Au Coeur de Fukushima Vol.1 - Actualité manga
Au Coeur de Fukushima Vol.1 - Manga

Au Coeur de Fukushima Vol.1 : Critiques

Ichiefu - Fukushima Daiichi Genshiryoku Hatsudensho Annaiki

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 26 Avril 2016

11 mars 2011, Côte-Est de la préfecture de Fukushima, tandis que les tremblements sismiques de magnitude neuf troublent l’alimentation électrique de la Centrale de Daiichi, au point d’en provoquer, par voie de conséquence, la désastreuses fusion des cœurs de ses réacteurs nucléaires, un tsunami, de plus d’une quinze de mètres de hauteur, s’engouffre dans le territoire nippon, sur plus d’une dizaine de kilomètres de profondeur et des centaines d’autres en largeur sur les côtes. L’état d’urgence nucléaire est décrété : l’ordre d’évacuation des populations est donné. Si les vagues tsunamiesques auront fait mille-six-cent-sept victimes, les personnes emportées, directement ou indirectement, par les émissions radioactives sont aujourd’hui davantage nombreuses que cela.

A raison de l’ampleur de la désolation, le démantèlement des installations est planifié sur une quarantaine d’années par TEPCO, l’entreprise japonaise de l’énergie. De 2011 à 2015, plus de quarante-milles ouvriers interviendront sur ces chantiers aux allures de cimetières-radioactifs : c’est de cela que traite ce manga-carnet-de-bord : de ces petites mains qui, pour raisons diverses, sont venues œuvrer à ce que très peu, en ce monde, ont le courage de faire ; un sacrifice diront certains. N’ayons point peur des mots : des « humains-jetables » ? S’il faudra encore bien des années avant de dresser meilleure analyse sur la situation, la question se peut néanmoins être posée.

Au moment des débuts du désastre, l’auteur se trouvait à Tokyo, au chômage. Suite à l’annonce, d’un recrutement massif, par l’entreprise japonaise du nucléaire, il en vient à se décider de postuler, de s’exiler dans ces décombres où il est fait interdiction à quiconque de se rendre. Il ne s’agit point ici d’un manga porté d’une inspiration romanesque ou déformé par l’interprétation qui aura bien voulu en être donnée ; ici, la quête du divertissement est vaine : seule la curiosité, de l’autre côté d’un mur inaccessible, sera assouvie. Point d’émotion appuyée, point de personnalité approfondie : les sentiments ne semblent pas avoir leur place. Et pourtant, il n’y a pas ici, non plus, un récit de trempe documentaire. Mais alors qu’est-ce donc que ce contenu dont le manga se trouve être un support insolent ? Probablement, sur le fond, aura été livré un témoignage précis : celui du quotidien d’un ouvrier parmi tant d’autres, dans les ruines interdites. Et, peut-être, sur la forme, il sera retenu la qualification du presque journal intime d’un de ces esclaves modernes.

Ainsi, il est narré les tâches ingrates de « Monsieur-tout-le-monde » dans une des toutes dernières et étranges fourmilières contemporaines. Aucun détail n’est délaissé : les entretiens d’embauche, les faux-espoirs, les conditions financières douteuses, les locaux insalubres, le manque d’organisation, la suraccumulation pyramidale de sous-traitants, les différentes et interminables étapes afin de se rendre sur le chantier, le nombre et les types de chaussettes superposées, les combinaisons qui font ruisseler de sueur en hiver et qui deviennent insoutenables durant l’été, la nature qui reprend ses droits et les villes fantômes, les normes de sécurité qui pullulent, les choses qui sont faites sans comprendre pourquoi… comme si rien de tout cela n’avait de sens. Un témoignage depuis l’intérieur ; un cri silencieux depuis les entrailles que tout le beau personnel journalistique commente, avec la maladresse habituelle des petites dictatures des actualités, sans l’avoir pénétré.

Sur la forme, le trait un brin « ancienne école », s’il croque correctement les personnages, sied allègrement à certaines ambiances grandiloquentes de bâtiments nucléaires éventrés et de paysages désolés. Pareillement, le découpage des planches et la mise en scène sont assez maîtrisées. Néanmoins, l’ultra-détail d’un auteur très à cheval sur la précision technique de cet univers pourra, sans doute, molester une partie du lectorat d’une certaine lourdeur : les rectangles pour assise des propos du narrateur sont dense et tout autant nombreux. Peut-être une approche laissant davantage les protagonistes dialoguer entre eux aurait pu permettre d’amener ces éléments en attirant meilleurement l’attention du lecteur par une fluidité accrue, tout en développant lesdits personnages. Aussi, il sera hautement apprécié les planches descriptives des lieux, accompagnées de cartes détaillées, de décors emblématiques et de moments, parfois, improbables : à l’instar de ces vaches devenues sauvages et se promenant, dans la plus grande liberté, sur les routes abandonnées : la locution « post-apocalyptique » ne sonne plus tel un euphémisme.

En ce qui concerne l’édition, le prix pourra paraître cohérent jusqu’à qu’il soit noté que celui-ci fût imprimé en dehors de l’hexagone : de facto, cela n’est que peu approprié. Néanmoins, l’édition est d’une facture correcte, à raison, notamment, d’un papier souple sans être trop fin,  même si sans doute assez transparent à certains endroits.  Le format davantage grand qu’à l’habitude semblait inéluctable eu égard à la quantité de texte remplissant quasi chaque page. D’ailleurs, le travail de traduction de Frédéric Mallet ne peut être que salué, tant cela est dense et empli de termes techniques ; également, les annotations diverses se trouvent bien enchevêtrées à l’ensemble. Enfin, les lecteurs les plus exigeants pourront apprécier l’avant-propos de Mademoiselle Karyn Nishimura-Poupée, Journaliste de l’AFP, ès qualité de correspondante au Japon, dont l’analyse se veut régulièrement raffinée et très agréable.

Journal de bord d’une fourmi parcourant les décombres et les secrets d’alcôves de la désolation nucléaire. Si ce premier ouvrage de la série « Au Cœur de Fukushima » n’emportera pas le lecteur dans un souffle romanesque ni même dans un de ces divertissements légers, le contenu informatif n’aura que rarement été aussi élevé dans un manga ; lequel se révèle sous un jour qui ne lui est que trop méconnu : le témoignage d’un individu dans son époque et à sa tâche : héros errant dans la banalité du bien.

Si la prestation de l’auteur se voudra, par certains aspects, davantage technique qu’artistique, il ne serait en rien improbable que, le temps se faisant, cette production puisse revêtir une importance historique ; néanmoins, avant d’appuyer plus encore cette éventualité, il conviendra d’avoir pris lecture des tomes suivants. Si vous cherchez unilatéralement à vous divertir, passez votre chemin ; si vous portez en vous la curiosité de vous rendre en l’endroit dont il est raconté bien des choses, pour ne point dire maintes fantasmes déraisonnables, sans que les caméras n’aient pu s’y introduire, alors vous pourriez être agréablement satisfaits ; en tous les cas, prendre le temps de bien assimiler les moult rouages techniques, les quantités de textes et les divers paysages accablants pourra vous prendre bien des heures d’une lecture relativement exigeante.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
15.5 20
Note de la rédaction