Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 22 Septembre 2025
Pour notre plus grande joie, après la nouvelle édition du cultissime Banana Fish en 2021-2022 et la publication du non moins bon Yasha en 2022-2023, les éditions Panini ont décidé de grandement faire honneur à l'illustre Akimi Yoshida en cette année 2025, en ayant annoncé la publication de cinq autres de ses oeuvres, jusque-là inédites dans notre langue. Et tandis que la deuxième de ces cinq annonces, l'excellentissime Lovers' Kiss (une oeuvre sur laquelle nous reviendrons dans les prochains jours), vient tout juste de sortir, l'heure est venue pour nous de revenir sur celle qui fut lancée en juin dernier: Le Sommeil d'Ève, alias "Eve no Nemuri" en version japonaise, parution qui vient en quelque sorte boucler une boucle puisque, après Banana Fish et Yasha qui se déroulent dans le même univers, cette oeuvre conclut la trilogie de shôjo/josei d'action/suspense de l'autrice, avant qu'elle ne se lance ensuite dans les tranches de vies plus posées, réalistes et attachantes avec les merveilles Kamakura Diary (un indispensable absolu de la tranche de vie, disponible en France aux éditions Kana depuis plusieurs années) et Utagawa Hyakkei (la dernière série en date de la mangaka, à paraître dans nos contrées chez Panini dans quelques mois).
Les plus grands fans de l'autrice n'ignorent sans doute pas le nom de cette série, qui n'est autre que la suite de Yasha, si bien qu'elle est même sous-titrée "Yasha Next Generation", et qu'il va de soi qu'il vaut mieux avoir déjà lu Yasha pour profiter au mieux de ce nouveau volet. Au Japon, elle a été prépubliée entre 2003 et 2005 dans l'excellent magazine Flowers des éditions Shôgakukan pour un total de cinq volumes, tandis qu'en France elle est vouée à prendre la forme d'une édition Perfect en trois épais tomes d'un peu plus de 300 pages chacun.
D'ailleurs, profitons-en pour souligner l'aspect très satisfaisant de cette version française, avec un grand format dans la droite lignée de ceux de Banana Fish et de Yasha pour ne pas faire tâche dans les collections, une jolie jaquette rehaussée d'éléments en vernis sélectif, une belle première page en couleurs (reprenant notamment l'illustration monochrome de la jaquette) sur papier glacé, une très brève biographie de l'autrice, une préface assez intéressante d'Ariane Even pour contextualiser brièvement l'oeuvre et souligner ses thématiques, une petite présentation des perosnnages pour éventuellement se remettre dans le bain après Yasha, la présence d'un marque-page offert, une bonne qualité d'impression effectuée sur un papier à la fois léger, souple et suffisamment opaque, une traduction claire de la part de Xavière Daumarie, et un lettrage propre de Lara Iacucci.
Cette suite nous plonge dix-huit ans après la fin de Yasha et la mort du néo-humain Rin Amamiya, décès ayant poussé son frère jumeau et auparavant adversaire Sei Arisue à prendre son identité pour réparer les dégâts causés par l'attentat bioterroriste et, avec l'aide du puissant Sing Soo-Ling, sceller les méfaits liés à Neo Genesis. Autrefois acteurs de premier plan des événements de Yasha, l'ancien garde du corps de Sei Ken Kurosaki et la sublime ancienne mercenaire Ru-Mei se sont mariés et se sont installés à Hawaï, où ils élèvent paisiblement leurs enfant Arisa, 18 ans tout juste, et Shinji, son frère cadet ultra-protecteur envers sa frangine. Ce que les deux parents taisent toutefois depuis tout ce temps à Arisa, c'est que son vrai père n'est pas Ken mais le défunt Rin Amamiya, et qu'elle a donc peut-être en elle le lourd héritage des gènes du frère jumeau de Sei...
Dans la première partie du volume, Akimi Yoshida prend tout le temps qu'il lui faut pour bien (re)poser le contexte près de deux décennies plus tard et, surtout, pour nous imprégner de deux choses. Tout d'abord, la culture et le folklore hawaïens, qui font partie intégrante du charme de ce début de série en plus d'influencer la façon d'être d'Arisa, et qui viennent aussi, en quelque sorte, prendre la succession de la culture et du folklore d'Okinawa exploités dans Yasha. Ensuite, le caractère de la jeune fille, aussi volcanique, sauvage et majestueux que ces terres hawaïennes: Arisa est assurément une héroïne au très fort tempérament, en plus d'être dotée d'une beauté et d'un charisme qui ne laissent personne indifférent tant ils semblent quasiment irréels. Et de la force de caractère, elle en aura bien besoin quand se dessineront les dangers à venir et, par la même occasion la découverte de la vérité sur ses origines.
Ces dangers commencent véritablement à prendre forme lorsque Liè, fils de Sing envoyé à Hawaï pour informer nos héros de la situation et pour protéger Arisa, sonne l'alerte en affirmant que quelqu'un semble avoir piraté la ligne entre Sing et Rin Amamiya depuis six mois, le tout à des fins qui sont évidemment funestes, et non sans des conséquences déjà terrible au sujet de Sei, conséquences ayant forcément un impact sur le lectorat ayant suivi ses aventures dans Yasha. En effet, le désir de Sing de mettre son pays, la Chine, sur la voie de la démocratie, est loin de plaire à tout le monde, notamment parmi les gens influents et les gangs les plus importants. Si bien que le mettre hors d'état de "nuire" devient une priorité pour ces ennemis… quitte à aussi s'en prendre à son entourage lointain, et à chercher à réveiller ce qui sommeille peut-être en Arisa,en tant qu'héritière de l'ADN de Neo Genesis.
Si l'on excepte 2-3 relations assez particulières qui, pour l'instant, peuvent dérouter, ce premier pavé agit comme une véritable montée en intensité, en enjeux et donc en intérêt, notamment au fur et à mesure des premières rixes où la mort frappe sans crier gare de manière impitoyable, des premières avancées d'Arisa vers ses origines, et de ce que l'on découvre déjà sur les principaux antagonistes... en particulier sur le dénommé Si Gui. Et de fil en aiguille, tout en accordant plus d'importance aux concepts de filiation et d'héritage au vu du lien d'Arisa avec l'un des personnages essentiels de Yasha, Akimi Yoshida peut déjà commencer à réaborder les thèmes centraux de sa trilogie d'action/suspense: le transhumanisme, l'abord d'un être humain qui aurait quelque chose de supérieur par rapport à ses congénères, des avancées scientifiques lorgnant vers la SF, la quête de la protagoniste pour découvrir ses origines et comprendre qui elle est, et les difficultés à protéger un bonheur simple face à un destin hors-du-commun qui l'implique directement tout en la dépassant pour l'instant. Autant de sujets rendant déjà la lecture assez riche... mais qui, pour le moment, font peut-être aussi la limite du Sommeil d'Eve, tant il y a beaucoup de choses en commun avec Yasha, à la fois dans le déroulement global et dans certains rapports entre personnages (forcément, le rapport Arisa/Si Gui en rappellera inévitablement un autre de Yasha).
On espère donc juste que, sur ses deux tomes suivants, Akimi Yoshida saura affirmer plus d'unicité dans ce troisième volet de sa trilogie d'action/suspense, mais au vu de son talent habituel elle a toute notre confiance pour ça. En attendant, ces 300 et quelques premières pages savent très bien nous maintenir en haleine et faire grimper notre intérêt, pour toutes les raisons précédemment évoquées.