Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 05 Mai 2022
Les éditions Mangetsu semblent plutôt friandes des récits un peu WTF et excessif, comme en atteste notamment la courte et plutôt décevante série Ping Kong, parue au mois de mars. Et après la joueuse de ping-pong gorille de cette oeuvre, c'est un autre animal badass qui vient poser ses pattes et ses plumes chez l'éditeur ! De son nom original Niwatori Fighter, Rooster Fighter est une série qui a été lancée au Japon en décembre 2020 sur le site Comiplex des éditions Shôgakukan, et qui compte 3 volumes à l'heure où cette chronique est écrite. Initialement prévue pour durer justement trois tomes, elle a été rallongée, du fait de son succès dans son pays d'origine. Il s'agit de la deuxième série professionnelle de Shû Sakuraya, un mangaka jusque-là inédit en France, et qui a commencé sa carrière au Japon en 2015 avec la série T-Dragon. Notons que l'oeuvre, pour son édition française, bénéficie d'un joli sous-titre, "Coq de Baston", petit clin d'oeil au manga culte (enfin, au moins dans sa première partie, avant que les affaires de procès entre les deux auteurs ne rende la suite très médiocre) Coq de Combat.
Rooster Fighter nous plonge dans un monde a priori similaire au nôtre en tous points, à ceci près qu'y sévissent les kijû (une parodie des célèbres kaijû, sans aucun doute), de gigantesques monstres assoiffés de sang qui ne pensent qu'à tuer les humains et qui apparaissent soudainement, sans crier gare, ici et là. Ces créatures terrifiantes menacent à tout moment l'espèce humaine, et leurs apparitions aléatoires semble rendre difficile l'intervention des forces de l'ordre ou des forces de défense. Mais heureusement, quand un de ces monstres apparaît, le dénommé Keiji ne semble jamais bien loin, et n'hésite jamais à se dresser contre eux pour les terrasser avec son cri surpuissant. Keiji pourrait donc être le héros de l'humanité, le sauveur capable d'éradiquer cette grande et mystérieuse menace... et cela, même s'il mesure 50cm à tout casser, qu'il n'a que deux pattes et que c'est un sacré emplumé. Car oui, Keiji est un coq.
Le schéma de ce premier volume est globalement assez simple, les pattes de Keiji l'emmènent dans différents recoins (les rues de la ville, le zoo, une île où il se retrouve d'une façon assez surprenante...), à chaque fois un nouveau monstre apparaît soudainement, et le coq le plus badass du monde s'applique alors à lui maraver la face, tel un sauveur n'attendant presque rien en retour (hormis des oursins, peut-être). Ca aurait pu être vite très lassant, mais l'oeuvre ne se limite évidemment pas à ce simple schéma, ne serait-ce que parce qu'il y a autour de Keiji un casting assez fun qui finit par se mettre en place, que ce soit via des personnages secondaires bien campés (à commencer par Gin le borgne, une vieille tortue à qui on ne la fait pas et qui est avide de vengeance envers les mouettes qui ont massacré sa famille), ou a travers des visages tout juste installés dans les dernières pages et qui devraient visiblement acquérir une plus grande importance, notamment l'adorable et frêle petit poussin voulant suivre Keiji dans son périple pour s'endurcir. Mais au-delà de ça, on comprend assez vite, via quelques détails, non seulement que notre héros à plumes poursuit lui-même une quête vengeresse (c'est bien pour ça qu'il traque les kijû), mais aussi que ces monstres pourraient avoir une origine assez particulière. Sur ce dernier point, étant donné que ces créatures lâchent des répliques d'humains bafoués par la société (l'un crie qu'il doit à tout prix remplir les objectifs de vente, un autre déplore que sa propre famille le rejette, etc) et qu'elles ont des designs mi-monstrueux mi-humains, on se doute très vite qu'il s'agit d'humains ayant été transformés, ce qui se confirmera en fin de tome. Et même si ça n'a rien de spécialement original, tout ça suffit à accentuer peu à peu notre intérêt.
Mais venons-en à la principale originalité de ce manga, qui réside évidemment en son personnage principal, un coq particulièrement badass ! Et ce choix d'animal vient clairement d'un désir de l'auteur de parodier quelques peu les mangas d'action virils, car quel animal peut se targuer d'apparaître plus viril qu'un coq ? Des expressions comme "le coq du village" ou "Fier comme un coq", ça doit bien vous dire quelque chose. Keiji se présente donc comme une incarnation du virilisme. Un mâle alpha qui chope de la poulette sans mal, trouve la société actuelle trop laxiste, et s'en va quasiment toujours tel un insaisissable oiseau migrateur ne voulant pas d'une vie posée. Shu Sakuratani s'amuse gentiment de ces clichés, et accentue volontiers le décalage via les techniques de combat de Keiji qui sont dignes d'un coq (piquer les yeux avec son bec, utiliser son surpuissant cocorico comme technique ultime capable de faire exploser ses cibles...), mais aussi en tournant parfois plus vivement en dérision son personnage principal lors de (trop) rares scènes un peu ridicules où il se paie la honte mais tâche quand même de rebondir pour rester classe, à l'image d'un passage où il affirme avoir sa propre façon de nager alors qu'il est juste en train de se noyer. Il y a alors pas mal de bonnes promesses dans tout ce ton décalé et humoristique... mais des promesses qui vont quand même devoir confirmer, car souvent le mangaka nous semble rester un peu trop sage pour un concept de départ aussi barré. Il y aurait pourtant de quoi aller beaucoup plus loin dans le délire sur la longueur, et on espère donc que l'auteur pourra se lâcher toujours plus, pourquoi pas jusqu'à assumer un énorme délire comme l'ont fait John Layman et Rob Guillory avec le coq Poyo dans leur comics Tony Chu.
Enfin, sur le plan visuel, Shu Sakuratani a globalement de quoi séduite par la densité de son trait, avec ses décors très souvent présents, assez riches et réalistes, ses kijû dont les designs se veulent généralement intenses et assez improbables, et ses animaux (notre cher coq en tête) dessinés avec précisions tout en bénéficiant juste de la lueur d'expressivité qu'il faut. Le découpage, bien qu'assez standard, est régulièrement au service des gags, tandis que les moments d'action, finalement assez succincts dans leur mise en scène, reposent généralement sur les quelques techniques de Keiji. Et sur ce dernier point, la mention spéciale revient évidemment aux scènes de "cocori-K.-O." parfois dignes des coups de poing finaux de Saitama dans One-Punch Man, autant dans leur mise en scène ample que dans l'excellent travail sur cette onomatopée (faisant partie intégrante du dessin) et son sous-titrage français (qui s'intègre parfaitement en ne surchargeant rien).
Et puisque l'on parle des excellents choix de lettrage et d'adaptation graphique (où l'on retrouve un nom désormais bien connu, Tom "spAde" Bertrand), soulignons de manière générale une édition largement à la hauteur avec également une jaquette proche de l'originale japonaise et dotée d'un bel effet légèrement brillant, un papier souple et sans transparence permettant une très bonne qualité d'impression, et une traduction généralement assez inspirée d'Alexandre Fournier (notamment pour certains petits jeux de mots).
A l'arrivée, ce Coq de Baston a plutôt de quoi séduire dans l'ensemble, malgré un côté finalement un peu trop "sage" par rapport au délire que l'on pouvait espérer. Tout en jouant honnêtement sur le côté décalé/parodique, Shu Sakuratani parvient à sortir petit à petit du schéma redondant pour esquisser des enrichissements et un fil rouge qui, sans se vouloir très originaux, tiennent la route. Le bilan est donc globalement positif, en attendant de voir si le mangaka pourra montrer un peu plus d'audace par la suite !
Rooster Fighter nous plonge dans un monde a priori similaire au nôtre en tous points, à ceci près qu'y sévissent les kijû (une parodie des célèbres kaijû, sans aucun doute), de gigantesques monstres assoiffés de sang qui ne pensent qu'à tuer les humains et qui apparaissent soudainement, sans crier gare, ici et là. Ces créatures terrifiantes menacent à tout moment l'espèce humaine, et leurs apparitions aléatoires semble rendre difficile l'intervention des forces de l'ordre ou des forces de défense. Mais heureusement, quand un de ces monstres apparaît, le dénommé Keiji ne semble jamais bien loin, et n'hésite jamais à se dresser contre eux pour les terrasser avec son cri surpuissant. Keiji pourrait donc être le héros de l'humanité, le sauveur capable d'éradiquer cette grande et mystérieuse menace... et cela, même s'il mesure 50cm à tout casser, qu'il n'a que deux pattes et que c'est un sacré emplumé. Car oui, Keiji est un coq.
Le schéma de ce premier volume est globalement assez simple, les pattes de Keiji l'emmènent dans différents recoins (les rues de la ville, le zoo, une île où il se retrouve d'une façon assez surprenante...), à chaque fois un nouveau monstre apparaît soudainement, et le coq le plus badass du monde s'applique alors à lui maraver la face, tel un sauveur n'attendant presque rien en retour (hormis des oursins, peut-être). Ca aurait pu être vite très lassant, mais l'oeuvre ne se limite évidemment pas à ce simple schéma, ne serait-ce que parce qu'il y a autour de Keiji un casting assez fun qui finit par se mettre en place, que ce soit via des personnages secondaires bien campés (à commencer par Gin le borgne, une vieille tortue à qui on ne la fait pas et qui est avide de vengeance envers les mouettes qui ont massacré sa famille), ou a travers des visages tout juste installés dans les dernières pages et qui devraient visiblement acquérir une plus grande importance, notamment l'adorable et frêle petit poussin voulant suivre Keiji dans son périple pour s'endurcir. Mais au-delà de ça, on comprend assez vite, via quelques détails, non seulement que notre héros à plumes poursuit lui-même une quête vengeresse (c'est bien pour ça qu'il traque les kijû), mais aussi que ces monstres pourraient avoir une origine assez particulière. Sur ce dernier point, étant donné que ces créatures lâchent des répliques d'humains bafoués par la société (l'un crie qu'il doit à tout prix remplir les objectifs de vente, un autre déplore que sa propre famille le rejette, etc) et qu'elles ont des designs mi-monstrueux mi-humains, on se doute très vite qu'il s'agit d'humains ayant été transformés, ce qui se confirmera en fin de tome. Et même si ça n'a rien de spécialement original, tout ça suffit à accentuer peu à peu notre intérêt.
Mais venons-en à la principale originalité de ce manga, qui réside évidemment en son personnage principal, un coq particulièrement badass ! Et ce choix d'animal vient clairement d'un désir de l'auteur de parodier quelques peu les mangas d'action virils, car quel animal peut se targuer d'apparaître plus viril qu'un coq ? Des expressions comme "le coq du village" ou "Fier comme un coq", ça doit bien vous dire quelque chose. Keiji se présente donc comme une incarnation du virilisme. Un mâle alpha qui chope de la poulette sans mal, trouve la société actuelle trop laxiste, et s'en va quasiment toujours tel un insaisissable oiseau migrateur ne voulant pas d'une vie posée. Shu Sakuratani s'amuse gentiment de ces clichés, et accentue volontiers le décalage via les techniques de combat de Keiji qui sont dignes d'un coq (piquer les yeux avec son bec, utiliser son surpuissant cocorico comme technique ultime capable de faire exploser ses cibles...), mais aussi en tournant parfois plus vivement en dérision son personnage principal lors de (trop) rares scènes un peu ridicules où il se paie la honte mais tâche quand même de rebondir pour rester classe, à l'image d'un passage où il affirme avoir sa propre façon de nager alors qu'il est juste en train de se noyer. Il y a alors pas mal de bonnes promesses dans tout ce ton décalé et humoristique... mais des promesses qui vont quand même devoir confirmer, car souvent le mangaka nous semble rester un peu trop sage pour un concept de départ aussi barré. Il y aurait pourtant de quoi aller beaucoup plus loin dans le délire sur la longueur, et on espère donc que l'auteur pourra se lâcher toujours plus, pourquoi pas jusqu'à assumer un énorme délire comme l'ont fait John Layman et Rob Guillory avec le coq Poyo dans leur comics Tony Chu.
Enfin, sur le plan visuel, Shu Sakuratani a globalement de quoi séduite par la densité de son trait, avec ses décors très souvent présents, assez riches et réalistes, ses kijû dont les designs se veulent généralement intenses et assez improbables, et ses animaux (notre cher coq en tête) dessinés avec précisions tout en bénéficiant juste de la lueur d'expressivité qu'il faut. Le découpage, bien qu'assez standard, est régulièrement au service des gags, tandis que les moments d'action, finalement assez succincts dans leur mise en scène, reposent généralement sur les quelques techniques de Keiji. Et sur ce dernier point, la mention spéciale revient évidemment aux scènes de "cocori-K.-O." parfois dignes des coups de poing finaux de Saitama dans One-Punch Man, autant dans leur mise en scène ample que dans l'excellent travail sur cette onomatopée (faisant partie intégrante du dessin) et son sous-titrage français (qui s'intègre parfaitement en ne surchargeant rien).
Et puisque l'on parle des excellents choix de lettrage et d'adaptation graphique (où l'on retrouve un nom désormais bien connu, Tom "spAde" Bertrand), soulignons de manière générale une édition largement à la hauteur avec également une jaquette proche de l'originale japonaise et dotée d'un bel effet légèrement brillant, un papier souple et sans transparence permettant une très bonne qualité d'impression, et une traduction généralement assez inspirée d'Alexandre Fournier (notamment pour certains petits jeux de mots).
A l'arrivée, ce Coq de Baston a plutôt de quoi séduire dans l'ensemble, malgré un côté finalement un peu trop "sage" par rapport au délire que l'on pouvait espérer. Tout en jouant honnêtement sur le côté décalé/parodique, Shu Sakuratani parvient à sortir petit à petit du schéma redondant pour esquisser des enrichissements et un fil rouge qui, sans se vouloir très originaux, tiennent la route. Le bilan est donc globalement positif, en attendant de voir si le mangaka pourra montrer un peu plus d'audace par la suite !