Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 26 Juin 2025
Lancé en France par Kurokawa en cette fin de mois de juin, Centuria est voué à être l'une des grosses nouveautés de l'éditeur pour cette année 2025, comme en atteste la venue exceptionnelle de son auteur à Japan Expo dans quelques jours, ainsi que la campagne de promotion assez forte autour de l'oeuvre. Lancée au Japon en 2024 sur le site Shônen Jump+ des éditions Shûeisha, et figurant donc aux côtés de pas mal d'oeuvres très populaires comme SPY x FAMILY, DanDaDan ou encore KAIJU N°8, il s'agit de la toute première série de Tohru Kuramori, un auteur qui, auparavant, a eu l'occasion de signer deux histoires courtes, "Killer Parent" et "Chikyû Kiroku 0001", déjà pour le Shônen Jump+, mais aussi de faire ses premières armes en tant qu'assistant de Tatsuki Fujimoto. Comptant cinq volumes dans son pays d'origine à l'heure où ces lignes sont écrites, Centuria s'est d"ores et déjà illustré là-bas en finissant 7e du Tsugi Ni Kuru Manga Taishô 2024, un prix qui récompense les nouvelles oeuvres qui feront parler d'elles dans le futur.
Dans un monde fictif semblant teinté de dark fantasy, on commence par découvrir un navire voguant sur les eaux, avec à son bord un capitaine dépourvue de la moindre morale, ses hommes d'équipages, cent esclaves rabaissés au rang de simple marchandise... et un passager clandestin, Julian adolescent qui essaie de fuir par les eaux après avoir été vendu par sa propre mère. D'abord voué à être jeté dans l'océan, le jeune garçon est vivement protégé par les autres esclaves, si bien que le capitaine accepte de le garder à bord. Après tout, une fois arrivés à destination, ça fera quelqu'un de plus à vendre...
C'est ainsi que le trajet maritime se poursuit, et que Julian s'intègre et découvre des choses qu'il ne connaissait pas, comme l'entraide auprès des esclaves qui apparaissent sans aucun doute infiniment plus humains que les marchands les trimballant, et surtout l'amour familial grâce à, Mira, une femme enceinte pétrie de regrets mais aussi de bonté, auprès de qui il va découvrir une forme d'affection maternelle qu'il n'a jamais connue auparavant, et à qui il va profondément s'attacher au point d'être prêt à risquer sa vie. Pour la première fois, au-delà de sa quête de liberté, Julian se sent alors aimé... mais ne peut pas encore se douter de l'horrible tragédie qui est sur le point de s'abattre sur le navire sous le joug d'un surprenant monstre marin qui va inexorablement bouleverser son existence... et consolider de plus belle son désir de vivre libre et d'assurer le bonheur des êtres en qui il tient.
Nous plongeant d'emblée dans un univers dur au vu de la condition d'esclaves des personnages, des grosses inégalités qui en résultent puis des créatures terrifiantes se tapissant dans les profondeurs marines, Centuria joue volontiers sur cette atmosphère sombre, conviant la dark fantasy et l'horreur jusque dans ses visuels où les morts sont sales et les designs de monstres marins un petit peu lovecraftiens (forcément, dès qu'il est question d'une créature tentaculaire...), pour faire ressortir de plus belle le début de nouvelle vie et de quête de Julian. Une quête sur laquelle on va éviter de trop en dire pour ne pas spoiler les principaux rebondissements de ce tome de mise en place, mais dont on peut au moins souligner la teneur affective et humaine, car il sera avant tout question pour l'adolescent d'assurer une vie décente et heureuse à ceux en qui il tient le plus au monde.
Derrière ce monde difficile et impitoyable où le sujet de la condition d'esclave ressort assez bien, entre autres, sur un plan plus personnel ce sont des sujets touchants qui se dessinent alors, à travers la volonté de Julian de découvrir et de comprendre l'amour familial qu'il n'a jamais connu, de voir jusqu'où on peut aller pour protéger les personnes qu'on aime (notamment en terme de sacrifice) et de conquérir un honneur longtemps bafoué. Dans cette optique de tisser des liens forts, au-delà de la nouvelle puissance folle qui est vouée à l'occuper, notre héros pourra déjà compter sur la dénommée Diana, ainsi que sur Titi et sur Enbarr, ce dernier personnage étant par ailleurs déjà assez chouette dans sa manière de déjouer certains poncifs. Et tandis que le mangaka offre une importance centrale à la mer et aux forces qui s'y trouvent avec principalement le concept de bénédiction de l'océan, on retiendra aussi fortement ce qui est véhiculé sur la notion de famille: on peut être une famille sans avoir de liens du sang, et ne pas du tout en être une malgré ces liens du sang.
Visuellement, enfin, en plus de ce qui a déjà été dit plus haut, soulignons la qualité des décors et du navire qui ont un rendu graphique très dense et soigné, en participant facilement à l'immersion. Au-delà des visages et autres expressions faciales rappelant beaucoup ce que peut faire son maître Tatsuki Fujimoto, Kuramori livre également des designs humains intéressants et bien différents en termes de gabarits et de look vestimentaires, Enbarr et Titi en étant les meilleures preuves. Soulignons aussi le beau travail sur le rendu assez sombre de la mer, que celle-ci soit faussement calme ou déchaînée pour notamment laisser apparaître ses inquiétants habitants. Enfin, concernant les scènes d'action, le dessinateur ne les étire jamais beaucoup, en préférant largement jouer sur quelques planches impactantes et intenses dans leurs représentations.
A l'arrivée, il ne reste plus qu'à attendre de voir comment tout ceci va se développer, mais il est sûr que Centuria affiche un très bon potentiel sur ce premier opus. Un peu à la façon de Makoto Yukimura dans Vinland Saga, mais avec une part de fantastique en plus, Tohru Kuramori met en place un univers difficile et violent, où ce sont pourtant des notions très humaines qui devraient ressortir. Affaire à suivre, mais sur ce seul volume on part conquis !
Cette chronique ayant été réalisée à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur, on ne donnera pas d'avis sur l'édition.