Cauchemar d'Innsmouth (le) Vol.1 - Actualité manga
Cauchemar d'Innsmouth (le) Vol.1 - Manga

Cauchemar d'Innsmouth (le) Vol.1 : Critiques

Innsmouth no Kage

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 27 Octobre 2021

Chronique 2 :

Cela fait désormais trois années que, tous les six mois environ, les éditions Ki-oon nous amènent en France un nouvel ouvrage de la collection des Chefs d'oeuvre de Lovecraft, une collection au fil de laquelle le talentueux mangaka Gô Tanabe livre en images sa propre vision des écrits cauchemardesque du célèbre écrivain. Ce mois d'octobre n'a pas fait exception avec la publication du premier volume (sur deux) du Cauchemar d'Innsmouth, une adaptation toute récente puisque Gô Tanabe l'a dessinée pendant environ un an, à partir de mai 2020, toujours pour le compte du magazine Comic Beam d'Enterbrain/Kadokawa.

Le Cauchemar d'Innsmouth, c'est un court roman horrifique que H.P. Lovecraft acheva d'écrire en 1931, mais qui ne sera pas publié avant 1936. S'inscrivant dans le fameux Mythe de Cthulhu, l'oeuvre en est même considérée comme une pierre angulaire, est souvent considérée comme l'un des meilleurs récits de l'écrivain, et est même son seul écrit à avoir été publié sous forme de livre de son vivant, seulement quelques mois avant sa mort en mars 1937.

L'histoire commence ici par une succession de doubles-pages très noires et captivantes de Gô Tanabe, qui posent le contexte sordide lié à la ville d'Innsmouth: en 1927, des agents du gouvernement menèrent une enquête top secrète dans l'ancien port de pêche d'Innsmouth dans le Massachusetts, puis effectua une série de perquisitions et d'arrestations avant de dynamiter un certain nombre de maisons sur le front de mer, comme pour cacher quelque chose où s'assurer que cette chose disparaisse. Depuis, tout le monde est toujours resté mutique sur cette affaire ayant eu lieu dans une ville sur laquelle, depuis déjà plus d'un siècle, était la cible de rumeurs toutes folles et horribles. Innsmouth est ainsi devenue une cité en plein déclin, quasiment fantomatique, dont personne ne parle ou n'ose parler, et qui n'est même plus indiquée sur les cartes. Mais un homme compte bien révéler à présent la vérité sur les heures effroyables qu'il a passées dans ce port sur lequel plane l'ombre du démon. Cet homme, qui s'apprête à mettre fin à ses jours dans les premières pages (un gimmick récurrent des débuts des récits de Lovecraft), il se nomme Robert Olmstead, et c'est donc son récit que nous allons suivre.

Son histoire débute donc quand, depuis la cité de Newburyport, il souhaite rejoindre la ville d'Arkham (une ville qui dira nombre de choses aux habitués de Lovecraft), mais est obligé pour ça de faire une halte en bus par Innsmouth. D'emblée, nombre de personnes lui déconseillent de faire ce choix, mais sans en dire plus, ce qui laisse déjà planer une ombre sur ce port que tout le monde évite. Mais les personnages principaux de Lovecraft ont pour habitude d'être précisément intrigué par ce qu'on leur déconseille de faire, et c'est bien pour ça que Robert se rend jusqu'à Innsmouth. Dès on arrivée, il découvre une ville sinistre, quasiment morte, dont les maisons tiennent à peine debout. mais il ne s'agit que des prémisses d'une découverte toujours plus malsaine de la ville...

Adaptant la première moitié du roman d'origine, ce premier volume suit un schéma que l'on retrouve souvent chez Lovecraft: petit à petit, le personnage principal explore un endroit sordide comme s'il était attiré par celui-ci, et met petit à petit le point sur toutes les choses effroyables que l'on évoque dessus... avant d'y être lui-même confronté directement, ce qui sera gardé pour le 2e et dernier tome. Car dans cette première moitié, tout est donc question d'ambiance, où Lovecraft, petit à petit, éveille la peur par l'évocation de plus en plus prégnante des sombres secrets d'Innsmouth. Il sera tour à tour question des bâtisses sinistres et délabrées, des rumeurs de pactes démoniaques et de culte autour d'un dieu marin bizarre, d'habitants étant devenus difformes ou ayant tout bonnement disparus suite à ces cultes... L'enquête de Robert est d'abord assez vague en suscitant juste l'angoisse, puis prend peu à peu plus de consistance, en particulier dans la dernière partie du volume portée par un témoignage plus précis d'un vieil habitant ivrogne ayant vu la cité dépérir et ayant assisté au pire de ce qu'elle a connu.

La recette est simple et particulièrement efficace dans sa montée permanente dans l'horreur suggérée, les habitués de Lovecraft verront peu à peu certains noms typiques de l'auteur se faire leur place (à commencer par Dagon)... et évidemment, Gou Tanabe met en images tout ceci avec son habituelle maestria, le dessinateur offrant des décors lugubres, désolés et décharnés omniprésents et impeccables, des silhouettes humaines suscitant l'inquiétude par leurs difformités (l'illustration de couverture en est un excellent exemple) ou via leurs yeux vitreux/globuleux, et d'autres silhouettes tout simplement inhumaines et non-identifiées.

En somme, en suivant à la lettre le récit initial de Lovecraft, le mangaka fait une nouvelle fois des merveilles dans ses interprétations visuelles où, petit à petit, on sent bien le cauchemar monter... Il n'y a alors plus qu'à attendre le cauchemardesque feu d'artifice dans le deuxième et dernier volume de cette adaptation !

Côté édition, on retrouve bien sûr les habituels standards de qualité de cette collection: superbe couverture à effet cuir, reliure de qualité, papier bien blanc, épais et souple, excellente traduction de Sylvain Chollet, et adaptation graphique très propre de Clair Obscur.


Chronique 1 :

Vous reprendrez bien un peu de Lovecraft? Avec grand plaisir!
Ki-oon nous propose la 6e adaptation de Lovecraft par Gou Tanabe...et pour le moment il s'agit d'un sans faute! Et pour l'occasion on revient sur une adaptation en deux volumes, comme ce fut la cas pour la toute première, à savoir "Les montagnes hallucinées", ce qui pourrait paraître assez étrange tant il se passe au final assez peu de choses dans la présente nouvelle...mais tout de même assez dense!
Pour ceux du fond qui ne suivent pas, un petit rappel: maître de l'horreur ayant écrit ses récits au débuts du 20e siècle entre 1905 et 1935, Lovecraft a publié des dizaines de nouvelles plus ou moins courtes et a créé une mythologie riche et passionnante reposant sur des entités cosmiques. Mais la reconnaissance n'arriva qu’après sa mort, alors qu'il fut méprisé de son vivant. Pourtant il n'y a pas une personne ici qui n'a jamais côtoyé de près ou de loin son univers par des biais détournés! Il donna vie à un univers riche et dense qui fait désormais partie de notre pop culture. Son influence se retrouve partout qu'elle soit discrète ou plus marquée, qu'il s'agisse de simples références ou de profondes inspirations...

Un jeune homme souhaite se rendre auprès de sa famille dans la ville d'Arkham...mais le prix du ferry est bien trop élevé pour ses faibles moyens; on lui propose alors de prendre le bus qui passe par Innsmouth, une ville maudite que tout le monde fuit...mais aussi déroutant que son court passage dans la ville puisse être, quelques heures sur place en attendant le bus qui le conduirait à Arkham ne devrait comporter aucun risque...
Ne croyant pas ces superstitions, le jeune homme décide de se renseigner sur la ville, ses histoire et ses habitants avant de s'y rendre, plus curieux que jamais...

Après une introduction assez classique pour Lovecraft, à savoir un narrateur qui revient sur des événements qu'il a vécu dans le passé et qui l'ont traumatisés, débute un récit nous replongeant dans la mythologie Lovecraftienne avec le retour (évoqué seulement dans ce premier opus) de Dagon, qu'on a pu rencontré dans la précédente adaptation!
Et comme souvent (toujours?) chez Lovecraft, l'histoire nous est présentée sous forme de récit dans lequel le narrateur va inclure d'autres récits qu'il tient de personnes lui ayant appris les tenants et aboutissants des événements...Inception n'a rien inventé, le récit dans le récit du récit, cela date de Lovecraft!

Le narrateur (qui là encore n'est pas nommé), n'est pas cette fois un scientifique avide de savoir, mais bel et bien un jeune homme curieux qui va mettre le pied dans un univers pour lequel il n'était pas préparé.
Comme à chaque fois le récit va peu à peu glisser une pente ténébreuse, allant de la normalité à l'incongru, au dérangeant, à innommable.
Pourtant rapidement celui ci va être confronté à l'étrange avec des récits lui semblant assez peu cohérents, sur des hommes au visage déformé, puis il y sera confronté en rentrant dans ce bus que personne ne veut prendre, ce même bus qui va le conduire à une ville quasiment désertée, où les habitants le regarde étrangement, une ville où les étrangers ne restent pas ou ne partent jamais.
En déambulant dans cette ville fantôme il va en apprendre davantage sur ses habitants et va faire la connaissance d'un vieillard qui en sait plus que tout ce que raconte les rumeurs...mais faut il seulement croire ses élucubrations? Il ne s'agit après tout que des dires d'un vieillard alcoolique...

Une nouvelle fois tout est fascinant dans cette histoire, et si paradoxalement, on a le sentiment qu'assez peu de choses sont racontées, l'ensemble se veut dense et d'une certaine intensité comme seuls Lovcraft (et par extension Gou Tanabe) parviennent à créer.

Une nouvelle fois il faut saluer le travail de Gou Tanabe qui réalise une adaptation absolument parfaite, il parvient à retranscrire l'ambiance malsaine de la ville, à croquer ses habitants aux visages étranges tout en conservant une apparence (presque) humaine...
Pour l'anecdote, à l'exception de celles qui étaient assez fraîches dans ma mémoire, je relis les nouvelles de Lovecraft, avant de lire les adaptations proposées par Ki-oon...et en ce qui concerne la présente nouvelle, je l'ai relu le matin même avant de découvrir le manga de Tanabe...j'ai alors été frappé par la fidélité de l'adaptation qui va jusqu'à reprendre les lignes de dialogues à la virgule près, usant des mots du narrateur pour les descriptions...Gou Tanabe est définitivement dans une démarche d'hommage à Lovecraft!
Et heureusement l'adaptation gomme aussi les passages plus dérangeants: on ne reviendra pas sur le racisme de Lovecraft; ce n'est pas le lieu; mais dans ses écrits, un personnage laisse supposer de la plus normale des façons que le visage étrange des habitants d'Innsmouth (en gros des faces de poissons) viendrait peut être de leur métissage avec du sang Africain ou Asiatique...voilà voilà... Tanabe nous épargne ce genre de détails d'un autre temps et ce concentre sur l'étrange et l'indicible...et il y parvient parfaitement!
On note aussi la mise en image de plusieurs objets, notamment d'une tiare, qu'il est difficile de visualiser en lisant les écrits de Lovecraft mais Tanabe parvient à lui insuffler une essence, à lui faire prendre corps de sorte à ce que les écrits du maître prennent d'autant plus d'ampleur.

Le cauchemar d'Innsmouth n'est sans doute pas le récit de Lovecraft le plus connu, sans doute pas le plus essentiel, bien qu'on soit habitué avec l'auteur à des récits lents et très chargés en description, ce n'est pas non plus le plus prenant et le plus effrayant...mais il s'en dégage une aura malaisante, une ambiance dérangeante, il nous raconte comment l'horreur peut se glisser à la vue de tous et se mêler à une population sur plusieurs générations sans que quiconque ne le remarque vraiment...certes il y a des récits, des superstitions mais au final personne ne fait rien...et c'est cette indifférence qui est le plus dérangeant.

Je ne tarirais jamais déloges sur ces adaptations de Lovecraft par Gou Tanabe, et celle ci est dans la même veine que les autres, parfaitement réussie! Si vous avez aimé les précédentes, vous allez adorer celle là, si vous ne les avez pas aimé, pas la peine d'insister....mais quel dommage!

Et une nouvelle fois, il convient de saluer l'excellent travail de Ki-oon qui nous offre un volume dont le contenant est aussi remarquable que le contenu!      


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

16.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Erkael
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs