Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 08 Juin 2022
Au fil de ce deuxième volume encore plus épais que le premier avec ces 260 pages environ, Takashi Morita continue d'adapter les nouvelles d'"Arsène Lupin, Gentleman Cambrioleur", la toute première publication en livre de la saga Arsène Lupin, effectuée par Maurice Leblanc en 1907. Et après les premiers récits qui installaient brillamment le personnage de Lupin, ses mille facettes et ses facéties, les trois nouvelles adaptées ici ne manquent pas d'intérêt elles non plus, notamment quand il s'agit d'aborder l'identité et les origines d'Arsène Lupin.
"Le Collier de la Reine", sur environ 80 pages, commence par nous plonger 20 ans en arrière, en 1980, au sein de la demeure de la comtesse de Dreux-Soubise. Cette femme et son époux, issus de bonne lignée, se vantent d'avoir en leur possession le célèbre "collier de la rein", celui-là même qui, un peu avant la Révolution Française, coûta cher à la reine Marie-Antoinette en étant volée par Jeanne de la Motte et ses complices. Mais voilà qu'un jour, le collier leur est dérobé d'une manière inexplicable, le cabinet dans lequel il était caché étant resté clos de partout. Alors que la police est incapable d'expliquer comment le vol a pu être fait et comment le ou la coupable a pu s'échapper de cette pièce totalement fermée, la comtesse finit par accuser Henriette, jolie femme désoeuvrée et mère d'un jeune enfant nommé Raoul, qu'elle n'a autrefois pas eu d'autre choix que de recueillir et sur qui elle passe souvent ses nerfs, si bien que, même sans preuves elle finit par chasser de son domaine les deux malheureux. Les années passent sans que la réponse sur ce vol ne soit trouvée ni que le collier soit retrouvé... jusqu'à ce qu'un jeune homme, lors d'un repas chez les Dreux-Soubise, ne lève le voile sur tout ceci avec un étonnante analyse.
L'histoire joue ici sur un concept policier devenu bien célèbre au fil des décennies et qui était alors assez novateur pour l'époque: le crime en pièce fermée, que Maurice Leblanc a donc contribué à populariser, au même titre que le célèbre roman "Le Mystère de la Chambre jaune" de Gaston Leroux (publié pour la première fois en automne 1907, seulement quelques mois après "Arsène Lupin, Gentleman Cambrioleur"). Récit forcément intrigant de par sa construction bourrée de mystères et à première vue inexplicable, l'affaire prend surtout toute sa saveur quand on finit par en découvrir la teneur, 20 ans plus tard: sans trop spoiler, tout ceci permet avant tout à Maurice Leblanc et donc aussi à Takashi Morita d'évoquer la plus tendre jeunesse de celui qui deviendra Arsène Lupin, de dévoiler une part de ses origines, d'expliquer un peu ce qui l'a conduit à devenir ce qu'il est devenu, et aussi de laisser deviner la part de ténèbres se cachant derrière son côté souvent gai, ténèbres forcément héritées des douleurs de son enfance.
Dans "Le Sept de coeur", plus long récit du tome avec ses plus de 140 pages, c'est à travers un écrivain que l'histoire est racontée, ce dernier ayant eu l'occasion de croiser la route d'Arsène Lupin et de devenir, par la force des choses, son biographe, après avoir été épaté par le voleur. Tout commence quand l'écrivain reçoit dans sa vaste demeure, achetée il y a quelque temps, une visite inattendue: alors qu'on lui fait parvenir un papier lui sommant de ne plus esquisser la moindre parole ni le moindre geste sans quoi il lui arrivera malheur, une silhouette semble se faufiler avec des fracas assourdissants dans son bureau... et pourtant, une fois tout ceci fin, rien n'a été cassé ni volé. Peu de temps après, un homme inconnu et visiblement inquiet vient rendre visite à l'écrivain, lui demande de le laisser seul trois minutes dans le bureau pour essayer de comprendre ce qui s'est passé, puis finit par se suicider dans la pièce, en laissant derrière lui deux maigres indices: la carte de visite d'un célèbre banquier, et une mystérieuse carte de 7 de Coeur percée en plusieurs endroits... Que signifie tout ceci ? Que cache cette maison ? Pour essayer de comprendre, l'écrivain va mener l'enquête, bien aidé par son ami perspicace Daspry.
Tandis que l'on se demande tout du long quel va être le rôle d'Arsène lupin dans cette étrange affaire et ce qu'il va y rechercher, Leblanc/Morita développent ici une intrigue dotée de quelques tiroirs s'emboîtant bien et se voulant, quelque part, assez ambitieuse pour une raison en particulier: le contexte historique qui y est distillé. Les fans de Maurice Leblanc savent bien que l'écrivain était également passionné d'histoire et qui a souvent fait appel à celle-ci dans ses récits, et il l'a d'ailleurs démontré dès l'histoire précédente en exploitant le Collier de Marie-Antoinette. Mais ici, les choses iront plus loin encore, en jouant sur le contexte direct de l'époque, sur les tensions franco-allemandes qui persistaient depuis la guerre prussienne perdue par Napoléon III en 1870, sur les problèmes entre les deux pays autour des plans volés d'un sous-marin, et sur la place que sera amenée à prendre dans l'existence de Lupin un homme ayant bel et bien existé, à savoir l'Empereur d'Allemagne en personne, Guillaume II. Une figure qui, plus tard, aura notamment une grande importance dans l'une des plus célèbres, ambitieuses et sombres aventures de Lupin: 813.
Enfin, avec seulement une trentaine de pages à son actif, "le Coffre-fort de Madame Imbert" est un récit se voulant bien plus court et où Lupin s'infiltre dans la demeure du riche couple Imbert en tant que nouveau secrétaire, dans l'espoir d'y commettre un vol audacieux. La particularité de cette affaire ? Eh bien, elle s'est en réalité déroulée en 1893 soit 7 ans plus tôt quand Lupin n'avait que 19 ans, est racontée par ce dernier à son biographe lors d'une visite, et était censée constituer le baptême du feu de notre cher voleur selon lui, puisque cela devait être son tout premier méfait en tant qu'Arsène Lupin. Mais l'issue nous fera surtout découvrir un Lupin qui, tout jeune et peu expérimenté, était encore novice en la matière, au point d'être un peu maladroit/naïf et de se faire lui-même rouler pour la première et peut-être dernière fois.
Chaque récit a ainsi sa pierre à apporter à l'édifice, au mythe Lupin alors tout juste entamé. Et Takashi Morita continue de mettre tout ceci en images avec une passion communicative, tant il ne néglige aucun détail, en allant même jusqu'à expliquer plus en profondeur que dans les nouvelles d'origine des éléments historiques qui, de nos jours et plus encore pour un public originellement japonais, peuvent être très complexes à appréhender (la guerre de Prusse, les tension franco-allemandes, etc).