Bôken shônen - Manga

Bôken shônen : Critiques

Bôken shônen

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 20 Février 2023

L'année commence fort pour la jeune collection Genki des éditions nobi nobi! Inaugurée il y a un an avec le succès mérité Horimiya, celle-ci accueille effectivement, en ce mois de février, un nom particulièrement illustre: Mitsuru Adachi, celui à qui l'on doit notamment des shônen emblématiques du magazine Shônen Sunday de Shôgakukan comme Touch, Rough, H2 ou Cross Game (depuis, il est passé dans le magazine Gessan avec sa plus récente série MIX), mais aussi des récits plus matures, courts et intimistes comme Short Program ou Jinbe. Et ce sont précisément ces deux facettes de la carrière de l'auteur que le label jeunesse de Pika Edition publie en France depuis quelques jours. Si seulement on pouvait enfin avoir dans notre pays, plus tard, l'autre facette essentielle de la carrière d'Adachi que sont ses publications shôjo dans les années 1970-80 (Hiatari Ryôko!/Une Vie Nouvelle, Slow Step...), on ne s'en plaindrait clairement pas.

Mais dans l'immédiat, nobi nobi! propose, d'un côté, de redécouvrir en volumes doubles Katsu!, tranche de vie sur fond de boxe en 16 tomes qu'Adachi dessina entre 2002 et 2005. Et, de l'autre côté, de découvrir un ouvrage du maître qui était jusqu'à présent inédit dans notre langue: Bôken Shônen (littéralement "Garçon d'Aventure"), que l'éditeur français a intelligemment sous-titré "rêves d'enfance", un sous-titre collant bien au contenu. A l'instar de Rumiko Takahashi, sa collègue de très longue date dans le Shônen Sunday, Adachi aime, de temps à autre, s'offrir des apartés à côté de ses shônen-fleuves, en concevant, comme déjà dit, des histoires plus courtes et plus adultes. Cela a abouti en 2006, évidemment aux éditions Shôgakukan, à Bôken Shônen, recueil d'un peu plus de 200 pages se composant de 7 histoires courtes initialement prépubliées dans le magazine Big Comic Original, à la thématique commune, une thématique que nous allons bien évidemment aborder dans les lignes suivantes.

Chaque chapitre, tournant autour de la trentaine de pages, narre un récit différent. Ici, un homme rentre dans sa province natale depuis Tokyo et se remémore une porte derrière laquelle il s'imaginait pouvoir exaucer ses souhaits et voyager dans le temps à la manière de la célèbre poche de Doraemon... Et si, précisément, il avait l'occasion de réaliser un souhait pou réparer une erreur ? Là, un petit groupe d'amis d'enfance se rejoint pour en retrouver un autre, sans se douter qu'en se perdant sur un sentier ils vont réveiller en eux de douloureux souvenirs concernant un copain décédé dans leur tendre jeunesse. Puis un employé de bureau, en voyant ressurgir dans sa mémoire un vieux copain et ses rêves héroïques d'autrefois, va enfin se décider à agir sur sa propre vie pour ne plus laisser passer sa chance. On verra ensuite un père de famille trop travailleur et trop pris se confronter à ses rêves d'enfance au contact de son fils passionné de baseball mais vraiment pas doué dans ce sport. Ou encore un maladroit duo de kidnappeurs se retrouver face à leurs propres rêves d'avenir en enlevant la fille d'une vieille connaissance. Ou même un voleur au passé difficile se retrouver, par la magie d'un artefact dans une maison qu'il connaît bien, face à certains drames de son enfance qui auraient pu être facilement évités. Sans oublier cet employé de banque très travailleur qui, en retournant dans le quartier de ses études qui a bien changé, va pourtant retrouver une café où il a vécu bien des choses et où ses rêves de devenir dessinateur vont le rattraper de façon étonnante.

Vous l'aurez sans doute remarqué, chaque histoire a pour personnages principaux de jeunes adultes, désormais entrés dans la vie active de façon classique et sérieuse (employé de banque, salarié dans un labo, père de famille...) ou de manière plus surprenante à cause des aléas de la vie (les deux kidnappeurs, le voleur). Et dans ces récits, chacun de ces adultes, de x manière, est amené à voir ressurgir devant lui différents souvenirs de son enfance, en le poussant à réfléchir sur ce qu'il est devenu, sur ses rêves d'autrefois, sur ce qu'il a manqué, sur ce qui peut encore être réparé à présent. Là où les longs shônen d'Adachi mettent souvent en scène des adolescents qui se donnent beaucoup pour accomplir leur rêve (souvent dans le baseball, avec cet auteur), dans ces histoires le mangaka prend donc le parti inverse en montrant ce que sont devenus ses personnages adultes après avoir laissé en plan des rêves d'enfance quasiment inaccessibles voire impossibles, ou après n'avoir pas su saisir certaines opportunités ou éviter certaines choses autrefois.

Néanmoins, avec Adachi, il n'est pas question ici d'offrir des récits lourds, bien au contraire. Chaque histoire a sa propre petite ambiance, y compris en faisant légèrement dans l'angoisse ("Le sentier perdu") ou au contraire dans un certain humour ("Le message"), voire même avec plsieurs petits élans surnaturels bien dosés, faisant que chaque lecteur aura sans doute son récit préféré dans tout ça (vraiment, comment résister à ces deux cambrioleurs bien trop gentils et à cette gamine bien trop cool et prévenante pour une enfant enlevée ?). Et dans tous les cas, ce qui est mis en lumière dans chaque cas, ce sont ces petits actes manqués qui jonchent une vie jusqu'à faire de nous ce que nous sommes, des actes manqués pouvant avoir des origines multiples: ne pas oser faire sa déclaration au point de laisser passer sa chance, le fait qu'on ne se batte plus et que l'on perde vite ses illusions quand on devient adulte, des événements sur lesquels un enfant ne peut avoir d'emprise... Adachi nous fait ressentir toute la nostalgie de ces jeunes adultes faces à ces choses du passé qui les ont forgés et qu'il apprennent ou réapprennent à chérir comme de précieux souvenirs, d'importants rêves d'enfance. Et cela, il le fait très bien non seulement grâce à son habituel style graphique intemporel, mais aussi grâce à ses petits moments désuets typiques de ses oeuvres et qui prennent ici une saveur supplémentaire, et peut-être plus encore grâce à une véritable maestria narrative, où les non-dits maîtrisés laissent souvent deviner les choses sans avoir besoin de les marteler, et où l'issue de chaque récit possède juste ce qu'il faut d'ouverture positive tout en ne frustrant jamais, tant chacune de ces histoires, en un nombre pourtant limité de pages, se suffit parfaitement à elle-même.

A l'image de la grande Rumiko Takahashi (pour continuer de le comparer avec l'autre figure éternelle de Shôgakukan de quasiment la même génération que lui), Mitsuru Adachi se montre aussi doué dans les longues sagas shônen que dans les histoires courtes plus matures, profondes et subtiles, et Bôken Shônen nous le démontre à chaque histoire. Retrouver le mangaka désormais vétéran dans ce registre, qui plus est avec toute l'expérience acquise pendant plus de 35 ans de carrière (au moment de la parution de ce recueil au Japon) est un immense bonheur.

Qui plus est, nous avons en plus droit à une édition fort satisfaisante, si l'on excepte juste la jaquette un poil transparente et laissant alors entrevoir la couverture en dessous. Hormis ce détail, le grand format est vraiment appréciable pour un ouvrage de ce style, les huit premières pages en couleurs sur papier glacé sont un plaisir, le papier est à la fois assez épais, souple et sans transparence pour une prise en mains agréable, la traduction de Yohan Leclerc est très fluide, le travail d'adaptation graphique de Céline Olive est excellent... et en cerise sur le gâteau, on se régalera d'une assez longue postface signée Buronson (l'auteur de Hokuto no Ken et de Sanctuary entre autres), celui-ci connaissant bien Mitsuru Adachi et nous partageant même quelques petites anecdotes très appréciables.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs