Donuts sous un croissant de lune Vol.1 : Critiques

Kaketa tsuki to donuts

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 04 Juin 2025

Découverte chez Meian l'année dernière avec la très sympathique série Mariée à ma meilleure amie, la mangaka Shio Usui vient de faire son retour dans la collection Yuri de l'éditeur avec ce qui est en réalité la toute première série longue de sa carrière: "Kaketa Tsuki to Donuts" (littéralement "Croissant de Lune et Donuts"), qui a soigneusement été traduit pour la version française en "Donuts sous un croissant de lune". Achevée en quatre volumes, cette oeuvre a initialement été prépubliée au Japon entre 2019 et 2022 dans les pages du magazine Comic Yurihime des éditions Ichijinsha, l'un des plus réputés magazines Yuri, dans lequel Usui proposa d'ailleurs aussi Mariée à ma meilleure amie entre 2020 et 2023.

On découvre ici Hinako Uno, jeune femme qui a 24 ans, qui est employée de bureau et qui n'a qu'un seul désir: vivre le plus normalement du monde, en premier lieu en cherchant au mieux un compagnon dont elle pourrait tomber amoureuse et avec qui elle pourrait fonder une famille. Pour ça, elle soigne toujours beaucoup son maquillage et ses vêtements à la mode... mais dans le fond, n'est-ce pas pour camoufler quelque chose ? En réalité, Hinako est une femme manquant totalement de confiance en elle: ne se trouvant ni jolie ni douée au travail, elle se raccroche à l'idée de trouver un homme au plus vite pour ne pas finir vieille fille et pour se sentir comme les autres. Pourtant, à chaque rencontre avec un homme, c'est la même rengaine: elle ne parvient pas à tomber amoureuse, se sent fausse, et complexe de plus belle, dans un cercle vicieux dont il semble difficile de sortir.

Pourquoi est-elle comme ça ? Eh bien, à travers une narration très introspective sur ses doutes et une écriture assez subtile sans avoir besoin d'en faire trop, on va petit à petit comprendre l'origine du problème de la jeune femme: elle vit malheureusement, peut-être depuis toujours, sans réussir à être vraiment elle-même, et en se calquant sur les attentes que semblent avoir les autres et de manière générale la société "normale" envers elle. Ici, sa mère (par ailleurs un brin toxique en la rabaissant) lui met la pression pour qu'elle trouve rapidement un mec et "donne l'exemple" à son petit frère. Là, ses collègues, même si elles ne pensent pas à mal, l'enjoignent aussi à rencontrer des hommes en lui disant que la prochaine fois sera la bonne. Quant à son patron, il ne semble même pas se rendre compte que certaines de ses remarques sont très déplacées sur ce que doit être selon lui une femme (être jolie, et toujours sourire pour être plus avenante). Sur tous ces aspects, Shio Usui frappe juste, non seulement car sur un plan personnel elle montre à travers Hinako la façon dont on peut peiner à être soi-même simplement par crainte de ne pas être dans le moule, mais aussi parce que, de façon plus large, elle évoque également une certaine manière rétrograde dont la société peut encore voir les femmes.

Au bout de tout ça, une question essentielle apparaît alors: au-delà des pressions, de l'image et de la notion caduque de "normalité", que souhaite réellement Hinako ? De quoi a-t-elle réellement besoin pour être bel et bien elle-même et pour s'épanouir et s'aimer ? Elle pourrait bien commencer à trouver ses réponses en se rapprochant d'une de ses collègues: Asahi Satô, de cinq ans son aînée. Eternelle célibataire plutôt réservée, solitaire et en même temps calme et efficace au travail, elle est vite jugée par certaines collègues, notamment car à 29 ans elle n'a personne dans sa vie... et pourtant, elle semble très bien le vivre et ne pas craindre d'être seule. Quand un coup du destin et un donuts permet à celle-ci et à Hinako d'échanger plus longuement, notre héroïne découvre en Satô une femme bien plus gentille qu'il n'y paraît, qui ne la juge pas, et à qui elle peut apprendre petit à petit à montrer ses imperfections sans crainte. Portée par des échanges sincères au fil desquels les deux femmes apprennent à se découvrir peu à peu, par quelques personnages secondaires prometteurs (Subaru, la petite soeur d'Asahi, amène déjà un peps supplémentaire), et par la mise en place d'une symbolique intéressante autour du donuts et de la lune, cette relation pour l'instant amicale est déjà très attachante à observer, en promettant de changer profondément Hinako pour, sans doute, lui permettre d'enfin être elle-même à l'arrivée.

Egalement appuyé par un dessin agréable et tout en douceur, le début de Donuts sous un croissant de lune a alors de quoi beaucoup séduire, car au-delà de la belle relation qui se met en place entre les deux héroïnes, Shio Usui parvient surtout à mettre soigneusement le doigt sur un petit paquet de sujets de société autour de l'image qu'on veut renvoyer de soi, du regard porté sur les femmes, et de la façon dont le regard des autres et la soi-disant normalité peuvent nous aliéner. Après Mariée à ma meilleure amie, voila qui confirme sans difficulté le bien que l'on pense de cette autrice !

Côté édition, enfin, Meian livre une copie très propre: la jaquette est fidèlement et sobrement adaptée de l'originale nippone, les quatre premières pages en couleurs sur papier glacé sont appréciables, le papier est à la fois souple, assez épais et plutôt opaque malgré une légère transparence par moments, l'impression est satisfaisante, la traduction de Vanessa Gallon est claire et retranscrit bien les tourments intérieurs de Hinako, et le lettrage effectué par Pierrick Gontero est convaincant.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction