Entre les lignes Vol.1 - Actualité manga
Entre les lignes Vol.1 - Manga

Entre les lignes Vol.1 : Critiques

Ikoku Nikki

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 29 Juillet 2021

Agée de tout juste quarante ans à l'heure où ces lignes sont écrites, Tomoko Yamashita est une mangaka dont la carrière dure depuis déjà une grosse quinzaine d'années au Japon, l'autrice ayant d'abord pas mal officié dans le domaine du boy's love, tout en s'orientant de plus en plus vers des tranches de vie souvent catégorisées josei, mais pas que. Au fil d'une carrière qui est donc déjà assez riche, cette artiste assez prolifique et plutôt éclectique a eu l'occasion de travailler pour pas mal de magazines différents, et s'est taillée une jolie petite réputation grâce à son dessin fin et, surtout, à son écriture réputée subtile. Bien que l'un de ses boy's love, Sankaku Mado no Sotogawa wa Yoru, verra son adaptation animée diffusée en France sur Crunchyroll en automne prochain sous le nom The Night Beyond the Tricornered Window, les mangas de cette autrice restaient malheureusement totalement inédits dans notre pays, jusqu'à ce mois de juillet 2021, qui vit les éditions Kana lancer dans leur très bonne collection Life ce qui est, à ce jour, sa série la plus longue.

Actuellement riche de 8 volumes, Entre les lignes est une oeuvre qui a été lancée au Japon en 2017 sous le titre Ikokunikki (littéralement "Journal étranger") au sein du Feel Young des éditions Shodensha, excellent magazine féminin qui a vu passer dans ses pages un paquet d'oeuvres de qualité comme And (&) de Mari Okazaki, Les Fleurs du Passé, ou encore plusieurs récits d'Ebine Yamaji, Kiriko Nananan et Erica Sakurazawa. Quelque temps avant son arrivée dans notre pays, la série s'est distinguée en étant nommée au Manga Taisho Award 2020 dans son pays.

Tout commence par un premier chapitre qui semble tout à fait normal. Dans un appartement à l'adresse de "Kôdai/Takumi", deux femmes vivent ensemble : Asa, en troisième année de lycée, et Makio, écrivaine de 35 ans. Entre différentes petites habitudes (Asa qui cuisine, Makio qui travaille dans sa chambre, etc), elles donnent l'impression d'être des soeurs, en quelque sorte. Mais dès le chapitre 2, on constate que la réalité est tout autre: trois ans avant, Makio a recueilli Asa alors qu'elle était en dernière année de collège. La raison ? Les parents de l'adolescente sont soudainement morts dans un accident, et la mère n'était autre que la soeur de l'écrivaine. Makio a alors simplement proposé à sa nièce de rester chez elle autant qu'elle le souhaitait, et de fil en aiguille l'adolescente est toujours restée. Pourtant, rien ne s'annonçait facile, de par la personnalité de Makio: très solitaire, la trentenaire ne sort quasiment jamais de chez elle, passe son temps à travailler, et n'a pas sa langue dans sa poche en ayant même avoué d'emblée, à cette adolescente, qu'elle a toujours détesté sa défunte soeur qui passait autrefois son temps à la conspuer au point d'avoir sans doute influé sur son caractère fermé. C'est ainsi qu'a commencé, entre l'écrivaine taciturne et l'adolescente endeuillée, une cohabitation particulière qui risque bien de les changer toutes les deux...

"Ce jour-là, quand elle m'a arrachée au destin solitaire qui m'attendait, elle avait le regard d'un loup séparé de sa meute".

Ouvrant la série, cette citation pourrait coller autant à Makio qu'à Asa, l'une pour sa personnalité de toujours, l'autre pour la manière dont elle vient de se voir arracher ses parents. Une réalité qui unit quelque part ces deux héroïnes, quand bien même leur situation ainsi que leur personnalité peuvent paraître bien différentes. C'est ainsi que l'on découvre ces personnalités, en particulier celle de Makio, une trentenaire qui peut paraître bien froide au départ: elle affirme à Asa qu'elle n'a jamais aimé sa soeur décédée, puis dit à l'adolescente que même si elle accepte de laisser Asa vivre chez elle, elle ne garantit pas de parvenir à l'aimer un jour, elle qui ne s'attache pas à grand chose. Mais on le sent d'emblée, Makio n'est pas une mauvaise personne pour autant: elle est simplement sincère, quitte à parfois dire les choses avec maladresse à cause de son côté solitaire et de sa timidité. Et cette sincérité a aussi du bon: elle affirme d'emblée à Asa qu'elle n'a pas à se forcer à pleurer si elle n'en ressent pas le besoin immédiatement, que personne n'a à lui dicter ce qu'elle doit éprouver ni à lui reprocher ce qu'elle ressent ou pas, des mots qui auront vite leur importance au vu des ragots qui courent de façon odieuse pendant les funérailles. Cette personnalité qui peut sembler un peu étrange et difficile d'accès, Asa devra donc apprendre à la cerner au fil du temps, des années passées à vivre avec Makio.

Entre la trentenaire qui n'a jamais été habituée à cohabiter ainsi avec quelqu'un, et l'adolescente qui n'a jamais fréquenté une personne avec un caractère si franc, la cohabitation va alors demander pas mal d'efforts qui passent par une chose: le travail sur soi, pour s'habituer, pour changer, pour évoluer et avancer, autant que possible ensemble. Après tout, Asa a un deuil à faire, qui plus est à une étape si charnière pour l'ouverture au monde qu'est l'adolescence. Et Makio, via la présence de cette "nièce" qu'elle n'avait quasiment jamais vue avant le drame, devra sûrement apprendre à accepter la présence d’une autre personne dans son quotidien, ce qui pourrait bien, à la longue, lui permettre de s'ouvrir un peu plus et de reconsidérer certaines choses, notamment sur la famille.

L'atmosphère de tranche de vie quotidienne s'installe très bien au fil des chapitres qui sont plutôt posés, entre les moments de cuisine et de repas, les premières rencontres pour Asa des quelques proches/connaissances de Makio (son amie nana, son ex Shingo), ou les différents petits conseils (même dits maladroitement) par l'écrivaine. Et parmi ces conseils, l'un a sans doute une importance toute particulière, Makio conseillant à l'adolescente de tenir un journal où elle pourra coucher sur papier ce qu'on lui dit ou ce qu'on ne lui dit pas, ce qu'elle ressent ou ce qu'elle ne ressent pas au moment présent. Et quand bien même elle ne relira peut-être jamais ce journal, écrire dedans ces choses lui permettra toujours d'évacuer des choses qui, d'une manière ou d'une autre, doivent sortir. Intervenant de temps à autre pendant le tome, cet aspect journal apporte une bonne part de finesse à l'écriture de Tomoko Yamashita, la mangaka y exposant avec subtilité et sans trop en faire le ressenti de sa jeune héroïne.

Mais malheureusement, si la finesse d'écriture des textes se ressent bel et bien dans le style de la mangaka, la traduction française effectuée par Pascale Simon ne lui rend pas forcément pleinement honneur. Pas que la version française soit mauvaise: c'est dans l'ensemble clair. Mais certaines formulations ne sonnent vraiment pas naturellement, certains échanges verbaux entre les personnages apparaissent alors un peu poussifs... Espérons que cela se peaufinera par la suite, d'autant que pour le reste l'édition française est assez convaincante avec une jaquette propre, un titre français très bien choisi pour la subtilité qu'il véhicule, et une qualité de papier et d'impression honnête et dans la droite lignée des habitudes de l'éditeur.

Entre les lignes est une tranche de vie qui est donc pleine de promesses. Sous un trait fin, adulte et à la sensibilité, Tomoko Yamashita livre un début de cohabitation réussi entre deux héroïnes qui s'apporteront sûrement beaucoup l'une à l'autre, au gré de leur cohabitation et d'une écriture fine.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs