Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 24 Janvier 2025
Chronique 2 :
Alors que Horimiya, plus grand succès des éditions nobi nobi! à ce jour, a définitivement tiré sa révérence l'année dernière, son successeur chez l'éditeur semble d'ores et déjà tout trouvé en matière de très populaire romance adolescente... et quel successeur ! Car on peut effectivement dire que nobi nobi! commence fort son année 2025 avec le lancement, cette semaine, de l'un des représentants du genre les plus attendus de ces derniers temps: "Kaoru Hana wa Rin to Saku" (un titre que l'on pourrait grosso modo traduire par "Les fleurs parfumées s'épanouissent dignement", les notions d'épanouissement et de dignité étant très parlante quant au contenu de l'oeuvre).
Etrangement renommée dans notre pays en un très passe-partout mais pas bête "Bloom" ( "Floraison" en anglais, on garde ainsi la notion d'épanouissement), cette toute première série de la carrière de Saka Mikami n'a eu de cesse, depuis son lancement en 2021 sur le site Magazine Pocket des éditions Kôdansha, de voir grandir son succès public, mais aussi de gagner une certaine notoriété critique dans son pays d'origine, au point d'avoir été nommée au Prix du manga Kôdansha en 2023 et 2024, d'avoir fini 6e aux Next Manga Awards en 2022, et de s'être classée 2e aux Tsutaya Comic Awards. Et de manière très logique, cette belle popularité ne devrait pas retomber de sitôt puisqu'une adaptation animée produite par le studio CloverWorks verra le jour normalement en cette année 2025, sans plus de précisions à l'heure où ces lignes sont écrites.
Bloom nous immisce quelque part dans le Japon d'aujourd'hui, et plus précisément quelque part où, de façon un peu étrange, deux lycées radicalement opposés se font face. Le prestigieux lycée pour filles Kikyô ne réunit quasiment que des adolescentes brillantes et de bonne famille, ces dernières évitant alors soigneusement de s'approcher des élèves du lycée voisin, qu'elles exècrent plus que tout: les adolescents du lycée pour garçons Chidori, qui est réputé pour n'accueillir que des cancres. Face au dédain que leur montrent constamment les filles de Kikyô, les garçons de Chidori réagissent généralement avec le même mépris, comme deux mondes et deux statut sociaux qui sont voués à ne jamais se croiser, si bien que cette forme d'opposition naturelle perdure depuis visiblement bien longtemps entre les deux établissements scolaires.
Rintarô Tsumugi, 16 ans, est probablement l'un des garçon qui souffre secrètement le plus de son statut d'élève à Chidori, la faute à une chose: alors qu'il est gentil tout plein, son air naturellement intimidant n'a jamais cessé, depuis son enfance, de lui jouer des tours: il est systématiquement étiqueté comme un loubard, on vient lui chercher des noises, les rumeurs sur lui n'ont cessé de s'intensifier au fil des années en ne reposant sur rien... et ce ne sont pas sa grande taille renforçant son air intimidant, ses cheveux décolorés et la réputation de Chidori qui risquent d'améliorer ça. Alors, au fil des années, Rintarô s'est habitué à vivre avec ça, se blâme à la moindre occasion comme s'il était en faute, garde même comme une sorte de mur entre lui et les autres (y compris avec ses amis du lycée)... et il ne s'attendait alors pas du tout à ce qu'un jour, en aidant au service dans la pâtisserie de ses parents, une rencontre ne commence à bouleverser son existence morose. Elle s'appelle Kaoruko Waguri, elle a des allures de collégienne avec son tout petit gabarit, elle a ses habitudes dans la pâtisserie où elle vient s'empiffrer avec délectation une ou deux fois par mois... et au contact de celle-ci, Rintarô va, pour la première fois, découvrir quelqu'un qui ne le juge pas du tout sur son apparence, qui n'est même pas intimidée par lui, et qui semble avoir déjà remarqué depuis longtemps sa gentillesse, son vrai bon fond. Forcément, face à cette fille aussi mignonne que solaire, le jeune garçon sent tout doucement, sans forcément en avoir déjà conscience, naître en lui un profond attachement pour elle... Mais que se passera-t-il quand Rintarô et Kaoruko découvriront qu'ils font respectivement partie de Chidori et de Kikyô, les deux lycées se vouant une haine farouche ?
Dans les faits, les bases de Bloom n'ont rien de foncièrement original: tandis que la relation naissance entre deux personnages que la société fait tout pour opposer rappelle volontiers une sorte de Roméo et Juliette moderne (chose sur laquelle nobi nobi! a, d'ailleurs, jouée pour sa communication sur l'oeuvre), l'idée de l'épanouissement d'un adolescent jusque-là mal jugé et mal dans sa peau grâce à une fille lumineuse en tous points a elle aussi un fort goût de déjà-vu (ne serait-ce que via la série The Dangers in My Heart, dont l'ambiance initiale est toutefois assez différente). Et pourtant, la qualité de l'oeuvre de Saka Mikami nous emporte très vite, grâce à différents éléments très bien dosés qui, très vite, lui confèrent une charme bien spécifique.
On pense en premier lieu à une narration qui se veut d'emblée assez introspective sur Rintarô: dès les premières dizaines de pages, on cerne tout de sa gentillesse derrière son apparence lui ayant valu depuis toujours beaucoup de préjugés, ainsi que ses tourments intérieurs nés des a priori envers lui, ce qui fait que l'on s'attache en un rien de temps à lui. Mais Kaoruko n'est pas en reste, tant son aspect solaire touche immédiatement, d'autant plus que son design tout mignon colle bien à sa nature, et surtout que ses réactions sont toujours très parlantes (surtout quand elle s'empiffre de pâtisseries, avec son petit lot de bonnes bouilles ! ) sans qu'il soit nécessaire de suivre de près ses pensées, ce qui cristallise impeccablement ce qu'elle est : une fille franche, sincère, qui ne cache rien de ce qu'elle pense et qui se fiche royalement des préjugés. Ainsi l'oeuvre va-t-elle mettre déjà en valeur des sujets essentiels autour de l'importance de chercher à connaître réellement l'autre, de ne pas mettre les gens dans une case toute faite, de voir la personne derrière les clichés... ce qui passera aussi par une certaine évolution de Rintarô qui, au contact de la jeune fille qu'il découvre à petites doses, comprendra peu à peu que lui-même avait mine de rien des préjugés sur elle en tant que "fille de Kikyô", et qu'il a peut-être trop laissé s'installer une sorte de mur entre lui et les autres.
Et parlons enfin des autres, justement, car les personnages secondaires ne sont pas là pour faire de la figuration: que ce soit les potes de Rintarô, les copines de Kaoruko à commencer par la dénommée Subaru qui a une forte véhémence envers les garçons, ou même la mère de notre héros qui est franchement déjà top dans son genre, on voit s'installer efficacement, autour des deux personnages principaux, une petite galerie de visages qui ont déjà tous une certaine personnalité, qui amènent immédiatement un dynamisme supplémentaire, et dont on devine bien qu'ils auront eux aussi droit à leurs développements au fil de la série. Alors, à l'image de ce qui commence à naître entre Rintarô et Kaoruko, sauront-ils, eux aussi, passer outre les nombreux préjugés qui existent entre leurs deux lycées, leurs statuts sociaux opposés, leurs deux mondes ?
A l'arrivée, découvrir enfin cette série en France est d'ores et déjà un ravissement, tant, sur des idées de base assez classiques, Saka Mikami soigne déjà beaucoup ses personnages indéniablement attachants, les travaille immédiatement de façon assez profonde et véhicule de très belles valeurs, le tout dans une atmosphère lumineuse, tendre et touchante. On semble bel et bien partis sur le petit bijou d'émotion et d'attachement qu'on nous promettait !
Côté édition, enfin, la copie est dans les standards de nobi nobi!: papier souple et assez opaque, qualité d'impression très correcte, lettrage soignée, très bonne traduction de la part de la part de Manon Debienne et Sayaka Okada qui n'ont aucune difficulté à retranscrire avec naturel le ressenti et la personnalité des personnages, et jaquette soigneusement adaptée de l'originale japonaise avec, en prime, un fond inédit qui colle bien à l'oeuvre et un logo-titre soigneusement élaboré par Lucie Archambault.
Chronique 1 :
Véritable petit phénomène, "Bloom" avait de quoi attirer l’attention de notre côté. S’étant classé honorablement à plusieurs reprises dans différents prix tels que le Next Manga Award ou le Tsutaya Comic Award, le manga de Saka Mikami saisit notre regard, simplement par ses couvertures pleines de fraîcheur.
C’est en octobre 2021, sur la plateforme de prépublication Magazine Pocket de l’éditeur Kôdansha, que démarre la parution de l’œuvre connue pour son titre d’origine "Kaoru Hana wa Rin to Saku", un véritable petit succès puisque le manga a figuré à plusieurs reprises dans les tops de ventes japonais établis par l’institut Oricon tandis que 15 tomes ont été publiés à l’heure actuelle, une jolie durée pour une comédie romantique. Chez nous, c’est en ce tout début 2025 que le manga est proposé, comme pour cueillir la nouvelle année dans la fraîcheur et la bonne humeur. Des ingrédients dont ce premier tome ne manque pas, ce qui rend raccord le titre choisi pour notre parution : « Bloom ». Un titre qui peut faire débat, mais qui synthétise finalement l’idée de l’intitulé japonais, que l’on peut tenter de traduire fidèlement pas « Les fleurs s’épanouissent dignement ». Concernant l’autrice, Saka Mikami, cette dernière a fait ses débuts en 2021 avec l’histoire courte "Kurage no Uta", tandis que la présente série a été lancée peu après. En somme, une artiste dont les débuts sont récents, une information nécessaire pour apprécier l’esthétique de ce premier tome qui peut nous dérouter… avant que le reste nous emporte totalement. Cerise sur le gâteau : son œuvre phare profitera d’une adaptation animée par CloverWorks, studio particulièrement qualitatif pour produire des romcom solides. En somme, les planètes sont alignées pour faire de "Bloom" un joli succès.
Dans "Bloom", deux lycéens antagonistes ont été bâtis l’un en face de l’autre. Chidori est un établissement pour garçons au très bas niveau, et accueille ainsi les cancres de la ville. Kikyô est son extrême opposé, un lycée pour fille qui accueille les éléments les plus doués et les héritières de bonne famille. Rintarô fait partie de l’école des ratés. Grand dadais, il effraie quiconque par sa simple carrure. Pourtant, derrière cette physionomie impressionnante se cache un simple adolescent au grand cœur. Ainsi, après les cours, Rintarô donne très souvent un coup de main à ses parents pâtissiers. C’est en les aidant qu’il fait la rencontre de Kaoruko, une jeune fille petite et frêle, gourmande et pourvue d’une vraie joie de vivre. Alors que les deux jeunes gens sympathisent, il s’apprêtent à découvrir qu’ils viennent des deux lycées antagonistes, Chidori pour Rintarô, et Kikyô pour Kaoruko. Si les élèves des deux établissements sont censés se détester mutuellement, les deux protagonistes vont passer outre les apparences et les codes sociaux pour se découvrir véritablement.
Les comédies romantiques adolescentes ont pour elle leur charme printanier, peu importe leurs écuries. Shôjo, shônen, seinen, jôsei… On fait fi de la bannière pour toujours revenir sur ces histoires d’émois entre jeunes gens, sans doute parce que relater cette période de la vie qu’on a tous connue nous touche. Et si on pense avoir fait le tour du registre, il y a toujours de ces séries qui nous surprennent, que ce soit par leur ton, leurs personnages ou leur concept clé. Avec ce premier tome de "Bloom", Saka Mikami apporte un peu de tout ça pour directement nous emporter.
La mangaka revisite un schéma digne de Roméo et Juliette, via deux clans ici symbolisés par deux écoles antagonistes qui s’opposent, où les héros que sont Rintarô et Kaoruko vont se rapprocher alors que tout semble les séparer. L’idée est simple et amène la réflexion sur l’humain au-delà de l’apparence ou des codes sociétaux, mais la traite avec une pureté particulièrement enivrante. Bien qu’il vienne d’un lycée de cancre et ait une carrure de voyou, Rintarô est un garçon doux et sincère auquel on s’attache dès les premières pages. Quant à Kaoruko, on tombe sous le charme de ses sourires assez rapidement tandis que le personnage se dévoile un peu plus à chaque chapitre, de manière à définitivement nous attendrir. C’est donc grâce à ces deux têtes d’affiche que l’orientation du récit nous galvanise, deux héros sincères et entiers qui n’ont rien de stéréotypé. Les personnages secondaires semblent déjà s’ancrer dans ce registre, et la mangaka sait les présenter sous l’optique des rivalités entre les deux écoles tout en plantant déjà des caractères crédibles.
Forcément, les tempéraments de Rintarô et Kaoruko ainsi que les alchimies qui se développent entre eux aident à créer une atmosphère douce et prenante. On pourrait même regretter que le titre sorte chez nous quelques mois trop tôt tant la saison à venir s’annonce idéale pour découvrir un tel récit. Ainsi, même un épisode centré sur un archétype de la comédie romantique adolescente réussit à nous transporter. Les personnages y sont pour beaucoup, ainsi que la manière de Saka Mikami de les dessiner dans leurs naturels, par leurs joies et leurs hésitations. Certes, le trait de l’artiste est encore hésitant et on sent bien qu’il s’agit là de la première série professionnellement publiée. Mais sa narration est convaincante tandis que sa patte démonstrative atteste déjà un charme certain. On est en droit de penser qu’au fil du temps "Bloom" sera un manga merveilleusement dessiné.
S’il est encore nécessaire de le préciser après ces lignes, ce premier opus nous donne les raisons du succès de « Bloom » dans son pays d’origine. Sur une recette pourtant simple, Saka Mikami amène une merveille de douceur et d’humanité, non sans humour, et instaure déjà un cadre solide pour la suite, de manière à développer aussi bien les futures interactions entre Rintarô et Kaoruko que les personnages qui les accompagnent. Très clairement, on a hâte de les retrouver !
Côté édition, nobi nobi ! livre une copie convaincante tant dans la fabrication que dans l’édition. On salue notamment la traduction de Manon Debienne et de Sayaka Okada, pleine de vie et de douceur. L’adaptation graphique du studio Charon est bien calibrée tandis que le logo créé par Lucie Archambault donne un équivalent honorable à la typographie japonaise, rendant une jaquette à la fois différente et fidèle.