Bateau-Usine (le) Vol.1 - Actualité manga

Bateau-Usine (le) Vol.1 : Critiques

Shinyaku Kanikôsen

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 20 Septembre 2023

Dans une première quinzaine de septembre très riche (trop riche ?) en nouveautés chez elles, les éditions Vega-Dupuis nous invitent notamment à découvrir La Bateau-Usine - Shinyaku Kanikôsen, une série lancée au Japon en 2021 dans le magazine Young Animal des éditions Hakusensha (le magazine seinen phare de cet éditeur, d'où viennent des oeuvres telles que Berserk, Peleliu ou encore Holyland), et qui s'est achevée l'année suivante avec son cinquième volume. Derrière ce manga, on retrouve deux noms déjà un peu connus en France, avec au scénario Shigemitsu Harada (scénariste des Brigades Immunitaires Black chez Pika Edition, et surtout auteur de plusieurs oeuvres à tendance ecchi au Japon) et au dessin Shinjirô (très remarqué pour son très bon travail sur la version manga de Fate/Zero, et aussi auteur des séries B Taboo Tattoo aux éditions Doki-Doki et Nosferatu chez Soleil Manga). Comme son nom le laisse deviner, ce récit est une adaptation libre voire très libre du célèbre roman prolétarien La Bateau Usine de Takiji Kobayashi, un roman disponible en France aux éditions Allia dont une version manga bien plus fidèle était déjà sortie aux éditions Akata il y a quelques années. Et à vrai dire, au lieu d'adaptation libre, on pourrait même dire que le manga proposé par Vega-Dupuis est plutôt une sorte de suite spirituelle portée par les mêmes idées de révolte ouvrière contre l'oppression de leurs supérieurs, puisque l'oeuvre de Harada et Shinjirô ce déroule dans un futur lointain, et que l'un des personnages tient dans sa main le roman de Kobayashi à un moment.

On plonge ici plusieurs milliers d'année dans le futur, à une époque aux accents post-apocalyptiques où la sur-activité humaine a provoqué l'évaporation de toutes les mers de la planète, et où les écarts extrêmes de température ont engendré dans le ciel un puissant courant qui couvre 70% de la surface du globe. C'est au coeur de ce courant que vivent désormais les créatures marines, devenues par le biais de l'évolution des créatures aussi gigantesques qui puissantes et donc dangereuses. C'est dans cet espace aérien violent que deux grandes nations se livrent un conflit acharné pour la domination via la pêche de la meilleure des denrées: les crabes géants. Et c'est dans ce contexte que vogue un gigantesque navire traquant ces crabes pour l'une des deux puissances. A son bord, des ouvriers qui n'ont pas d'autre choix que d'affronter les crabes à leurs risques et périls pour les récupérer afin de nourrir les plus aisés, tandis qu'eux-même n'ont pas le droit d'y goûter. Et même si les morts pullulent dans des conditions de travail insalubres, aucune importance pour les supérieurs de ces ouvriers: ils ne sont que des pions remplaçables, visiblement sans la moindre valeur humaine à leurs yeux. C'est dans ce contexte profondément inégalitaire que Lucas et Shû, deux amis d'enfance orphelins, n'ont eu d'autre choix, pour survivre, que de devenir des travailleurs sur ce bateau-usine, en se faisant la promesse de parvenir à rembourser leurs dettes pour ensuite pouvoir jouir de leur liberté. Mais il suffira d'un petit accès de colère de Luca envers la contremaîtresse Kujô, jeune femme profondément sadique et cruelle, pour que cette belle promesse parte en vrille, en signant le premier pas de la révolte ouvrière face à ceux qui les bafouent...

On ne va pas le cacher: avec son univers SF assez improbable, ce manga nous fait volontairement nager dans de la pure série B, ce qui est de toute façon l'une des marques de fabriques de Shinjirô, et l'on ne s'en plaindra pas trop puisque c'est un domaine où ce dessinateur s'en sort généralement bien sur le plan graphique. Ici, avec le scénario très librement inspiré du roman d'origine que nous pond Harada, il a tout le loisir de se faire plaisir en exagérant à fond le trait: derrière son physique de gamine Kujô est la pire des saloperies en ne montrant jamais la moindre petite trace de compassion, en brutalisant et sacrifiant très gratuitement sa main d'oeuvre, et en affichant des expressions faciales très exagérées, pour un résultat où on adore la détester autant que les ouvriers et où l'on a très facilement envie de la voir se manger leur révolte. Ce n'est pas fin pour un sou, mais l'effet est bien là, d'autant plus que le dessinateur ne se prive pas non plus d'offrir, sous son trait assez dense, un petit paquet d'animaux monstrueux et puissants et de morts violents et gores (avec le lot de membres et de tripes qui volent). Et même si le fond est un peu plus simpliste et caricatural que dans le roman, l'essence du récit d'origine reste intact avec la bataille naissante des ouvriers contre l'oppresseur pour obtenir leur liberté et leurs droits dans un cadre de travail manquant totalement de règles pour les défendre, avec même en prime un certain message sur les méfaits du capitalisme et sur la surconsommation humaine.

A l'arrivée, ce premier tome se présente à la fois comme un bon petit plaisir coupable au vu de son rendu régressif et caricatural et de son univers SF très typé série B, et comme une réinterprétation suffisamment convaincante du roman d'origine puisque les grandes lignes du propos d'origine sont conservées. A voir comment ça se développera sur les tomes suivants, mais dans l'immédiat ça se lit bien, à condition de ne pas en attendre trop et d'avoir bien conscience qu'on est avant tout dans de la grosse série B.

Côté édition, la copie proposée par Vega-Dupuis est convaincante: la jaquette reste proche de l'originale nippone jusque dans la typo du logo-titre, le papier souple et assez opaque offre une bonne qualité d'impression, la traduction de Satoko Fujimoto est soigné, et le lettrage effectué par Boris Blot et Sébastien Martinand de Blackstudio est très convaincant.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
14 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs