Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 28 Juillet 2023
Voici déjà quelques années qu'Ascendance of a Bookworm, notamment grâce à sa très sympathique adaptation animée qui l'a popularisé à l'international, a acquis ses lettres de noblesse hors du Japon, et les éditions Ototo ont été les premières à intelligemment en profiter en lançant dès le début d'année 2020 la jolie adaptation manga, cette dernière suivant toujours son cours à l'heure où ces lignes sont écrites en approchant de la conclusion de sa 2e partie (cette version manga comptant déjà 4 parties dans son pays d'origine). Au vu des qualités de cette histoire, l'arrivée en France du light novel d'origine était un rêve que l'on pouvait se permettre, et ce rêve a été exaucé à partir de novembre 2021 par les éditions LaNovel, spécialisées dans ces séries de romans illustrés assez typiques du Japon ! De son nom original Honzuki no Gekokujô, Ascendance of a Bookworm est donc, initialement un light novel écrit par Miya Kazuki, illustré par You Shiina, et en cours de parution au Japon depuis 2013 aux éditions To Books avec déjà 35 volumes au compteur actuellement.
Il était une fois, une jeune femme nommée Urano Motosu qui, depuis toute ,adorait les livres, au point d'en faire désormais son métier. S'intéressant à tous types de lectures au point d'avoir acquis énormément de savoir, elle est ressortie brillamment diplômée de sa formation pour devenir bibliothécaire... mais c'est aussi l'instant où, alors qu'elle était sur le point d'atteindre son rêve, elle est décédée ironiquement en voyant sa collection de livres s'effondrer sur elle suite à un séisme. Au moment de mourir, elle eut tout juste le temps de faire un souhait: si elle doit renaître, qu'elle puisse continuer à lire des livres. Qui aurait cru que son rêve serait exaucé... mais seulement partiellement ? Car s'il y a un dieu, il semble bien cruel: bel et bien ressuscitée dans le corps d'une fillette de 5 ans nommée Maïn, la brillante étudiante se retrouve toutefois dans un monde à des années-lumière de ses rêves, puisque l'illettrisme y semble omniprésent et que les livres, très rares puisque l'imprimerie n'existe pas encore, y sont quasiment inaccessibles pour une famille pauvre comme la sienne ! Tout en découvrant ce monde et en cherchant des livres par tous les moyens, la fillette risque fort de bouleverser quelque peu l'étrange monde dans lequel elle s'est retrouvée...
Encore un isekai ? Oui, mais celui-ci, comme le savent déjà celles et ceux ayant vu l'anime ou lu le manga, sera bien différent, chose que l'on ressent dès la réincarnation d'Urano dans le corps de Maïn, fillette de 5 ans qui existait déjà dans cet autre monde, ayant une santé fragile, et dont notre héroïne acquiert systématiquement tous les souvenirs en plus de se rappeler de son ancienne vie dans notre monde. En somme, voici une jeune femme coincée dans le corps d'une enfant de 5 ans chétive et ne pouvant pas faire grand chose par elle-même, qui plus est expédiée dans un monde bien différent de la plupart des isekai habituels: ici, pas de créatures de fantasy et peu de magie (du moins, pour le moment), mais un monde apparaissant tout simplement ancien, médiéval, et que nous allons découvrir en même temps que Maïn pendant une bonne partie de ce premier volume.
Car ce volume 1 est, dans un premier temps, un tome de mise en place, de découverte par Maïn des grands aspects de l'endroit où elle s'est retrouvée. Tout en "faisant connaissance" de sa famille avec sa mère, son père Gunther, et son adorable grande soeur de 7 ans Tuuli, de premières choses frappent vite notre héroïne: il y a des petites différences étonnantes avec le monde qu'elle a connu, comme des couleurs de cheveux surprenantes ou des fruits qu'elle ne connaît pas. Son escapade dans la maison familiale est sans appel: une modeste bâtisse en bois dans un immeuble, avec seulement trois pièces, sans salle de bains (car on ne se lave pas, ou rarement), sans toilettes (on se contente d'un pot de chambre dont ont jette le contenu par la fenêtre), sans eau courante... ni bibliothèque ! Maïn le comprend donc vite: sa famille n'est pas parmi les riches. L'étape suivante, celle de la découverte de la ville en accompagnant sa mère au marché, lui enseigne encore des choses: les bâtiments et l'architecture évoquent une ville ancienne européenne, des remparts entourent la ville pour la protéger (son père étant d'ailleurs un soldat gardant la porte sud), d'autres remparts intérieurs séparent le château du seigneur et les résidences des nobles des habitations pour les roturiers, les magasins sont réservés aux plus riches tandis que les "pauvres" doivent se contenter du marché, il y a un imposant temple où elle devra se faire baptiser quand elle aura 7 ans... Il y a en plus d'autres détails: le fait qu'il n'y ait pas d'école et que les enfants aident les adultes ou alors travaillent déjà, l'absence de frigo contraignant à acheter au marché de la nourriture à conserver pour l'hiver et qu'il faut donc saler et fumer... C'est ainsi tout un contexte de vraie ville médiévale que la romancière met soigneusement en place, un contexte pour lequel on devine une certaine documentation tant les choses apparaissent crédibles, ce qui contribue forcément beaucoup à rendre ce monde immersif et cohérent.
Dans ce contexte qu'elle découvre souvent avec un dépit un peu comique, la fillette va donc devoir mettre en pratique les connaissances qui lui restent de son ancienne vie, ces connaissances qu'elle a accumulées aussi bien via ses innombrables lectures que via ce que lui a appris sa mère. Bien sûr, elle découvrira pas mal de petites choses typiques de ce monde ancien, comme comment fabriquer des chandelles avec les moyens du bord. Mais ce sont ses propres trouvailles qui captent le plus l'intérêt au point de même étonner ses proches: moyen astucieux pour l'époque d'attacher ses cheveux avec un bâton, fabrication d'un shampooing artisanal à base d'huile végétale... C'est que la demoiselle nous en apprendrait même à nous autres lecteurs !
Mais si la série s'appelle Ascendance of a Bookworm, ce n'est pas pour rien, la miss étant en permanence mue par son désir de trouver des livres dans ce monde et d'en toucher. Mais de ce côté-là, elle va de mal en pis pour l'instant: dans un monde inspiré de notre Europe médiévale d'avant l'invention de l'imprimerie, où les livres sont alors écrits manuellement et sont donc très rares, où les roturiers/pauvres savent à peine lire ou écrire (voire pas du tout) au point que l'écriture n'est même pas répandue, les livres et la lecture sont des loisirs réservés aux plus riches... Et pourtant, notre passionné héroïne ne baisse pas les bras: si elles ne peut pas avoir de livres, elle en fabriquera elle-même ! C'est ce qu'elle se met en tête, et ce sera l'un des grands axes des débuts de la série, avec à la clé certains petites mines d'informations sur des techniques anciennes de fabrication de papier et de livres issues de civilisations anciennes: le papyrus d'Egypte antique, les tablettes d'argile de Mésopotamie, les tablettes de bois du fleuve jaune... sans oublier le besoin de concevoir de l'encre avec les moyens du bord là aussi.
Suivre Maïn dans ses entreprises passionnées et volontaires pour confectionner ses substituts de livres est donc très prenant, mais l'intérêt de l'oeuvre est loin de se limiter à cela, car en parallèle la fillette continue en permanence d'apprendre pas mal d'autres choses, tout comme elle apprend des choses à son entourage en exploitant ses connaissances issues de sa précédente vie. Si bien qu'en somme, les tentatives de conceptions de supports littéraires par Maïn sont loin d'être les seules choses prenantes et immersives à la lecture: tout en essayant tant bien que mal de braver son très jeune âge et sa santé fragile (un aspect qui aura une importance toujours plus grande), notre héroïne apprend autant qu'elle apprend aux autres, le concept isekai est alors ici très bien exploité et n'est pas qu'un prétexte, et en plus cela permet de voir la jeune fille s'intégrer petit à petit tout en nouant des liens avec son entourage, que ce soit son père dont la jalousie envers Otto est rigolote, l'adorable soeur Tuuli qui veille sur elle, Lutz qui devient un précieux ami et qu'elle cherche à aider dans ses rêves d'avenir, Otto en tant que professeur...
Voila qui promet alors le meilleur pour ce light novel qui, il faut bien le dire, débute sous les meilleurs auspices. L'installation de l'univers est aussi fluide que riche et intéressante, cette héroïne et son entourage captent tout de suite l'attention, la quête bibliophile de Maïn promet d'être très prenante, les différents enjeux s'installent vraiment bien en ne se limitant pas à la quête principale de la petite fille, l'écriture passant entièrement par Maïn (si l'on excepte le prologue et les chapitres "bonus" de fin) se veut aussi claire qu'immersive, et les illustrations de You Shiina parsemant l'ouvrage offrent des designs aussi mignons que soignés.
Qui plus est, il faut souligner la qualité éditoriale proposée par LaNovel, avec une jaquette assez épaisse et dotée d'un beau vernis sélectif, la conservation du petit dépliant ouvrant le tome et proposant deux illustrations couleurs, un papier de bonne facture permettant une impression satisfaisante, et une traduction toujours limpide d'Aurélien Piovan.