Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 22 Juillet 2025
Dans le paysage du webtoon, on s’attend aujourd’hui à ce que les titres les plus acclamés et populaires nous parviennent au format papier. D’œuvres proposées en lecture par scrolling à manhwa, ces récits content les fans et peuvent aussi cibler un autre lectorat plus attaché au physique et rebuté par la lecture numérique. En cet été 2025, le jeune éditeur Komogi déploie ce qui pourrait devenir son récit fort : Wind Breaker (à ne pas confondre avec le manga furyo de Satoru Nii).
Lancé en 2013 en Corée du Sud sur la plateforme Naver, Wind Breaker est né de la main de Yongseok Jo et cumule à ce jour plus de 550 chapitres. Fort de ce succès, une version physique a été inaugurée en avril 2022 et compte actuellement 29 tomes. Cette version physique sert de base à l’édition française de Komogi. Suite à un financement participatif réussi, les deux premiers volumes paraissent en simultanée en librairie tandis que les personnages ayant soutenu la campagne ont pu acquérir les quatre premiers opus dans un joli coffret aux tons dorés. Un lancement prometteur chez nous, donc. Mais le destin est cruel, et c’est au même moment que l’annonce d’une annulation de la publication coréenne s’abat sur l’auteur comme sur les fans. Wind Breaker s’arrête subitement, après 12 années de parution. En cause, les très grandes similarités entre certaines planches de Yongseok Jo et certains mangas. Le concerné a rapidement reconnu ses torts et a publié au format textuel la suite des événements de son histoire. Pour l’éditeur comme pour les lecteurs, voilà de quoi avoir un goût amer en bouche, d’autant plus que de nombreuses zones d’ombre subsistent. Espérons tout de même que Komogi pourra publier l’ensemble des tomes disponibles en Corée du Sud, et que l’annulation de la prépublication ne nuira pas au succès de Wind Breaker en librairies. Les plus optimistes pourront même espérer une issue favorable et un retour de la série dans son pays d’origine.
Ja Hyeon a tout du lycéen modèle. Studieux, il accorde plus d’attention à ses révisions qu’à ses relations sociales. Des amis, il n’en a pas, si ce n’est son vélo qui lui permet de s’évader et qui constitue son seul loisir. Par hasard, ses prouesses sont remarquées par Min Woo, pointure du Zephyros Crow, un groupe de street riding. Mais Ja Hyeon n’a que faire de l’amitié que lui offre son camarade, aussi Min Woo va devoir redoubler d’efforts pour convaincre le garçon d’être des leurs.
Le street riding est un univers assez rare dans le manga et le manhwa. Si on parle de vélo, la série En selle Sakamichi (Yowamushi Pedal) vient immédiatement en tête. Mais dans Wind Breaker, la série de Yongseok Jo, il est, pour le moment, davantage question de sport de rue et de confrontations urbaines plus qu’un cadre sportif strict et cadré. C’est un enrobage qui a de quoi titiller notre intérêt et dont la très bonne exécution par ce premier tome a clairement de quoi nous emporter d’entrée de jeu.
L’histoire, assez simple, nous entraîne aux côtés de Ja Hyeon, archétype du lycéen modèle pour la société, qui ne jure que par ses études. En opposition, le récit nous présente très rapidement son amour du vélo qui tranche avec cette façade socialement idéale et qui nous aiguille rapidement vers l’une des orientations probables du récit : la passion comme outil de libération. En ce sens, ce premier tome narre les débuts de l’émancipation de ce protagoniste froid et solitaire, mais enrichi par son rapport au street riding qui lui donne une profondeur. Le dilemme entre cette liberté par le vélo et les impératifs familiaux et sociétaux de la réussite font mouche et donnent une dimension sociale particulièrement intéressante et qui méritera d’être creusée au fil du récit.
À côté, c’est aussi un cadre urbain exaltant que dépeint ce premier volume. L’histoire de Ja Hyeon se fait en parallèle d’autres personnages tels que le charismatique Min Woo, figure forte de son groupe de riding, qui tente d’embarquer le protagoniste dans ses péripéties. Deux caractères opposés qui se confrontent, voire trois ou quatre puisque les personnages marquants se succèdent dans ce premier opus et amènent des situations d’amitié ou de rivalité tantôt drôles, tantôt hargneuses. Tout ce cadre à base de conflits d’ascension dans un gang et de confrontation n’est pas sans rappeler le genre du furyo, une dimension urbaine qui donne un charme indéniable à cette histoire qui sait briller par son époque, utilisant même les réseaux sociaux et plateformes de streaming comme outil d’enjeux et de tension.
Ce sont aussi les séquences de riding qui complètent admirablement cette histoire solide. On sent chez Yongseok Jo une vraie inspiration, voire une passion pour le milieu qu’il dépeint. Sa narration est particulièrement inspirée et l’auteur a un vrai talent dans l’utilisation des effets numériques pour donner du relief à ses compositions. Plus globalement, son dessin est particulièrement vivant et expressif, et l’artiste ne se prive jamais de jongler entre différents styles pour donner des tons variés et adaptés aux séquences qu’il dépeint. Si le média du webtoon à cette image de productions à la chaîne aux styles parfois simplistes, Yongseok Jo présente un vrai parti-pris artistique et une aura graphique indéniable, de quoi casser quelques a priori sur le format.
Il y a donc de quoi être conquis par ce premier opus particulièrement complet, que ce soit par son univers sportif, sa fresque sociale et adolescente ou le talent de l’auteur pour croquer graphiquement son sujet. Wind Breaker plante déjà de belles ambitions et plusieurs enjeux, de quoi nous entraîner dans cette aventure sur le long terme. Maintenant, étant donné la situation actuelle de la série et de son artiste, on ne peut que croiser les doigts pour une issue favorable, que ce soit du côté de Naver en Corée que chez nous aux éditions Komogi.
Enfin, un petit peu sur le travail de l’éditeur : Avec son grand format inhérent au webtoon, sa très bonne mise en page, son lettrage solide et son papier couché brillant adéquat, le travail de conception de notre édition physique est des plus honorables. Le tout est sublimé par la couverture métallisée d’un très bel effet qui reprend le visuel de la version coréenne, appuyé par un logo inspiré et en phase avec l’univers de la série. En somme, un bel ouvrage avec, comme cerise sur le gâteau, la box de rangement des quatre premiers volumes, aux allures dorées, qui offre un bel objet à une série qui semble déjà le mériter.