Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 17 Juin 2025
Monument de la dark fantasy, certainement le manga le plus reconnu du genre, Berserk est aujourd’hui une œuvre qui a un retentissement très particulier, mélancolique, suite au décès de son auteur, Kentarô Miura, le 6 mai 2021. Récit inachevé ? Non, puisque le défunt maître a légué à son ami Kôji Mori (auteur, entre autres, de Holyland et Suicide Island) les grandes pistes de son scénario tandis que la relève du dessin est assuré par le collectif Studio Gaga, le studio fondé par Miura en personne de son vivant. En définitive, c’est à ses assistants que revient la lourde tâche de compléter l’un des mangas les plus acclamés qui soient.
Berserk est donc une œuvre toujours en cours avec 42 volumes au compteur. Nous concernant, seule une édition simple du récit était disponible jusqu’alors. Le lectorat francophone lorgnait particulièrement sur l’édition deluxe américaine publiée par l’éditeur Dark Horse Comics qui, par son grand format et sa belle fabrication, a de quoi faire saliver. Le marché français connaît actuellement un essor particulier en ce qui concerne ce type d’éditions. De nombreuses œuvres connaissent aujourd’hui des éditions dites « deluxe » ou « prestige », à l’instar de Mobile Suit Gundam The Origin, L’Atelier des Sorciers, Kingdom ou Slam Dunk, pour ne citer qu’elles. Pour la plupart, ces versions se calquent sur des éditions qui existent au Japon et qui concernent des titres conclus. Pour d’autres, ce sont des créations purement françaises, à l’instar de L’Atelier des sorciers et l’édition Hokage de Naruto, résultant d’une relation de confiance entre l’éditeur francophone et l’ayant droit japonais. Puisque ce type de procédés tend à se répandre et que le lectorat de nos contrées est désireux d’une mouture au bel écrin pour l’œuvre de Kentarô Miura, les éditions Glénat se sont sérieusement penchées sur la question et nous proposent depuis le début de mois une version nommée « édition prestige » de l’incontournable Berserk. Il ne s’agit pas d’un décalque de la proposition américaine de Darc Horse Comics, ni même une adaptation d’une édition japonaise (puisque seules la version classique est disponible, en plus d'une édition complète exclusivement numérique, la "special henshû-ban", qui replace les événements dans l'ordre chronologique), mais bien d’une création originale afin de répondre à la demande du lectorat. Et, en effet, Glénat a clairement pris soin de concocter une édition de belle facture.
Puisque tel est l’objet clé de cette première chronique, donnons d’emblée notre avis sur ce qui est la plus-value de ce nouvel écrin. L’ouvrage est proposé dans un très grand format, compilant deux volumes en un, proposant un papier épais d’un haut standard et réunissant les pages couleur de la prépublication en plus des illustrations servant aux couvertures des éditions simples dans un esprit de complétion. Côté conception, le tome s’apparente comme un volumineux grimoire orné de la marque de Guts et des effets de marquages rougeâtres d’un joli effet. La limite de la série certainement de reprendre la même esthétique, un peu comme l’édition deluxe de Kingdom, ce qui tend à se confirmer par les deux premiers opus qui présentent l’exact même faciès. La cerise sur le gâteau vient d’un jaspage aux tons aussi cramoisis que ceux utilisés sur la couverture, autrement dit une coloration rougeâtre de la tranche. Rien de plus qu’une volonté d’apporter un cachet supplémentaire à la conception, mais ça fonctionne.
Il convient alors de se questionner sur la cible d’une telle version, et son potentiel intérêt pour un lectorat déjà acquit. De par son prix (24.90€ par tome) et son matériel, l’édition prestige se présente avant tout comme un objet de luxe à destination des fans qui souhaiteraient une édition très qualitative de la série, pour ne pas dire ultime. Elle est aussi idéale pour les amoureux de l’art de Kentarô Miura tant ce format imposant sublime sa narration et son sens du détail, sur les planches doubles notamment. D’ailleurs, si les dimensions et l’épaisseur du livre font se poser des questions sur le confort de lecture, la mise en page, le calibrage des planches et la conception ne posent pas vraiment de frein de ce côté. Mieux vaut néanmoins prévoir de poser cette bible sur les genoux ou sur une surface plate lors de la lecture, le poids d’un tel bébé étant évident.
Évidemment, difficile de conseiller un tel format à un lectorat aux finances plus maigres. Ainsi, heureusement que cette version coexiste avec l’édition simple afin de laisser Berserk être une œuvre accessible, indispensable étant donné son importante dans le patrimoine du manga et dans celui de la dark fantasy d’une manière générale.
L’intérêt phare de cette version étant abordé, quid du récit en lui-même ? On ne présente plus Berserk aujourd’hui, si bien que tout lecteur de manga un tant soit peu assidu a au moins entendu le nom de l’œuvre phare du regretté Miura. Mais il existe des lecteurs novices qui ont tout un pan du manga à découvrir, ou amateurs qui ne se sont jamais lancé dans l’aventure, car la dark-fantasy n’est pas forcément leur cadre fétiche. Votre serviteur fait partie de cette deuxième catégorie et n’a que trop souvent reporté l’échéance de la lecture. Alors, c’est un avis totalement novice qui suivra au sein de cette chronique et dans les suivantes.
Véritable exutoire, Berserk pose rapidement le ton d’un récit violent et sans scrupules. Kentarô Miura ne prenait aucune pincette dès l’entrée en matière de son œuvre, ce qui peut séduire comme refroidir d’entrée de jeu. À ceci s’ajoute un héros particulier, Guts, qui ne connaît qu’une empathie toute relative pour son prochain, le protagoniste embrassant la puissance comme philosophie du règne animal dans cet univers où des monstres peuvent se glisser parmi la population. Découvrir un tel personnage central en 2025 est délicat, car cette psychologie a été vue et revue maintes fois. Mais l’auteur a la subtilité de planter ça et là des nuances, des moments où Guts tend à afficher des notes d’humanité que lui-même cherche à bouder, tout en présentant des pistes de développements pour ce personnage qui n’a pas atteint un tel état d’esprit par hasard.
Dans le même ordre d’idées, cet univers sombre et viscéral ne se suffit pas de sa violence assumée. Tandis que les intrigues se font de plus en plus fournies, les premiers combats de Guts présentent des éléments qui donnent déjà une certaine profondeur au cadre. En somme, Kentarô Miura donne l’air de savoir où il va, quelles sont les origines des menaces et de quelle manière il développera le futur de son récit. Ce sont des éléments qui ajoutent du sel à une lecture qui ne manquent déjà pas de piquant. Car dès ces premiers épisodes, l’auteur présente un sens du rythme maîtrisé qui va de pair avec des planches parfaitement calibrées, de manière à ne pas nous faire quitter l’ouvrage jusqu’à sa dernière page. Et, comme nous l’avons évoqué, ses planches fourmillent de détails et ses scènes d’action montrent énormément d’idées narratives, si bien qu’on s’arrête volontiers face à certaines doubles planches. Dès ces débuts, et même si beaucoup vendent une suite bien meilleure, on se laisse emporter par ce que nous propose le mangaka sur ces débuts.
Nos attentes de la suite sont donc au plus haut, que ce soit pour découvrir (ou redécouvrir) la suite de l’histoire dans une si jolie édition, et même pour apprécier sur ces dimensions l’évolution du trait de Kentarô Miura. En ce qui nous concerne, c’est un grand oui pour cette version. Le fait qu’elle coexiste avec l’édition classique en fait une alternative idéale pour les adeptes de beaux ouvrages où ceux qui chercheraient une expérience plus aboutie de Berserk, là où des versions telles que Mobile Suit Gundam The Origin, par exemple, ne laissent pas le choix au lecteur en étant la seule proposition existante sur le marché.