Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 07 Octobre 2024
Le début de ce mois d'octobre est, mine de rien, à marquer d'une pierre blanche, puisqu'il voit arriver pour la première fois en France un livre d'un artiste japonais qui a considérablement marqué de son empreinte tout un pan esthétique du manga, et plus encore: Macoto Takahashi. Peut-être que son nom ne vous dit rien, mais il y a fort à parier que vous avez déjà aperçu, sans le savoir, certains de ses travaux, en particulier ses illustrations de jeunes filles qui ont durablement marqué de nombreux fans à travers le monde.
Né le 27 août 1934 à Osaka, celui qui se fait aussi appeler MACOTO est un peintre, illustrateur et mangaka japonais, qui, bien que sa carrière dans le manga ait été courte (fin 1950s-début 1960s), a marqué de son empreinte le genre du shôjo, en lui établissant toute une norme de mise en page et en lui conférant certains éléments esthétiques propres comme les grands yeux brillants. Toutefois, à partir des années 1960, il délaisse totalement le manga, car il ne s'estime pas apte, en tant qu'homme, à bien retranscrire le point de vue de personnages féminins. Il se concentre alors sur ses autres centres d'intérêt, à savoir la peinture (notamment lyrique) et l'illustration, en illustrant au fil du temps des pochettes d'albums, des papeteries, des couvertures de magazines, et en se prenant aussi de passion pour mettre en images divers contes célèbres,l'essentielle de son travail tournant autour de la mise en images de jeunes filles qu'il imagine souvent comme des petites princesses,quel que soit leur statut. En parallèle, ses travaux deviennent de plus en plus populaires auprès de la culture Gothic Lolita, en particulier dans les années 1990 et 2000.
Grâce à la maison d'édition Huginn&Muninn et à leur éditeur jeunesse Qilinn, c'est précisément à travers des contes illustrés que l'on peut enfin découvrir officiellement et physiquement le travail du maître dans notre pays. Paru au Japon en 2022 aux éditions Gakken, Contes de princesses consiste en une sélection de 9 contes bien connus et intemporels par Yôko Yaoita, une spécialiste de la littérature jeunesse née en 1946 dans la préfecture de Fukushima, qui a remporté plusieurs prix pour ses travaux et essais au Japon mais aussi en Bulgarie où elle a fait ses études.
Parlons tout d'abord du contenu des contes sélectionnés, qui ont en premier lieu un grand mérite: représenter à la fois l'Occident (l'Europe) et l'Orient (Le Japon et un peu la Chine) pour souligner l'aspect universel de ces histoires que l'on conte si souvent aux enfants. Ainsi a-t-on droit à trois contes d'Andersen (La Petite Sirène, La Petite Poucette et Les Cygnes sauvages, puis à trois contes japonais (Princesse Kaguya, La Princesse au bol, et Princesse Orihime qui a aussi des origines chinoises), et enfin à trois contes de Perrault et Grimm (Cendrillon, La Belle au bois dormant et Blanche-Neige), le point commun de toutes ces histoires étant évidemment de mettre en scène de princesses. Condensant soigneusement chaque conte en un nombre limité de pages (15-20 pages par conte, chaque page n'ayant que quelques phrases de texte pour surtout laisser s'exprimer les illustrations), Yôko Yaoita y retient à chaque fois parfaitement l'essence et la clarté des récits, en ayant également pour mérite de ne pas édulcorer les propos et messages (on pense en premier lieu à la conclusion de La Petite Sirène, souvent différente du conte original dans les adaptations). Mieux encore, encore fin d'album elle revient un petit peu plus sur chacun de ces contes, pour mieux les présenter au jeune public mais aussi aux plus grands qui se laisseraient tenter.
Enfin, chaque conte est donc mis en images à travers une salve d'illustrations que Macoto Takahashi a eu l'occasion de concevoir au fil de sa carrière, pour un résultat éblouissant. Comme il l'explique dans sa préface, l'artiste, qui a toujours été fasciné par l'illustration de jeunes filles (il en dessine depuis ses dix-neuf ans), aime les représenter avec un certain onirisme, et on ressent pleinement la féérie des figures qu'il met en scène: grands yeux brillants typiques et qu'il a popularisés dans les années 1950 bien sûr, mais aussi silhouettes fines et gracieuses, chevelures captivantes, visages un peu arrondis, tenues vestimentaires très travaillées et où l'on sent à chaque fois une vraie réflexion sur ce que va porter tel ou tel personnage, nombreux motifs merveilleux, colorisation aux teintes pastel à la fois douces, vives et nuancées... Le style de Takahashi colle totalement à ces figures de princesses restées dans les mémoires collectives.
Enfin, pour parfaire le tableau, il fallait une édition à la hauteur, et là-dessus l'éditeur ne s'est pas du tout raté: pour un prix de 24,95€, on a droit à un très grand format cartonné rigide de 24x25cm, dont la couverture bénéficie de jolis éléments dorés brillants, et dont les 170 pages toutes en couleurs sont imprimées sur un excellent papier bien opaque et épais afin de rendre pleinement honneur aux nuances et à la richesses des illustrations de Makoto Takahashi. Un bien bel objet-livre !