Critique de l'anime : Mobile Suit Gundam SEED Freedom
Publiée le Vendredi, 17 Mai 2024
Les 27 et 28 avril, les cinémas de France ont accueilli une nouvelle sortie éphémère, comme c'est régulièrement le cas pour des métrages qui méritent de sortir chez nous, sans forcément avoir la puissance de frappe d'un nouvel opus de One Piece. Dernier volet en date de l'éternel univers Gundam, Gundam SEED Freedom donne une continuité à la série micro saga Gundam SEED, achevée depuis 2006 avec le volet SEED Destiny. Un projet longuement attendu, si bien que beaucoup ne l'attendaient certainement plus. Le film offre moult plaisirs, dont celui des retrouvailles ainsi qu'une expérience spectaculaire... mais qui n'est pas forcément accessible à toutes et à tous.


La Genèse complexe
Le 1er octobre 2005 se conclut la série animée Mobile Suit Gundam SEED Destiny, deuxième morceau de l'univers estampillé SEED dont la particularité est d'être en marge totale de la grande saga centrale qu'est l'Universal Century. Une fin peu satisfaisante, notamment à cause d'un climax abrupt, sir bien qu'une version longue du dernier épisode est diffusée sur les petits écrans japonais le 25 décembre de la même année. Cet épisode conclusif que l'on pourrait qualifier de director's cut, nommé Gundam SEED Destiny Final Plus : L'avenir choisi, donne un point final plus convaincant, et cet achèvement sera lui-même complété par de nouvelles scènes du quatrième et dernier long métrage récapitulatif de la série, dit Special Edition, sorti le 23 février 2007. Le volet "Destiny" de Gundam SEED est achevé, mais un bruit se fait entendre : un film de conclusion serait en production et poursuivrait encore un peu les aventures de Kira Yamato et des siens. Malheureusement, malgré plusieurs confirmations du projet de la part de sources officielles et de la presse, le film restera à l'état d'embryon pendant bien longtemps. Malade, la scénariste Chiaki Morosawa, épouse du réalisateur Mitsuo Fukuda, décède le 19 février 2016. Les fans n'attendaient donc plus grand-chose du calendrier de la Cosmic Era de Gundam (la timeline correspondant aux œuvres estampillées SEED), si ce n'est quelques gunpla (maquettes Gundam) supplémentaires ou d'éventuels spin-offs sous forme de manga. Le couperet semble donc absolu. Pourtant, il ne faudra que quelques années avant que le feu de l'espoir soit remis aux poudres des attentes des fans, après que le chanteur Takanori Nishikawa (aka T.M.Revolution et ancien chanteur/leader d'Abingdon Boys School), qui doit une part de sa notoriété aux chansons qu'il a interprétées pour Gundam SEED et SEED Destiny, confirme que le film est toujours à l'ordre du jour.


Au printemps 2021, nous approchons des 20 ans de Gundam SEED. Un anniversaire qui portera le doux sobriquet de Project Ignited, marqué par divers événements dont le manga Gundam SEED Eclipse d'Atsushi Soga (toujours en cours)... et la sortie du long métrage inespéré ! Malgré le décès de Chiaki Morosawa, Mitsuo Fukuda a repris les pistes de scénario de sa défunte épouse, déjà bien couchées sur papier, pour compléter cette histoire et réaliser le film. Un travail qu'il n'a pas mené seul, puisque l'auteur Ryu Gotô, responsable des novélisation des deux séries et du film, lui a apporté son aide. Son titre ? Mobile Suit Gundam SEED Freedom. Celui-ci sort dans les cinémas japonais le 26 janvier 2024, puis progressivement dans le reste du monde. Fukuda se sera montré tenace pour concrétiser ce nouvel opus malgré les difficultés et les tragédies, mais son travail a porté ses fruits puisque Freedom a littéralement cartonné aux box-offices nippons, devenant le film Gundam le plus rentable, devant même si quasi sacré troisième opus de la trilogie cinématographique compilant la série originale de 1979. Plus encore, en partie grâce à SEED Freedom, Bandai aura battu des records dans les ventes de produits dérivés liés au plus célèbre des robots géants.

Nouvelle faction, nouveaux conflits
Gundam SEED Freedom se tient près d'un an après la fin de la série Destiny, en l'an 75 de la Cosmic Etra (ou C.E.75 pour les intimes), une époque où les guerres n'ont pas disparu. Après avoir rejeté le plan Destiny du président Durandal, visant à pacifier l'humanité en réorientant chacun vers la destinée idéale dictée par ses gènes, Kira Yamato et Lacus Clyne ont créé Compass, une organisation de maintient de la paix par la force, qui agit de concert avec les grandes nations du monde. Dans ce contexte, l'organisation raciste Blue Cosmos, toujours active, reste l'ennemi à abattre. Tandis que Kira se jette à corps et âmes dans ces batailles, laissant de côté sa vie intime avec Lacus, le jeune pays de Fondation se lie à la faction dans le but de traquer Blue Cosmos. Une nouvelle alliance qui signera le début de nouveaux drames et de nouvelles batailles...

Du Gundam au cinéma, mais pas forcément accessible
Quand un nouvel opus de la saga Gundam pointe le bout de son nez, la question de son accessibilité se pose. Et quand il s'agit d'une sortie cinéma assez exceptionnelle, l'envie des curieux de faire le premier pas vers le plus célèbre robot géant du Japon est légitime. Pourtant, chaque œuvre Gundam n'est pas une bonne porte d'entrée, et Gundam SEED Freedom n'en est malheureusement pas une du tout. Sa cible est effectivement très restreinte, car construite par celles et ceux qui ont vu les deux séries estampillées SEED.
L'une des caractéristiques de l'intrigue du long métrage est de revenir sur l'un des enjeux clés de la fin de SEED Destiny. Assez survolés à la fin de ladite série, ils sont ici remis à neuf, développés et replacés dans un contexte un poil différent, pour former une trame aux ambitions scénaristiques qui devront être résolues en deux heures environ. Il n'est pas question de faire table rase de la fin de l’œuvre précédente, sans cesse invoquée, mais d'apporter une continuité dans laquelle des questions de l'ordre de l'intrigue se posent. Dans quelle mesure se serait développé le fameux plan Destiny du président Durandal ? Qu'a-t-il laissé derrière lui avec de telles ambitions ? Le film répond à ces questions, et en fait même le cœur de son scénario. Alors, arriver en salle sans connaître Kira Yamato, son évolution, les raisons de son combat, la géopolitique de la Cosmic Era et les dilemmes moraux apportés par le refus des personnages du plan Destiny, c'est casse-gueule, et un très bon moyen pour ne comprendre qu'en grande surface ce qui se déroule sous nos yeux. Le spectacle visuel peut être totalement apprécié tout comme on peut saisir les grandes lignes de la trame, mais on y perd énormément. Et pour cause : en parallèle à ces enjeux, Gundam SEED Freedom développe ses personnages pour compléter, voir achever, tout ce qui a été mis en place dans les deux séries initiales.

L'Amour plus forte que la Guerre, ou quand la morale sentimentale devient l'enjeu de la guerre
Parler plus frontalement de Gundam SEED Freedom et de son histoire sans dévoiler d'éléments concrets de scénario est un exercice complexe. Il convient cependant d'aborder son thème central, celui qui va façonner les psychologies des protagonistes, amener diverses situations et aboutir à quelques conflits d'ordre moral : l'Amour, et avec un grand "A". Car la saga SEED de Gundam a toujours insisté sur ses idylles, ce qui a contribué à son large succès au Japon comme à l'international, et potentiellement à la construction d'un fandom très féminin. Les campagnes promotionnelles n'ont jamais hésité à jouer sur les différents couples. En tant que suite directe, SEED Destiny en avait volontiers remis une couche avec de nouveaux personnages, des liaisons qui se renforcent, et d'autres qui se défont sur le plan rationnel. Le scénario écrit par Chiaki Morosawa et achevé par Mitsuo Fukuda reprend ces éléments sentimentaux en les poussant au premier plan, brisant presque la barrière du platonique assez forte chez plusieurs protagonistes. Si les idylles étaient l'une des garnitures des séries SEED, elles sont ici la composante majeure du scénario, celle qui poussera plusieurs personnages vers des choix cruciaux, et qui apportera un soupçon de morale supplémentaire vis-à-vis du non-sens de la guerre. Elle justifiera même la bataille finale, l'Amour éclipsant même tout ce que le complot de fond peut représenter en termes de menace pour l'humanité, sans pour autant snober le discours sur le libre arbitre entamé avec l'arc du Plan Destiny. Si cela peut sembler farfelu, l'idée a du sens quand on imagine Freedom comme un cadeau pour les fans qui ont suivi et aimé les personnages de la Cosmic Era depuis plus de 20 ans. L'Amour est une composante si essentielle du film que son thème musical de fin, marquant le retour du binôme See-Saw dans la chanson, a pour intitulé Sarigiwa no Romantics.

Mais si on peut comprendre la place qu'occupe la thématique dans le métrage, son exploitation a de quoi déranger, surtout dans un contexte où les enjeux du monde sont sur le point d'évoluer. Plus que le désir de paix, certains personnages sont avant tout habités par l'envie d'être aimé par l'être cher, quitte à le combattre, le kidnapper ou le manipuler. Seul SEED pouvait proposer un tel postulat sans que ça paraisse trop casse-gueule. Savoir si le résultat est satisfaisant relèvera ensuite de l'appréciation de chacun. Peut-être faudra-t-il redevenir les adolescents d'autrefois pour apprécier la chose à son plein potentiel...

Un film qui corrige sa préquelle ?
Presque 20 ans après la fin de Gundam SEED Destiny, que raconter ? Cette question trottait dans la tête des fans, surtout après le triste décès de Chiaki Morosawa, la scénariste qui a couché sur papier la longue et belle (bien qu'inégale) histoire de la Cosmic Era. Dès les premières minutes, les fans se rassurent : Kira et les siens honorent leurs ambitions de la fin de Destiny, celles de se battre au nom de la paix du monde. En confrontant le Président Durandal, Kira et son groupe ont fait le choix de laisser le monde imparfait tel qu'il est, et d'agir eux-mêmes pour tenter de créer un monde sans conflit. Deux ans après cet événement, la faction COMPASS prend à cœur cet ouvrage, surtout Kira. Quant à la jeune nation de Fondation, celle-ci va rapidement confirmer sa connexion avec le grand dessein de feu Durandal, le fameux Plan Destiny, et créer une autre connexion avec la fin de la Cosmic Era telle que nous la connaissions jusqu'à début 2024.

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Et jouant sur ce morceau d'intrigue, Gundam SEED Freedom comble un manque de la série précédente, un arc prometteur en termes de thématiques, mais qui fut presque un pétard mouillé, et surtout un prétexte pour ériger Durandal en antagoniste final. Les thématiques liées au libre arbitre et aux excès de la génétique n'ont été malheureusement que survolées. Chose corrigée, donc, avec de nouveaux concepts qui poussent plus loin ce bout de scénario... mais aussi les concepts moraux qui leur sont liés. À quoi bon la paix si notre individualité est mise de côté ? Nos amours seront-ils aussi le fruit d'un plan minutieux, ou la concrétisation sincère de notre liberté d'aimer ? Guider l'humanité jusqu'à ses sentiments a-t-elle du sens ? Certes, l'histoire ne se prive pas de piocher dans les anciennes productions Gundam (qui a parlé de Gundam 00 ?) pour ses nouvelles trouvailles. Mais le tout fonctionne correctement sur un film de deux heures, voire se révèle extrêmement dense... peut-être même trop. Car la trame nous renvoie à certaines informations capitales de SEED, leur donne de nouvelles interprétations, et joue de révélations successives pour toujours plus nous surprendre, nous et les personnages. Nous sommes forcément pris dans ce road trip spatial, mais en gardant quelques hésitations et incompréhensions en tête tant les infos se succèdent sans que le film ait vraiment le temps de les développer, et nous de les digérer. Alors, un revisionnage s'avèrera nécessaire, à moins que Mitsuo Fukuda n'accouche prochainement d'une version longue de son œuvre, voire d'un découpage en minisérie garnie de séquences supplémentaires. Nous sommes dans Gundam, et ce type d'exercice est particulièrement courant au sein de la saga.
Ainsi, le spectateur de Destiny, frustré par tant de bonnes idées jetées aux orties, a de quoi se réconcilier un tantinet avec le calendrier de la Cosmic Era. Mais quid de ses personnages ? Dans Destiny, ceux-ci divisaient énormément, et nous rabibocher avec certains d'entre eux n'était pas chose aisée. Kira et son omniscience presque christique agaçaient ? Le voilà enfin habité de doutes légitimes et sujet à des sentiments dignes de son âge, l'Amour, en plus de redescendre de force de son piédestal. Asran frustrait à refaire les mêmes erreurs ? Le rôle équilibré qui lui est octroyé est parfait. Enfin, Shinn nous hérissait de son tempérament gueulard ? Le voici en bon camarade, sympathique à souhait, certes un peu simplet, sans que cela ne jure trop avec la série précédente ! Gundam SEED et Gundam SEED Destiny ayant rencontré des succès phénoménaux lors de leurs diffusions au Japon, difficile de savoir si Fukuda et Morosawa avaient conscience des reproches faits à leurs deux œuvres. Alors, voir tant de pistes rectifiées et explorées tend à nous réconcilier avec la série précédente, et ce malgré un scénario excessivement romantique et volontairement over-the-top. En 2006, personne n'y aurait cru !
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Le magnum opus visuel
Malgré toute sa bonne volonté, Gundam SEED Freedom fera peut-être soupirer par moments à cause de ses élans sentimentaux très présents, très mièvres aussi, malgré les bonnes idées d'une histoire pourtant faite pour les fans. Leur permettre de retrouver le casting d'antan comme d'anciens amis, de voir des relations se concrétiser et des rôles se confirmer répond à des intentions d'écriture, mais jouent aussi sur l'événement qu'est le long métrage si attendu. C'est certainement dans cette optique que les forces du studio Sunrise ont mis les petits plats dans les grands, choyé la production et permis au réalisateur Mitsuo Fukuda d'une direction aux petits oignons. Le film est beau, magnifique même, si bien que sa 3D ne fera tiquer que le temps de quelques secondes avant d'être publiée. Elle figure certainement parmi les plus belles œuvres modernes de Gundam à ce jour.

L'âme même de la saga SEED permet un tel rendu. Depuis sa première série, elle est synonyme de grand spectacle, de machines à la technologie presque irréaliste, et de pilotes aux aptitudes hors du commun. À ceci s'ajoute le gap technique du monde de l'animation, puisque certaines méthodes se sont affinées, notamment la CGI, assez brillamment utilisée. SEED Freedom se sert donc de ces outils modernes et maîtrisés, couplés à une tournure des événements sensationnelle, pour offrir un divertissement spectaculaire sur ses quelques grandes batailles. Déjà impressionnante, la scène d'ouverture (légalement disponible sur les réseaux officiels du film, avis aux amateurs) n'est qu'un avant-goût du divertissement grandiose qui gagne en qualité visuelle à chaque combat. Peut-être est-ce sur ce point précis qu'un spectateur non familier avec l'univers Gundam SEED (voir Gundam tout court) sera subjugué. Particulièrement poussif, le climax ne manque clairement pas d'allure. Chaque intervention de personnages renforce son souffle épique, il offre un moment fort dans l'entièreté de la saga, et justifie à lui seul un visionnage en salles. Là est d'ailleurs le piège : face à un final si généreux et qui sonne comme l'ultime cadeau aux fans qui ont connu l'univers SEED à sa diffusion d'époque, difficile de trouver à redire. On serait même tentés de privilégier la forme sur le fond, le spectacle sur un scénario qu'il n'est pas toujours aisé de suivre. Ainsi, Gundam SEED Freedom gagnera indéniablement en qualité en fil des visionnages, une fois les subtilités de l'intrigue assimilées, de manière à ce que le spectacle nous prenne aux tripes sans que les éléments narratifs viennent le corrompre. Et pour rendre à César ce qui appartient à César, il convient de saluer la bande originale de Toshihiko Sahashi, le compositeur initial des deux séries SEED, qui amène quelques thèmes nouveaux et les intègre dans une réorchestration totale des musiques phares de la Cosmic Era, de manière à donner un medley savoureux qui accentue le grandiloquent des batailles, et fait office de magnum opus musical de la saga SEED.

Freedom : Gundam SEED libéré et magnifié
Après environ 18 ans d'attente et un film qui sonne comme un cadeau définitif aux fans d'époque, il est difficile de coucher un avis fixe sur ce long métrage très particulier qu'est Gundam SEED Freedom. Doté d'un scénario aux leitmotivs particuliers, où l'Amour prend le pas sur la gravité des événements à l'échelle mondiale, peaufinant de nombreux éléments de la Cosmic Era et nous emportant par sa frénésie épique, le dernier ouvrage en date de Mitsuo Fukuda est ce qu'il devait être : une récompense. Son récit s'ancre totalement dans le style développé par les deux séries de ce micro-univers, incluant des qualités comme des défauts, et cherche surtout à nous ravir par ses élans de fan-services, ses quelques aboutissements d'arc de personnages et sa surenchère conférant aux batailles leur grandiose. On ne jugera certainement pas le film comme on jugerait un nouvel opus de l'Universal Century, c'est indéniable. Pris comme une proposition de communion entre fans dans les salles obscures, SEED Freedom nous emporte et nous régale. Alors, autant faire fi de quelques faiblesses narratives et scénaristiques, car le métrage assume ce qu'il est. On retombe en adolescence au visionnage, et on serait tentés d'en demander plus. Étant donné l'incroyable succès aux box-offices nippons, difficile de croire que le studio Sunrise (et plus globalement le groupe Bandai) renoncera au plus populaire des univers alternatifs de Gundam. Entre temps, nos attentes seront certainement tournées vers le deuxième opus de la trilogie Gundam Hathaway, d'un tout autre registre et aux ambitions totalement différentes, mais dont le premier film a su nous régaler à sa manière. Là est la force de Gundam : embrasser des styles divers pour contenter chacune de nos facettes et un public aux éléments aussi nombreux que variés.

