Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 31 Octobre 2022
Auteur pour le moins indispensable du manga d’horreur, Michiru Noroi est jusqu’à présent inédit dans nos contrées. Dans un contexte où le genre revient au goût du jour, avec les collections destinées à Kazuo Umezz chez le Lézard Noir et Junji Itô chez Mangetsu, de nouvelles figures apparaissent enfin chez nous. C’est donc le cas de Michiru Noroi qui inaugure la collection Hurlements lancée par les éditions Black Box et consacrée aux mangas horrifiques.
On découvre ainsi Michiru Noroi avec Les contes noirs, deux recueils de nouvelles de l’auteur. Le premier d’entre eux propose une sélection de 9 histoires courtes parues au Japon entre 1998 et 2001. De quoi donner une première impression du travail de l’artiste en nous révélant ses débuts dans la profession. La présentation de l’auteur ne se fait pas seulement à travers à ses récits puisqu’un travail éditorial important est à souligner. Michiru Noroi est introduit par une préface d’un géant du manga, à savoir Junji Itô en personne. De plus, le livre contient une postface de Corentin Le Corre, qui supervise la collection Hurlements, ainsi que d’une longue et riche interview exclusive de Michiru Noroi et d’une galerie d’illustrations.
Mais revenons aux mangas qui composent ce recueil, qui sont sans aucun doute les éléments les plus intéressants. Comme beaucoup de mangas d’horreur, le genre étant intimement lié au shôjo manga, les récits de Michiru Noroi mettent en scène des jeunes filles, voire des femmes, dont la vie prend une tournure morbide. Un basculement brutal contraint notamment par le faible nombre de pages des histoires qui renforce la sensation d’effroi. D’autant que l’auteur joue astucieusement avec ces récits, se permettant des originalités scénaristiques comme passer outre la linéarité d’une histoire, quand il n’offre pas un retournement de situation pouvant donner un tout autre sens à ce qu’il raconte. La brièveté des histoires est malgré tout une limite à leur développement et ne permet pas à l’auteur de prendre son temps, ce qui peut être pour certains une source de frustration à la lecture.
Plusieurs motifs récurrents sont entrevus ce premier tome, comme la présence de diables ou encore la fascination pour la création d’un être vivant, mythe de Frankenstein par excellence qu’il a en commun avec des auteurs comme Junji Itô ou encore Usamaru Furuya. Pourtant, les mangas de Michiru Noroi, même s’ils sont dans la lignée directe de Junji Itô et Miyako Cojima, font bien plus penser à un mélange entre Kazuo Umezz pour l’esthétique générale ou encore la perversion des humains et Hideshi Hino pour le goût des choses informes. D’autres motifs sont à souligner, comme la représentation de symboles rappelant l’Allemagne nazie et la Seconde Guerre Mondiale en général, une esthétisation dont la portée n’est évidemment pas politique, mais davantage provocatrice et horrifique, rappelant le côté morbide et dramatique de cette époque. La noirceur de l’âme des humains, leurs obsessions et leurs perversions sont aussi des éléments récurrents qui viennent nous troubler dans Les contes noirs. Concernant la perversion elle est aussi bien macabre que sexuelle. Un pacte avec un diable permet ainsi à une jeune fille d’obtenir un pénis, symbole de puissance ramenant à la domination de son père, quand une autre essaie de donner la vie à une créature de Frankenstein à son image dans un délire narcissique poussée à l’extrême dans le but de servir d’objet de plaisir.
En fait, à travers Les contes noirs, Michiru Noroi nous offre le loisir de découvrir des nouvelles d’une profondeur dont la brièveté rend insoupçonnable. S’il évoque des œuvres littéraires comme Faust ou Frankenstein, il convoque également des peintures de Magritte, Goya ou Bosch dans ses récits. De plus, il nous livre des mangas avec des contextes historiques assez poussés, ce qui se ressent aussi bien dans ses dessins que son écriture. Mais le plus notable est sans nul doute son goût pour le symbolisme et les métaphores, donnant du sens à ses récits au-delà même de leur fonction de base qui est d’effrayer.
Graphiquement, Michiru Noroi a son style bien à lui. Notamment au départ de ses histoires, il peut dessiner des visages innocents, même plutôt niais, ne donnant pas du tout le ton du reste du récit. Puisque son style prend vite le dessus lors du basculement vers l’horreur et qu’il a un don pour représenter des femmes sures d’elles, avec un air satisfait. Quand il ne fait bien sûr pas tomber ses personnages dans l’effroi ou la folie. Au niveau purement horrifique, on ressent un goût pour l’informe qui lui provient très certainement des mangas de HIdeshi Hino, tout comme sa propension à dessiner des insectes ou des serpents. Dans tous les cas, le style Michiru Noroi est saisissant, empreint d’un romantisme noir brisé par une brutalité iconique.
Ce tome initial du dytique Les contes noirs marque donc une première approche réussie avec la bibliographie de Michiru Noroi en France. On découvre des récits terrifiants, symboliques et profonds avec un style sublimant l’affreux. Même si les nouvelles sont construites avec minutie, leur brièveté pourra toutefois décontenancer les lecteurs préférant les histoires qui prennent leur temps. Mais qu’importe, quand on referme ce premier volume, on a qu’une envie, c’est de découvrir de nouvelles histoires de l’auteur. Et cela tombe bien, les éditions Black Box ont eu la bonne idée de sortir le second tome en même temps.