteurs ont leurs propres manières de dépeindre tout ça. Kamimura a beau dévoiler une face plus brutale et crue que jamais dans son art, son dessin reste un modèle d'esthétisme et d'élégance jusque dans le vice, et il gère à merveille ses métaphores visuelles mêlant fleurs et femmes, où les vagins éclosent comme des fleurs, où les traces de sang peuvent prendre des allures de compositions florales, où les gouttes de la jouissance ressemblent à des pétales. Des métaphores s'étendant jusque dans les textes d'Okazaki où il compare souvent fleurs et femmes, et dans le concept-même où Sayuri, joli et pur bourgeon au départ, finit par dépérir et refleurir comme une fleur, par éclore en véritable fleur du mal après avoir connu les pires sévices.

Résultat: un ouvrage jusqu'au boutiste, immoral et transgressif à souhait, et en même temps fascinant tant il élève son vice au rang d'Art. Une oeuvre qui n'est définitivement pas à mettre entre toutes les mains, mais qui s'érige déjà comme une pièce marquante dans la bibliographie de Kamimura.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs