Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 08 Juillet 2022
Le shogun Ieyasu Tokugawa, unificateur du Japon, doit se résoudre à voir sa vie bientôt prendre fin. Après avoir longtemps tâché de perpétuer la lignée Tokugawa avec ses nombreuses concubines et tenté d'entretenir sa jeunesse dans les bains rituels d'Okichi, il est temps pour le Commandant Suprême du pays de s'éteindre en confiant le pouvoir à son fils Hidetada, mais non sans instaurer quelques dernières règles: maintenant que tous les ninjas Onshin se sont éveillés, il a peur des représailles envers la pérennité du bakufu Tokugawa, et décide alors d'interdire l'attaque des forêts et montagnes où vivent les barbares, et de proscrire le commerce et la traite d'êtres humains obtenus lors de pillages. Et c'est donc avec l'espoir d'empêcher la naissance de démons supplémentaires qu'il meurt, non sans recevoir dans ses dernières instants une étonnante visite...
Pour tous les insoumis au pouvoir es Tokugawa, cela pourrait représenter une victoire. mais pour les ninjas Onshin, il reste un objectif en particulier à atteindre: dénicher un paradis légendaire qui se situerait au-delà des mers, un havre de paix pour les barbares car le bakufu Tokugawa n'y a aucune emprise. Un lieu appelé Tokoyonokuni par les uns, Niraikanai par les autres, Mont Hôrai par d'autres encore... Quelle que soit son appellation, c'est bien vers un lieu commun que les ninjas Onshin se dirigent, jusqu'à peut-être être enfin tous réunis. mais ce paradis utopique existe-t-il bel et bien ?
Au fil de cet ultime volume de la série, le but de Takayuki Yamaguchi est assez simple: cristalliser tout le parcours de ses principaux personnages en les faisant converger vers une direction commune pacifique, tout en prenant soin d'entretenir encore le symbolisme de ce parcours: chacun d'eux a pu être bafoué de différentes manières avant de s'éveiller au statut de démon, en soulignant fortement le sort néfaste réservé aux minorités (barbares, coréens, survivants des Toyotomi, aïnous, chrétiens...) ainsi qu'aux laissés pour compte (comme les prostituées).
Dans la dernière ligne droite de son récit, le mangaka insiste encore, fort logiquement, sur cet aspect, en offrant quelques ultimes péripéties prenant pour point de départ le voyage de Kakugo et d'Iori vers le Tokoyonokuni, en les faisant d'abord passer par un hameau de proscrits, puis surtout en confrontant les personnages au dernier des "trois Tarô", Urashima Tarô, qui décide de kidnapper Iori pour l'emmener jusqu'au palais Ryûgû et reconquérir l'élue de son coeur. L'affaire semble être avant tout un prétexte pour faire se rejoindre les Ninjas Onshin et les unir face à un dernier problème commun, mais la saveur toute particulière de la série continue de faire son office jusqu'au bout, tant Yamaguchi reste fidèle à ses concepts et à ses idées directrices. Ainsi, les petits moments d'action se veulent toujours plus esthétiques que franchement lisibles (et de ce côté-là, l'auteur propose encore quelques bijoux de designs), les quelques aspects critiques sont toujours là (ici autour de la condition de femmes enlevées de force pour servir dans un bordel), et surtout l'auteur se régale et nous régale en continuant de se réapproprier à sa sauce certaines grandes lignes de l'histoire qu'il mélange au folklore, aux légendes et aux contes japonais, en particulier ici l'histoire d'Urashima Tarô qu'il réinterprète d'une manière bien à lui.
La toute fin, elle, pourra éventuellement apparaître un peu rapide, cependant l'épilogue du dernier chapitre vient efficacement symboliser l'issue du parcours de nos démons rebelles, leurs désirs de paix et de liberté plus que de bête vengeance, et leur volonté d'étendre leurs idéaux au-delà des mers, dans un paradis qu'ils ont peut-être trouvé.
"Nous n'avons pas les mêmes origines. Nous n'avons pas la même couleur de peau. Et nous ne vénérons pas les mêmes dieux. Cependant, nous vivons en harmonie, sans nous entre-tuer !"
On ne le dira jamais assez: Les 7 Ninjas d'Efu est une série qui n'est clairement pas facile d'accès, dont le mélange de genres peut déstabiliser et déplaire, mais c'est précisément ce qui rend l'oeuvre si unique. Et en voyant à quel point Takayuki Yamaguchi a su éviter les concessions pour rester fidèle à son idée, à son style, à ses thèmes, on ne peut que ressortir globalement satisfait de ce dernier volume, si tant est que l'on a accroché à la série auparavant bien sûr. On ne peut que remercier Meian d'avoir osé sortir en France cette série atypique, d'autant plus que la qualité éditoriale sera restée au rendez-vous dans l'ensemble, en particulier grâce à l'implication du traducteur Vincent Marcantognini qui n'a pas lésiné sur les notes de traduction utiles et qui nous offre même ici une jolie postface revenant sur certains aspects du récit.