Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 04 Janvier 2017
Il y a dix ans, le cours des choses a été bouleversé par l'apparition soudaine, dans le ciel, de "l'Encre du Néant", une étrange structure inconnue qui a ravagé la ville et a tué plus de 100 000 personnes. Aujourd'hui, cette énigmatique entité continue de planer dans le ciel au-dessus de la cité, mais semble désormais inoffensive, si bien que les habitants ont peu à peu oublié le drame et ont appris à vivre avec cette chose sans plus s'en soucier.
C'est dans cette ville que vivent Kagerô et Momiji, deux amis d'enfance... voire plus que des amis. Lui a toujours été plus frêle et faible, tandis qu'elle, plus grande en taille, a toujours pris soin de veiller sur lui, de le protéger, ou même de lui préparer à manger. Tous leurs camarades en ont conscience : ils se considèrent d'une façon beaucoup plus forte que de simples amis. Mais Kagerô semble pour l'instant incapable d'aller plus loin... et il n'en aura peut-être pas l'occasion, puisque "l'Encre du Néant" refait soudainement parler d'elle, envoyant sur le lycée des sphères massacrant tout le monde...
La première nouveauté shônen de Pika Edition en 2017 est une courte série d'action fantastique en cinq tomes qui nous permet de découvrir en France Yûichi Katô, jeune auteur qui signe ici son premier scénario original, et qui auparavant a été remarqué au japon pour les dessins d'Eureka Seven AO, un spin-off du titre Eureka Seven de Kazuma Kondou et Jinsei Takaoka. Une filiation qui, dès la couverture, ne manquera pas de sauter aux yeux de quiconque a lu Eureka Seven (ou Deadman Wonderman des mêmes auteurs) : Katô a développé un coup de crayon très proche de celui de ces oeuvres, Kagerô étant même un quasi-sosie de Ganta de Deadman Wonderland. Le design général des personnages s'avère d'ailleurs plutôt réussi, pourvu de quelques inégalités faciales, mais doté de physiques tous très facilement identifiables, si bien qu'on ne s'y perd jamais. La mention spéciale reviendra au visage de Momiji une fois devenue "différente" (disons cela comme ça, pour ne pas trop en dire), car la jeune fille affiche des expressions difficiles à cerner, à la fois humaines et inhumaines, essentiellement grâce à ses yeux. On appréciera également le soin apporté aux décors urbains renforçant l'immersion, ainsi que le design des montres (même si l'on est en droit d'attendre un peu plus de variété sur ce dernier point par la suite).
Une autre qualité du récit dès ce premier tome vient de sa gestion du rythme et du cadrage : la lecture file à 100 à l'heure, c'est soutenu, et pourtant on ne s'y perd jamais, car le découpage et la mise en scène ne s'éparpillent pas (là où un titre comme Deadman Wonderland était parfois très brouillon, histoire de pousser la comparaison un peu plus loin). Pourtant, on pourra regretter que malgré son découpage clair l'action reste plutôt basique, ainsi qu'une tendance parfois un peu trop forte à offrir aux personnages de dégaines d poseurs quand ils déclament des paroles fortes. A contrario, difficile de ne pas apprécier les quelques moments où le mangaka prend soin de rebooster soudainement la tension en enclenchant un événement imprévisible avant de tourner la page (une apparition de monstre, un mort...)
On a donc quelque chose alliant plutôt bien rythme et dynamisme, sans forcément chercher l'originalité. Originalité qui, pour l'instant, est aussi absente d'un scénario reprenant de bons gros schémas propres au genre : un héros qui voit sa vie basculer suite à un drame ayant eu lieu dix ans auparavant et refaisant surface, tout l'entourage qui se fait massacrer, une acquisition d'un pouvoir étrange chez le héros dans son bras, une jeune fille plus totalement humaine à protéger et à sauver... Rien que ces premiers points rappellent eux aussi énormément les débuts de Deadman Wonderland, décidément. Et la suite ne fera pas non plus dans l'originalité avec l'arrivée d'une organisation secrète anti-dross (c'est le nom des fameux monstres) dont la limite entre ami ou ennemi reste longtemps floue...
Mais le manque d'originalité n'a jamais empêché une histoire d'être efficace, et sur ce dernier point Ex-Humans s'en sort plutôt bien, essentiellement pour une raison : l'auteur cherche vraiment à bien mettre en valeur le lien de Kagerô et Momiji. Un lien presque fusionnel, qui trouve justement ses sources dans le passé commun des deux adolescents et dans ce qu'ils ont vécu ensemble dix ans auparavant lors de l'arrivée de "l'Encre du Néant". Rien de forcément surprenant, mais on ressent pleinement que ces deux adolescents sont tout l'un pour l'autre, si bien qu'ils ne reculeront devant rien pour se protéger l'un l'autre. A ce titre, même si Katô a clairement tendance a en rajouter des couches sur le désir de Kagerô de devenir fort pour sauver Momiji, l'ensemble reste assez poignant, notamment pour une Momiji à mi-chemin entre humanité (qui se voit dans son obsession pour Kagerô) et inhumanité.
Là où le bât blesse plus, c'est concernant les personnages secondaires. Kagerô a beau voir ses amis du lycée se faire massacrer sous ses yeux, il semble vite passer outre et n'en garde pas vraiment de traumatisme. Quant aux trois membres de la brigade anti-dross... Hé bien, Shimura est pour l'instant peu intéressant, Iya est transparent, et Kiri agace plus qu'autre chose dans son désir aveugle de tuer Momiji et dans les avances un peu moisies qu'elle fait à Kagerô à un moment. Cette dernière est pourtant la seule parmi les personnages secondaires à intriguer un peu, puisqu'elle ne semble pas du tout avoir envie de redevenir humaine et qu'elle veut apparemment réparer une erreur.
Globalement, l'entrée en matière d'Ex-Humans se révèle donc facilement prenante. A condition de ne pas chercher d'originalité, on semble se diriger vers un bon petit manga d'action nerveux et au rythme soutenu, plutôt bien porté par le lien très fort entre ses deux principaux personnages.
Avec ses premières pages en couleur, l'édition est plutôt séduisante. Jean-Benoît Silvestre livre une traduction prenante et bien pêchue, et les choix de lettrage sont immersifs et ne dénaturent en rien l'oeuvre.