Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 06 Novembre 2009
« Je ne peux pas détourner le regard. Je suis aspiré. »
Aujourd’hui, des mangas, on en a sur tout et n’importe quoi, sur la musique, sur la pâtisserie, sur les enseignants, les pompiers… Cette série de Hisae Iwaoka vous propose de suivre le quotidien pittoresque de… laveurs de carreaux. Non, non, vous ne rêvez pas… Mais restez encore un peu, car ces nettoyeurs de vitres ne sont pas vraiment comme les autres, de par leur lieu de travail, à savoir la cité Saturne ! Dans un certain futur, ce gigantesque anneau orbital s’élèvera à 35000 mètres de la surface de la Terre. Cette dernière ayant été érigée au statut de zone protégée, c’est toute l’humanité qui vit au sein de cet imposant complexe satellitaire. La société s’y est bâti selon trois niveaux : le niveau supérieur, où vivent les classes aisées, le niveau inférieur ou vivent les gens plus modestes, et enfin, un niveau intermédiaire, qui contient les infrastructures publiques, notamment les écoles.
C’est dans ce contexte qu’apparaît notre héros, Mitsu. Son diplôme de collège en poche, le jeune garçon désire entrer dans la vie active en devenant un nettoyeur des vitres extérieures de la station. Un rôle capital pour faire entrer la lumière naturelle au sein de l’édifice. Mais pour Mitsu, c’est surtout l’occasion de suivre les traces de son père et de comprendre les raisons de sa disparition, cinq années plus tôt. Il aura alors l’occasion de collaborer avec d’autres personnes comme le doyen Jin qui lui apprendra les ficelles du métier, mais également Makoto, qui n’appréciera guère l’arrivée du garçon dans la compagnie, se fait chouchouter de tous.
Mais ne réduisons pas cette série à la simple quête initiatique du garçonnet : la cité Saturne est une histoire d’une richesse inattendue, qui peut s’apprécier à divers niveaux de lecture. A l’instar de ses homologues de S.F. que sont Planètes ou Aria, le rythme est lent, presque amorphe, afin de rendre un point de vue contemplatif à cet univers d’anticipation fantasmé, et pourtant très cohérent. Tout comme Mitsu, on plonge totalement dans l’émerveillement d’une vision de notre planète depuis l’espace. De plus, tout comme ces deux séries, on retrouve cet aspect « tranche-de-vie » dans un lieu qui n’a rien de commun, mais la justesse du propos de l’auteur et la description de l’infrastructure apportent beaucoup de réalisme à l’ensemble. La lutte des classes est décrite de manière très juste, sans user de clichés visant le pathétique. Ici, tout est dans le symbole apporté par nos héros. Les riches ont de quoi se payer leurs services, et bénéficient alors de la lumière du soleil, alors que les vitres des pauvres restent désespérément ternes et ils vivent dans l’obscurité. Les nettoyeurs de carreaux ont alors un travail assez ingrat, dangereux parfois, mais leur rôle est pourtant si essentiel. Ils subissent les moindres caprices de leurs employeurs, sont voués à être remplacés à plus ou moins long terme par des machines automatisées, et pourtant ils continuent de trouver de la gratitude dans le regard des gens, même quand celui-ci passe au travers d’une vitre. Pénétrant ainsi dans l’intimité de leurs clients, on découvrira tour à tour le quotidien de ces gens qui vivent au sein de la station, même si l’accent est surtout mis sur les employés eux-mêmes, aux destins tellement atypiques.
Atypiques, un qualificatif qui sied également aux dessins de Iwaoka. Le design des personnages est très particulier, aux limites du Super Deformed, avec des visages rondouillards et des yeux très petits, rendant des expressions tout en retenue, parfois figées. Les décors sont très réussis, utilisant une compromis habile entre le crayonné et le tramage. Le découpage des cases très sobre, permet quant à lui de retranscrire parfaitement le rythme reposé du manga. L’édition offerte par Kana est plus que correcte au niveau du support, avec une couverture légèrement gaufrée. L’encrage et le papier sont également de très bonne qualité. En revanche, l’adaptation des textes souffre parfois de quelques lourdeurs, du fait d’une traduction bien trop littérale, au point que l’on ne comprend parfois plus le sens du dialogue d’une case à l’autre. Une mauvaise habitude chez l’éditeur qui devrait être corrigée au plus vite…
En conclusion, si la cité Saturne ne paye pas de mine de premier abord, son aspect contemplatif devrait séduire les amateurs de récits calmes et qui savent prendre leur temps, en le consacrant aux portraits de personnages très attachants. Une petite perle du genre, qui risque malheureusement de passer inaperçu, ce serait bien dommage !