Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 19 Mai 2016
Si vous vous intéressez à la fiction japonaise, quelle qu’elle soit, qu’elle se représente sous la forme de manga, de drama ou de cinéma, peut-être alors êtes-vous passé à côté du nom « Densha Otoko ». Littéralement « l’homme du train », cette histoire est un véritable phénomène de succès au Japon et s’avère prétendument avérée. D’après les témoignages, un otaku aurait porté secours à une jeune femme agressée par un ivrogne dans le métro, avant de rapporter sa mésaventure sur le forum nippon 2-chan, suite à quoi les deux individus auraient repris contacte et noué une idylle. Ce récit, devenu populaire, s’est vu décliné sur moult supports, allant au drama au film cinéma en passant par pas moins de quatre mangas. Cette monture signée Hidenori Hara, que l’on connaît aussi pour Regatta, totalise trois tomes que Kurokawa a choisi de publier en 2007. Difficile donc de dire que l’œuvre raconte une histoire vraie, certains doutant de l’authenticité de ce récit, mais la version officielle stipulerait que le titre conte des événements qui se sont déroulés, en les racontant certainement de manière différente et en les garnissant de quelques détails supplémentaires.
L’intrigue de ce premier tome est alors sensiblement similaire à cette légende urbaine dont nous venons de parler. L’homme du train, peu de temps avant qu’il ne soit affublé de ce sobriquet, emprunte un jour le métro pour rejoindre de son domicile, mais se trouve témoin d’une scène dérangeante durant laquelle un ivrogne agresse différentes passagères du wagon. Ce dernier étant allé trop loin, cette graine de héros se lève et contribue à son arrestation lui valant la gratitude de ses camarades de train, dont la jolie demoiselle assise à côté de lui. Alors, cet illustre inconnu était devenu « Densha », l’homme du train qui a fait acte de bravoure. Suite à ces péripéties, Densha décide de se confier sur un forum japonais, devenant un véritable phénomène pour la communauté. Sa vie change véritablement lorsqu’il reçoit de la jolie demoiselle un colis de remerciement, car Densha, peu enclin à l’oublier, se demande si ce n’est pas l’occasion rêvée pour la recontacter… et le forum est bien de son avis !
Même neuf ans après sa publication en France, Densha Otoko se présente comme une romance surprenante et pleine de fraîcheur sur le plan narratif. Si l’intrigue s’intéressant à la relation entre un otaku sans expérience à une jolie demoiselle des plus pétillantes n’est pas un concept original, c’est bien par sa forme que le manga de Hidenori Hara sort du lot et reste des plus originaux. Prenez un cadre scolaire ordinaire et remplacez-le par un forum internet, intervertissez aussi les fameux camarades du protagoniste par des membres d’une communauté agissant à travers ordinateurs et vous obtenez l’esthétique du titre. Forcément, le contexte de cette histoire aide à créer quelque chose de novateur, mais l’auteur, dans sa représentation de ce récit, insiste énormément sur cette narration en ne se concentrant presque que sur deux types de séquences : les moments d’échanges sur internet et les instants entre « Densha » et « Hermès », soit les scènes en ligne et celles de vie dites « irl » pour rester dans la sémantique employée.
Aussi anodine que cela puisse paraître, cette direction de l’histoire donne un cachet indéniable à ce premier opus. Là où nombre de récits s’intéressent aux personnages secondaires pour ce qu’ils sont, Densha Otoko les traite de manière astucieuse : ces derniers sont anonymes, nous ne les voyons que derrières leurs ordinateurs, mais tous sont récurrents et son présentés de manière à ce que leur personnalité soit palpable, si bien que certains deviennent véritablement attachants sur ce simple opus, sans exposition particulière.
La série a alors toutes les cartes en mains pour être une réussite, tout dépendant alors de la relation entre « Densha » et « Hermès », deux surnoms là aussi puisque nous ne connaîtrons jamais la réelle identité de ces personnages, comme s’il s’agissait de coller aux personnes ayant existé et existant encore et respecter ainsi leur intimité. L’authenticité est d’ailleurs là aussi respectée tant les deux protagonistes sont des individus ordinaires, crédibles et peu excentrique, ce qui rend le titre convaincant. De même, c’est bien que l’évolution ordinaire d’une relation et par les conversations banales que le titre insiste, mais le tout étant porté par une narration bien rythmée, cette évolution et rendue dynamique de même que les liens entre « Densha » et « Hermès » se serrent rapidement, ne laissant jamais de place aux temps morts.
La force de ce premier opus vient aussi du trait de Hidenori Hara qui, même s’il a dessiné son manga en 2005, possède un style très marqué par les années 90, ce qui confère une touche rétro évidente à la série qui présente un charme certain dès les premières cases. Le trait de l’auteur s’avère même assez farfelu, très crédible pour représenter la dimension informatique de l’œuvre, mais insistant beaucoup sur des faciès expressifs et des styles de personnages variés, mais crédibles. L’esthétique ne se prend donc pas véritablement au sérieux, ce qui ne fait que renforcer la légèreté de ce titre qui apaise à plus d’un titre.
Concernant l'édition de Kurokawa, celle-ci est d'excellente facture et parvient à retranscrire l'ambiance et les codes de cette histoire de manière judicieuse, annotant à plusieurs reprises des commentaires permettant de mieux saisir les références dont fait preuve l'oeuvre. Notons aussi que l'éditeur s'est penché sur le mythe de l'homme du train et présente, en guise de pages bonus, une explication sur les forums 2-channel où auraient été postés les déboires d"origine, nous permettant alors de mieux comprendre le fonctionnement de ce forum nippon et les différents échanges entre internautes dans le manga de Hidenori Hara.
Densha Otoko est une œuvre assez atypique, autant pour la légende que le récit représente que pour les qualités que cette adaptation manga du mythe démontrent, mais c’est indéniablement une belle surprise que constitue ce premier opus. Partant d’un récit romantique ordinaire, l’œuvre de Hidenori Hara parvient à déjouer les codes, bien entendu au service d’une histoire qui a marqué les Japonais, afin de propose un titre sentimental on ne peut plus frais, rythmé et souvent amusant. Etant donné que le tout constitue une intrigue dont la fin était déjà connue, le mangaka a toute notre confiance pour les deux volumes restants !