Chien gardien d'étoiles (le) Vol.1 - Actualité manga
Chien gardien d'étoiles (le) Vol.1 - Manga

Chien gardien d'étoiles (le) Vol.1 : Critiques

Hoshi Mamoru Inu

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 04 Mai 2011

Il y a des oeuvres, comme ça, qui sont capables de toucher en profondeur avec la plus grande simplicité, sans user d'effets de style. Le chien gardien d'étoiles fait partie de ceux-là. Elu livre de l'année 2009 par le magazine Da Vinci, quatrième meilleur manga 2010 par le magazine Takarajima, troisième meilleure oeuvre au Bros Comic Award de Tokyo News, le premier ouvrage à paraître en France du pourtant prolifique Takashi Murakami débarque aux éditions Sarbacane (qui publient là leur troisième titre asiatique, après Tendre est la mort et Sous l'eau, l'obscurité) précédé d'une très flatteuse réputation qui ne tardera pas à se voir pleinement confirmée.

Le titre japonais, Hoshi Mamoru Inu, est une expression renvoyant aux personnes cherchant toujours à obtenir ce qu’il est impossible de posséder, à l’image d’un chien regardant fixement les étoiles en ayant l’air de vouloir les attraper.

L'ouvrage de 125 pages se découpe en deux grandes parties liées de près.

Le premier chapitre, offrant son nom à l'oeuvre et s'étalant sur 80 pages, s'ouvre dans un terrain vague offrant une belle vue sur les montagnes japonaises. Dans ce terrain vague, une voiture, laissée à l'abandon depuis apparemment un bout de temps. Dans cette voiture, la police retrouve le cadavre d'un homme, apparemment là depuis plus d'un an. A ses pieds, le corps sans vie d'un chien, qui s'est vraisemblablement éteint il y a à peine trois mois.
Après cette ouverture, l'auteur nous invite à revenir sur le parcours de cet homme. Anonyme, il coule des jours heureux avec sa femme et sa petite fille Miku, à qui il offre bientôt un chiot qui devient le centre d'attention de l'enfant et de la famille. La fille passe tout son temps avec lui, le père le promène tous les jours.
Les années passent. La fille, en pleine crise d'adolescence, a grandi et ne s'occupe guère plus du chien. Le père est au chômage. La mère ne tarde pas à lui demander le divorce. Il a une maladie incurable. Il n'a plus rien, si ce ne sont sa vieille voiture et cette boule de poils affectueuse. Il décide alors de s'éloigner de tout, de partir en voyage, sur les routes du bord de mer, pour finir par quitter celles-ci et trouver refuge dans un terrain vague non loin d'un camping, subsistant en mangeant ce qu'il peut, vivant ses derniers instants, apaisé, avec pour seule compagnie son plus fidèle compagnon, qui le suivra dans la mort quelques mois plus tard, après avoir toujours veillé sur son maître...

Cette vie s'étalant de l'arrivée du chien dans la famille à sa mort, Murakami nous propose de la suivre à travers le regard de l'animal, et c'est sans doute là l'une des grandes forces de l'oeuvre. Ici, la majorité des bouleversements sont montrés via les pensées du chien, présentées sous la forme de paroles enfantines. Le chien "s'exprime" de manière naïve, toujours enjouée, ne comprenant pas tout à ce qui se passe, comme le fait que la fille de la famille ou que les gens du camping le repoussent, mais conservant une indéfectible fidélité envers celui qu'il appelle "Papa", comme un enfant. Instantanément, l'animal devient attachant et touchant, face aux incompréhensions et négligences qui s'accumulent autour de lui sans que cela ne semble l'affecter en profondeur, et face à la bienveillance de son maître, qui trouve en lui un véritable refuge quand tout commence à aller mal.

A travers le chien, nous découvrons en ce "Papa" un homme a priori austère, pas spécialement expressif, laissant couler sa vie. Un employé japonais de la vieille école classique, simple, tout simplement incapable, comme beaucoup, de s'habituer aux méfaits d'une société évoluant trop vite en oubliant les valeurs fondamentales et qui n'a guère le temps de s'intéresser à ses individus, une société qu'il va finir par quitter pour trouver le salut.

Ce départ en forme de voyage va se voir jonché de rebondissements qui, à l'instar de ce qui a été dit précédemment, sont autant de petites critiques sociétales (rencontre d'un petit garçon livré à lui-même qui va finir par le voler), et, surtout, de preuves de la puissance du lien unissant "Papa" à son chien. Il n'hésite pas à vendre tout ce qui lui reste pour pouvoir soigner l'animal malade chez le vétérinaire, se confie à lui face à la mer, le remercie sans cesse sans que le chien ne comprenne vraiment pourquoi, car pour cette boule de poils bourrée de pureté et d'innocence, il est tout naturel d'être toujours là pour son maître. Et le tout se suit jusqu'à la fin mémorable de ces deux êtres. Le premier, rongé par la maladie, finit par s'éteindre dans un ultime remerciement pour son fidèle compagnon, qui va rester à ses côtés encore de longs mois, nourri des souvenirs des moments passés avec son maître, et comme s'il avait encore l'espoir de le voir se réveiller, avant de finir par partir à son tour.

Pour autant, n'allez pas croire que le Chien gardien d'étoiles offre une surenchère émotionnelle qui serait indigeste. Ici, le ton est on ne peut plus juste, et le style de Murakami rappelle de façon déconcertante celui d'une artiste comme Fumiyo Kono, auteure du magnifique Pays des Cerisiers. Le trait est doux, se fait volontairement enfantin, présente des décors aboutis, et offre des portraits mémorables de ces deux êtres unis jusque dans la mort. "Papa" cache une personnalité touchante derrière son air un peu renfrogné (façon Sanpei dans Pour Sanpei de Kono), le chien révèle une bouille innocente irrésistible, dont l'aspect pur est encore renforcé par un pelage blanc. Murakami compte son histoire avec la plus grande simplicité, le ton reste assez léger et jamais pessimiste, alors même que le dénouement, que l'on sait inévitable puisqu'on en prend connaissance dès la première page, se rapproche. Et le drame final est montré très sobrement, sans voyeurisme, sans esbroufe, avec le plus grand respect de ces deux êtres. Plus qu'un cri envers l'égarement de la société et envers la mort, le Chien gardien d'étoiles constitue, notamment grâce à la pureté, la fidélité et la joie de l'animal, un appel à la vie.

La deuxième partie, intitulée "Tournesols", s'étale sur une quarantaine de pages. Okutsu (nom signifiant "abri de l'âme", un nom qui lui était destiné) a une soixantaine d'années. Depuis toujours, il vit dans la maison que lui ont laissée, en même temps qu'une vieille voiture de 1964, ses grands-parents qui l'ont élevé. Une grande bâtisse perdue au milieu d'un champ de tournesols, où l'air s'engouffre avec une facilité déconcertante. Il n'a jamais été marié, vit seul, et se contente de ses petites habitudes, comme se rendre tous les samedis à la bibliothèque municipale. Un homme simple, qui s'applique néanmoins dans son travail d'assistant social.
Un jour, Okutsu se voit chargé d'organiser les funérailles d'un homme mort depuis plus d'un an, dont le corps a été retrouvé dans une voiture abandonnée dans un terrain vague. A ses côtés gisait le corps d'un chien mort depuis trois mois, qui a été enterré sur place. Personne ne sait qui est l'homme mort, car il a pris soin de se débarrasser de tous ses papiers d'identité et d'enlever les plaques d'immatriculation de la voiture.
Face à ce travail, le soixantenaire ne peut s'empêcher de se remémorer son enfance. La construction d'une terrasse avec vue sur les tournesols par le grand-père pour offrir une fin apaisée à sa femme malade mais gardant le sourire. Puis la mort soudaine du grand-père. Mais, bien avant d'en arriver là, huit ans auparavant, le chien que le vieil homme avait offert à son petit-fils.
Quand il se rend sur le lieu où a été retrouvé le corps, Okutsu constate la tombe du chien, juste à côté de la voiture, puis trouve par hasard un ticket de brocante dans la voiture. Muni de ce seul indice, il décide alors de partir en voiture pour retracer les derniers instants de vie de cet homme et de son animal...

Au fil de son voyage, il est amené à découvrir à quel point les liens entre l'homme et son chien pouvaient être forts, le premier n'ayant pas hésité à sacrifier ses dernières ressources pour soigner son animal, le deuxième étant resté aux côtés de son maître jusqu'à son dernier souffle. Et cela réveille en notre vieil homme ses propres souvenirs du chien de son enfance. Il se rappelle les moments passés à regarder cet animal vouloir jouer à la balle, et, surtout, la négligence qu'il a pu montrer envers une boule de poils qui souhaitait simplement rester auprès de lui.
Au fil des pages, les regrets d'Okutsu se font plus vifs, jusqu'à ce qu'il finisse par comprendre pourquoi son grand-père lui avait offert ce chien. Pendant les douze années de sa vie, il a toujours veillé sur son maître, encore plus lorsque ce dernier s'est retrouvé seul suite à la mort de ses grands-parents. Cherchant sans cesse à jouer à la balle, comme pour avoir une reconnaissance qu'il n'aura que trop tardivement. Comme pour obtenir quelque chose qu'il a toujours regardé fixement et qu'il n'aura jamais vraiment eu: l'amour de son maître. A l'image d'un chien gardien d'étoiles.

Tout cela, Okutsu ne le comprend que trop tard. Mais, comme une rédemption, une demande de pardon, il deviendra lui-même le chien gardien d'étoiles du souvenir de "Papa" et de son fidèle compagnon.

Tout comme dans le premier chapitre, le ton reste juste, jamais trop larmoyant, et jonché de pensées bourrées de sens. Murakami livre en Okutsu un homme dont la simplicité et l'aspect un peu décalé le rendent aussi attachant que les héros de la première partie. Malgré la mort, malgré les regrets, l'ambiance n'est jamais pesante, bien au contraire, et le message de vie et d'espoir est là car les choses continuent pour tous, y compris pour ce jeune garçon qui a volé "Papa" ou cette fille qui a fini par laisser tomber son chien, que nous revoyons à la fin, et aussi parce que, comme le dit Okutsu, "Tant que nous sommes en vie, nous sommes tous, potentiellement, des chiens gardiens d'étoiles".

Apologie de nos fidèles compagnons tout autant que gentille critique de nos sociétés et essai sur la vie et la mort, le Chien gardien d'étoiles est une histoire complète et déchirante bourrée de vérités, sublimée par le ton simple, jamais larmoyant ou acerbe, de Takahashi Murakami. Une oeuvre exceptionnelle ? Assurément. Un futur grand classique dans sa catégorie ? Osons dire oui.


Koiwai


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
20 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs