Bota Bota : Critiques

Bota Bota

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 09 Octobre 2025

Chronique 2 :


Mangaka prolifique depuis désormais près de dix ans, Paru Itagaki a su se bâtir une solide réputation amplement méritée, avant tout avec les deux premières séries longues de sa carrière que sont le chef d'oeuvre Beastars et le tout aussi intéressant Sanda, deux oeuvres adaptées en anime, l'anime de Sanda étant par ailleurs en cours de diffusion en ce moment-même en pouvant être découvert en France sur Prime Video. Dans notre pays, les éditions Ki-oon ont fait de la talentueuse autrice une figure emblématique de leur catalogue, en ayant d'abord publiée Beastars non sans faire venir la mangaka au FIBD d'Angoulême à l'époque, puis en proposant la première oeuvre professionnelle de sa carrière Beast Complex, et en publiant depuis le début de cette année Sanda. Pour notre plus grand plaisir, ce mois d'octobre voit l'éditeur continuer son exploration de la bibliographie d'Itagaki avec la parution de Bota Bota, une oeuvre en un seul tome qui marqua à sa manière une nouvelle étape dans sa carrière.

La genèse de Bota Bota, brièvement présentée par la mangaka dans la postface du présent volume, est assez intéressante, dans la mesure où elle concerne aussi la naissance de sa série Sanda. Tout part d'une histoire courte de 24 pages: "Shiro Hige To Boyne", incluse à la fin du tome de Bota Bota, et renommée dans notre langue "Barbe blanche et Miss nénés". Conçue en 2018 pour le magazine Manga Goraku des éditions Nihon Bungeisha, cette histoire centrée sur une prostituée et un Père-Noël est à la fois le premier récit où Itagaki met en scène des personnages humains, et sa première collaboration avec ce célèbre magazine seinen réputé pour ses mangas matures (comme Inspecteur Kurokôchi, Gannibal ou Gift±, pour en citer quelques-uns). Cette collaboration ne sera pas la dernière puisque, visiblement marquée par la version du Père-Noël qu'elle a créée pour cette histoire, demande à son responsable éditorial chez Nihon Bungeisha la possibilité de la réutiliser pour une série destinée à un public plus jeune chez un autre éditeur: Sanda. Ce à quoi elle a une réponse positive, à condition de concevoir un autre petit manga inédit pour le Manga Goraku, manga destiné à être Bota Bota. Ainsi la mangaka dessine-t-elle cette mini-série de huit chapitres pendant quelques mois à partir de décembre 2020, donc peu de temps après avoir conclu Beastars en octobre 2020, et quelques semaines avant de débuter Sanda en juillet 2021.

Bota Bota, c'est l'histoire de Mako Higari, une femme de 29 ans qui, malgré son joli physique, n'a jamais connu le véritable amour ni le sexe, et cela pour une raison particulière: depuis l'enfance, dès qu'elle touche quoi que ce soit qui lui semble sale/malpropre, elle est victime d'abondants saignements de nez qui tendent à faire fuir tous ses éventuels partenaires. Pourtant, elle ne désespère pas et continue, jour après jour, de chercher des hommes à-même de supporter le sang y compris au lit, en utilisant volontiers sa beauté pour les attirer, quitter à aller de désillusion en désillusion, en plus de passer pour ce qu'elle n'est pas réellement, à savoir une "chaudasse" pour reprendre les mots de certains mecs.

Habituée à partir de pitch assez excentriques voire extrêmes pour développer un paquet de sujets de société, notamment autour des relations humaines, Paru Itagaki récidive ici d'une manière peut-être encore plus radicale que dans ses autres oeuvres publiées en France à ce jour: là où Beastars, Beast Complex et Sanda proviennent d'un magazine catégorisé shônen, le Manga Goraku est de son côté un pur magazine seinen, avec ce que cela peut impliquer de libertés plus larges dans la représentation graphique des éléments "dérangeants": ainsi, la nudité est ici explicite, les saignements de Mako sont volontairement excessivement abondants, et certains de ses réactions se veulent aussi un brin exagérées, le tout afin d'affirmer est un esthétique assez radicale qui fait franchement mouche dès qu'il s'agit de porter la richesse du propos.

