Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 29 Août 2023
Chronique 2 :
Si Moyashi Fujisawa était inconnue chez nous jusqu'à maintenant, sa série "Mitarai-ke, Enjô suru" (que l'on peut traduire par "La famille Mitarai s'embrase") attirait l'oeil avant sa sortie française. Lancé en 2017 dans le magazine Kiss de l'éditeur Kôdansha, et complété avec son 8e volume, le manga fut adapté en un drama, disponible chez nous via Netflix. Pour la maison Akata qui cherche à dépeindre la diversité du shôjo manga dans son catalogue, le succès d'estime de ce thriller dramatique et psychologique, né des mains d'une ancienne assistante de Rumiko Takahashi, était un coup à ne pas louper !
C'est sous le titre anglophone "Burn the House Down" que le récit est lancé chez nous, dès le mois de juin 2023. Une oeuvre attendue et qui ne déçoit certainement pas avec ce premier opus.
Anzu Murata vit dans un petit logement de la banlieue tokyoïte, avec sa soeur. Femme de ménage de profession, elle s'apprête à obtenir un contrat avec Makiko Mitarai, mannequin femme au foyer dont la notoriété est grandissante, et qui a besoin d'une aide à domicile pour entretenir la perfection de son logis, et en jouir auprès des médias. Seulement, ce que cette femme superficielle n'imagine pas, c'est que Anzu, sous l'identité de "Shizuka Yamauchi", est la fille de son propre époux, né d'une femme dont il s'est séparé suite à l'incendie de leur demeure. Aujourd'hui adulte, la demoiselle joue les espions et s'est infiltrée dans le foyer des Mitarai, afin de chercher les preuves de la culpabilité de Makiko, dont la vie parfaite d'aujourd'hui a tout de factice...
Certains auteurs semblent avoir un don indéniable pour aborder leur histoire, iconiser leurs décors en une seule planche avant de procéder à une montée en puissance scénaristique et narrative. Indéniablement, Moyashi Fujisawa est de ces artistes avec ce premier volume de Burn the House Down, qu'il est impossible de lâcher jusqu'à avoir atteint la dernière page. Non pas que la mangaka lance son histoire dans un amas incessant de rebondissements et de scènes à suspense, mais ce début d'intrigue est si bien calibré dans ce qu'il présente, et subtil dans ses premiers développements, que la lecture devient rapidement passionnante.
Dans ses grandes lignes, le manga narre une histoire de vengeance, celle d'une jeune femme, face à celle qui a signé l'effondrement de sa famille. Alors, son quotidien devient une vraie mission d'infiltration, un périple de quête d'indices sur la culpabilité de Makiko Mitarai dans l'incendie qui a frappe sa demeure, le risque étant de se faire démasquer par la concernée qui n'hésite pas à imposer des "limites" dans la mission de sa nouvelle femme de ménage. Dès lors, on sait que Shizuka mène un double jeu risqué, et la figure de Madame Mitarai apparaît comme une menace oppressante, l'antagoniste ayant presque des airs de croque-mitaine par ce qu'elle incarne pour l'héroïne. Le suspense reste donc fort dès ce premier opus, quoique très équilibré, l'autrice ne cherchant jamais à en faire des tonnes. Elle entretient simplement une atmosphère efficace tout en faisant progresser un scénario beaucoup plus riche qu'on aurait pu le prévoir.
Car au fil de la lecture, les nuances et les approfondissements ne manquent pas. Dans sa quête vengeresse, Anzu elle-même découvrira l'ampleur du bonheur de façade de la "vie de rêve" de celle qui l'emploie, l'occasion d'aborder des développements de personnages plus intimes tout en connectant le présent et le passé. Aussi, le récit choisit parfois de revenir dans le temps, explorer l'enfance de la protagoniste, permettant de voir nombre de personnages sous un autre jour et enrichir les enjeux du scénario. Le flashback n'est pas utilisé à la légère, mais a un véritable intérêt narratif, en plus d'amener quelques séquences aux tons plus différents, plus mesurés.
Pourtant, Burn the House Down s'impose comme un thriller, ne serait-ce par le travail narratif de la mangaka qui, par des planches parfaitement inspirées, fait plonger son lecteur dans un véritable suspense. Selon les instants, le récit bascule même dans l'horreur, pour un temps très succinct certes, mais qui suffit à glisser quelques frissons ponctuels au cours de la lecture.
Pour toutes ces raisons, le premier volume de Burn the House Down constitue une expérience de lecture délicieuse, dont les atmosphères ne nous quittent pas de la première à la dernière page. Ainsi, l'envie de connaître les vérités derrière les secrets de la famille Mitarai est puissante, et l'attente entre deux tomes sera douloureuse ! Heureusement, le deuxième volume sort en cette fin de mois d'août, caniculaire, et une chaleur à l'image du drame vécu par Anzu et sa famille.
Concernant l'édition, Akata offre son traditionnel format souple et idéal à prendre en main. Le lettrage d'Adeline Albert est bien calibré, tandis que la traduction de Constant Voisin est à même de faire ressentir les diverses nuances du texte. Saluons aussi le travail graphique de Tom "spAde" Bertrand, toujours aussi inspiré, notamment dans la typologie du logo qui joue sur les dégradés symbolisant la chaleur, dont celle de l'incendie dramatique, point de départ de cette histoire.
Chronique 1 :
Quiconque suit de près l'actualité des éditions Akata sait à quel point celles-ci tiennent à démontrer toute la diversité du shôjo manga et, de manière plus générale, du manga féminin. C'est dans cette belle optique qu'arrive chez l'éditeur, en ce mois de juin, un nouveau shôjo/josei aux accents de polar: Burn the House Down, de son nom original Mitarai-ke, Enjou suru (littéralement "La maison Mitarai prend feu"). Deuxième série de la carrière de Moyashi Fujisawa (une mangaka jusque-là inédite en France), cette oeuvre en 8 volumes a été prépubliée au Japon entre 2017 et 2021 dans les pages du magazine Kiss des éditions Kôdansha, magazine bien connu pour avoir accueilli les mangas Princess Jellyfish, Perfect World ou encore Nodame Cantabile entre autres bijoux.
Ici, tout commence par la vision sinistre d'une belle maison anéantie dans un mystérieux incendie dont l'origine exacte n'a jamais été établie, d'une famille meurtrie devant celle-ci tandis qu'une foule de spectateurs assiste à la scène, et d'une mère effondrée, à genoux, s'accusant de tous les maux. 13 ans plus tard, ces souvenirs hantent encore notre héroïne, jeune femme de 25 ans qui vit désormais dans un deux-pièces de la banlieue nord-ouest de Tokyo depuis 5 ans avec sa petite soeur. Spécialisée dans le ménage au sein d'une bonne société, celle-ci se fait embaucher, sous le nom de Shizuka Yamauchi, en tant qu’aide ménagère au sein de la demeure Mitarai, une belle maison où la famille a a priori tout pour réussir: les deux fils suivent des études de haut niveau, le père tient la clinique médicale collé à la bâtisse, et la mère a la réputation d'une mère de famille et femme au foyer exemplaire, en plus de commencer à percer sur internet et dans divers magazines en tant que mannequin. C'est précisément sous les ordres de cette mère, Makiko de son prénom, que Shizuka prend ses fonctions, non sans quelques directives strictes: il faut qu'absolument toutes les pièces du rez-de-chaussée soient nickel car c'est là que la mannequin accueille les gens, et il est strictement interdit de monter à l'étage. Mais tout en s'occupant très soigneusement du ménage pour être sûre de se faire une place dans cette maison, Shizuka enfreint bien vite les règles, visiblement dans un but bien précis... Quel est en réalité son but en infiltrant la demeure des Mitarai, et en ayant menti sur son nom puisqu'elle s'appelle en réalité Anzu Murata ?
Même si la mangaka dévoile assez vite, au bout d'une quarantaine de pages, les motivations de son héroïne, nous allons prendre soin ici de ne rien spoiler, tant tout est fait, au fil de cette introduction, pour titiller comme il se doit notre curiosité, au fil des petits indices laissant bien comprendre que quelque chose de louche se trame concernant la vraie raison de la présence de notre héroïne en ce lieu. Et bien que la vérité sur son but puisse se deviner assez facilement, la suite n'en est pas moins intéressante, et nous promet même toujours plus de développements intrigants pour la suite. Et cette réussite, on la doit surtout à trois aspects.
Tout d'abord, la petite part de suspense liée à l'infiltration d'Anzu: parcourant la maison pour poursuivre son but, bravant les interdits en montant à l'étage, on se demande souvent ce qui lui arrivera si elle se fait coincer, ou encore ce qu'elle trouvera à force d'investiguer. D'autant plus qu'elle sent vite qu'à l'heure de faire le ménage, elle n'est pas seule dans la demeure quand elle est censée l'être...
Ensuite, l'étonnante stimulation qu'il y a à parcourir cette demeure avec notre héroïne afin d'en découvrir les secrets... Et ces secrets, ils sont nombreux, tant on découvre petit à petit que, par bien des aspects, l'image si idéale que renvoient la famille Mitarai et en particulier Makiko n'est qu'une façade.
Et enfin, ce que tout ce début d'histoire nous dévoile déjà en terme de portraits de personnages assez difficiles. Si, d'un côté, le désir de vengeance d'Anzu se comprend d'autant plus qu'elle fait surtout ça pour sa pauvre mère, de l'autre côté la façon dont l'image parfaite des Mitarai vole en fumée (une autre forme d'incendie...) permet de mettre en évidence bien des tares, entre l'envie et la jalousie menant au pire, l'obsession pour la vie des autres (y compris via les likes sur les réseaux sociaux), les mensonges, le culte de l'apparence et le narcissisme.
Grâce à une narration maligne et immersive au possible, et sous un dessin clair et très fonctionnel pour servir les petits changements d'ambiance, Burn the House Down se révèle vite addictif, au rythme des petits secrets qui se dévoilent autour de la famille Mitarai et des avancées tantôt contrariées tantôt surprenantes d'Anzu. Entre le polar, le drame et le portrait psychologie, la série de Moyashi Fujisawa nous happe sans problème, en nous rendant irrémédiablement curieux de découvrir la suite.
Cette chronique ayant été faite à partir d'une épreuve numérique, pas d'avis sur l'édition.