Car derrière le concept initial qui pourrait laisser penser à un simple délire teinté d'érotisme et d'humour un peu décalé et grotesque, Itagaki développe bel et bien tout un propos plus dramatique qu'il n'y paraît, et qui a beaucoup de choses à dire au fil de son scénario qui, s'il suit d'abord un schéma simple où chacun des quatre premiers chapitres voit Mako essayer de faire l'amour avec un nouvel homme en vain, va ensuite se focaliser, dans sa deuxième moitié, sur un fil rouge plus net et riche en rebondissements, jusqu'à un final assez imprévisible et implacable où une chose est à retenir avant tout : l'affirmation de Mako pour s'accepter telle qu'elle est, après un long combat contre elle-même mais aussi contre le regard des autres, contre la manière dont on la voit et dont on la considère. Ainsi, au fil des chapitres, chaque homme rencontré véhicule des vices différents: il y a ceux qui entretiennent des rumeurs salaces sur elle sans même la connaître, ceux qui la voient comme une bête de foire, ceux qui ne voient pas plus loin que sa beauté physique puis ses saignements, ceux qui jouent les durs alors qu'ils sont tout le contraire... sans oublier ceux qui se donnent le beau rôle et qui semblent bien sous tout rapport alors qu'il n'en est absolument rien. Mais c'est aussi, voire avant tout contre ses propres errances que Mako doit lutter pour avancer, en se posant des questions nécessaires. Pourquoi est-elle comme ça ? Quelle est l'origine de sa mysophobie et de ses saignements ? S'y prend-elle de la bonne manière pour trouver l'amour qu'elle convoite tant ? Et si ce n'est pas le cas, a-t-elle tout compte fait déjà assez aimé quelqu'un pour pouvoir surpasser son problème ? Les réponses à ces questions arriveront toutes, en poussant aussi la réflexion sur la notion d'amour ainsi que sur le rapport au corps et au sexe, et en dévoilant toujours plus de choses sur cette héroïne pas comme les autres, dès lors que l'on comprendra que son souci provient de traumatismes plus profonds et lointains, peut-être presque inconscients car conditionnés depuis sa plus tendre enfance par un contexte familial loin d'être sain.

Portrait d'une jeune femme dans le fond attachante par son désir simple d'être comme les autres, d'être comprise et d'être aimée, Bota Bota voit Paru Itagaki exploiter avec beaucoup de réussite son excentrique concept de départ, afin d'explorer une nouvelle fois nombre de sujets de société et relationnels aux différents niveaux de lecture. Dans un style encore plus radical permis par la publication dans un magazine pour adultes, la mangaka brille à nouveau avec ce récit en un tome qui a sa place dans toutes les bonnes bibliothèques, à condition de ne pas être totalement hermétique à ce fameux côté radical bien sûr.

Côté édition, enfin, Ki-oon offre une fort bonne copie, où l'on a notamment plaisir à retrouver à la traduction Djamel Rabahi, déjà à l'oeuvre sur Sanda. A part ça, le format seinen (un peu plus grand que les formats shônen de Beastars, Beast Complex et Sanda, donc) est appréciable pour un titre de ce type, la jaquette est fidèlement adaptée de l'originale japonaise tout en se parant d'un logo-titre assez bien pensé, l'adaptation graphique de Quentin Matias est propre, l'impression est très bonne, et le papier est suffisamment épais et souple malgré, par moments, une très légères transparence pas handicapante.



Chronique 1 :


Entre plusieurs séries longues, divers one-shot et une flopée d’histoires courtes, Paru Itagaki est une mangaka prolifique. A ce titre, chaque sortie chez nous est attendue, et Ki-oon doit désormais suivre le rythme d’une autrice incontournable de son catalogue. Après "Beastars", "SANDA" s’est longuement fait attendre, et il est probable que l’éditeur ait attendu le bon timing avec l’adaptation animée à venir. Et comme le fer doit être battu tant qu’il est chaud, Ki-oon profite de la période de diffusion de l’anime pour nous offrir "Bota Bota", one-shot de Paru Itagaki dont la connexion avec "SANDA" est certes fine, mais bien présente !

La genèse de l’ouvrage nous est racontée au sein même de celui-ci. En 2018, la mangaka publie l’histoire courte "Barbe blanche et Miss nénés" au sein du magazine seinen Manga Goraku de l’éditeur Nihon Bungeisha, réputé pour ses titres underground et ses récits hard boiled qui destine la revue à un lectorat adulte plus qu’adolescent. Dans cette nouvelle, il est question d’un homme d’âge mûr qui recourt aux services d’une prostituée. Sauf que le client n’est autre que le Père Noël ! Plutôt que profiter des services charnels qui lui sont proposés, ce dernier en profite pour accomplir une mission bien précise. Le personnage semble marquer Paru Itagaki, en tout cas suffisamment pour qu’elle demande l’autorisation de réexploiter ce Papa Noël atypique dans une histoire à destination du lectorat shônen, dans une revue concurrente. L’éditeur de chez Nihon Bungeisha accepte… à une condition : l’autrice doit publier une autre œuvre dans sa revue. Ainsi naquit "Bota Bota", courte série en 8 chapitres qui fut aussi l’une des premières expériences de la mangaka avec des personnages humains plutôt qu’avec des figures d’animaux anthropomorphes.

L’histoire est celle de Mako, une jeune femme mysophobe dont la maladie prend une forme des plus particulières. Dès qu’elle est en contact avec la saleté, son nez saigne abondamment, au point de pouvoir lui provoquer une hémorragie. Alors, quand il est question d’amour et de sexe où les zones caressées sont des nids à microbes, la particularité de Mako fait immédiatement surface. Dans ce contexte, les relations charnelles lui sont interdites, et la situation la frustre au plus haut point. Elle ne perd pourtant pas espoir et espère pouvoir trouver l’individu qui passera outre ces flots de sang pour passer un moment fougueux avec elle.

Paru Itagaki est friandes des concepts atypiques, et "Bota Bota" en est une nouvelle preuve indéniable. Le sein pitch du one-shot flair l’OVNI, une singularité qui va de pair avec la patte artistique tout aussi unique de l’autrice. En ouvrant l’ouvrage, on ne sait pas vraiment à quoi s’attendre. À une comédie érotique ? À une tranche de vie décalée ? À un drame humain ? "Bota Bota", c’est un peu de tout ça. La mangaka nous offre ici un récit à l’identité forte dans lequel elle inculque tous les éléments phares de ses œuvres, partant du point de démarre saugrenu à un résultat final d’une grande richesse thématique où se confrontent les genres et les ambiances.

Car "Bota Bota" ne se suffit pas à sa simple amorce à base d’une héroïne en proie à une frustration sexuelle couplée à sa particularité physique atypique. Certes construit comme une anthologie où chaque chapitre narre une histoire supplémentaire (du moins, au départ), le manga finit par développer un véritable fil rouge et une continuité à la fois scénaristique, mais aussi dans ses sujets traités. Plus qu’une comédie grivoise, le one-shot devient un drame humain et une véritable thérapie pour cette héroïne très focalisée sur son handicap. Cette facette cache celle de traumas, et surtout un parcours de vie dans une société où les humains, hautement imparfaits, ne sont que rarement des êtres totalement dignes de confiance. De fil en aiguille, grâce aux divers développements de Mako et aux quelques flashbacks qui viennent garnir sa psychologie et son passé, la lecture nous livre un portrait dense de ce personnage unique. Au-delà de ce portrait, Paru Itagaki dresse un portrait de société très différent de celui établi dans "Beastars", abordant frontalement les vices des adultes et les impacts psychologiques à long terme que nos traumas peuvent occasionner. "Bota Bota" est un récit qu’on peut aisément analyser sous tous les angles et mettre en parallèle avec nos expériences, ce qui en fait une œuvre grandement intelligente et capable de parler à tout lecteur. Si le manga est né de la « contrainte » (avec de grands guillemets puisque l’autrice évoque les coulisses dans une courte bande dessinée aux tons humoristiques), il est un récit abouti, qui fourmille d’idées et qui développe ses thématiques aussi habilement que son scénario tantôt drôle, tantôt dramatique... mais toujours narré dans une originalité de ton et de forme ! Car la narration est inspirée et lourde de sens, tout particulièrement dans les esthétiques horrifiques que la mangaka cherche à insuffler, rappelant notamment le célèbre Carrie de Brian de Palma, tiré du roman de Stephen King.

"Bota Bota" ne peut donc pas laisser indifférent le fan de Paru Itagaki, de ses idées excentriques, de ses tons loufoques et de ses différents degrés de lectures riches. On sent chez la mangaka un certain plaisir à parler à un lectorat adulte entre deux longues séries shônen, raison pour laquelle on prie pour pouvoir découvrir un jour "Ushimitsu Gao", série toujours en cours, mais qui semble se trouver dans cette lignée par son mélange de comédie et d’horreur dans des tons matures.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

17 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs