Digimon Adventure - Actualité anime

Critique de l'anime : Digimon Adventure

Publiée le Vendredi, 12 Février 2021

Il est rare, pour ne pas dire que cette review est une première, que nous nous penchions de nouveau sur une œuvre en version originale sous-titrée, après l'avoir traitée dans sa version française au préalable. Et pourtant, Digimon Adventure le mérite puisqu'il s'agit d'un cas d'école. Dans cette critique, nous ne parlerons donc pas de la série animée telle que nous l'avons connue sur Fox Kids et/ou TF1 avant d'être éditée en DVD et rendue accessible sur ADN, mais de celle mise en ligne sur Crunchyroll en janvier 2021. Ou plus précisément, les deux versions seront bien traitées mais comparer, afin de valoriser l'expérience nouvelle de la mouture d'origine.

Avant toute chose, un peu de contexte. Lancée le 7 mars 1999 (le lendemain de la sortie du moyen-métrage qui fait office de préquel à la série et qui est aujourd'hui considéré comme le premier film de la licence), Digimon Adventure puise son inspiration dans des virtual pets, autrement dit des jouets électroniques. Son arrivée suit celle de la série d'animation Pokémon qui devient un phénomène mondial. Un homme vient alors poser ses gros sabots sur la série, et ensuite sur les premières saisons de la saga : Haïm Saban. Lancé en tant que producteur musical, qui a fait son premier carton avec le générique de Goldorak par Noam avant d'enchainer d'autres succès, il se reconvertira ensuite (entre autre) en acheteur de licences audiovisuelles de divertissement pour sa société Saban Entertainment, afin les revendre aux pays et aux chaines télévisées. Entre ces deux étapes figure un exercice de retouche important : La bande-son est changée pour correspondre à un public américain, les séquences jugées violentes passent à la trappe, et le script est totalement revu afin d'édulcorer encore un peu l'ensemble et mettre l'humour au premier plan. Après avoir vu passer Pokémon lui passer entre les mains (ce qui vaudra le licenciement d'une collaboratrice jugée responsable de cet échec qui a empêché le gain de quelques millions de dollars), il ne semblait pas questionner de louper le coche Digimon. Voilà le processus qui a amené la série que nous avons connu jusqu'à aujourd'hui : Une œuvre déjà dense dans ses thématiques humaines, parfois sensible et tragique, mais dont le surplus de gags et répliques humoristiques faisaient tâche, tout comme une bande-originale suintant la composition américaine vient remplacer l'orchestration d'origine. Aujourd'hui, Crunchyroll nous permet de découvrir le véritable Digimon Adventure, et force est de constater que son visionnage en vost apporte une expérience neuve et différente sur de nombreux points.


Digimon Adventure : Un staff qui a fait ses preuves

La série animée initiale est l’œuvre de Hiroyuki Kakudô, un réalisateur et storyboarder au CV des plus denses et qui, juste avant Digimon, a travaillé sur une série pourtant boudée d'une grosse licence qui continue de perdurer : Yu-Gi-Oh ! (la fameuse "saison 0"). Un artiste qui dirigera la séquelle directe de la série, Digimon Adventure 02 ainsi que le film X-Evolution, et qui chapeautera des épisodes des séries Digimon Tamers (saison 3), Digimon Frontier (saison 4) et Digimon Fusion (saison 6). Hiroyuki Kakudô a donc une vision de la saga, mais il convient de noter qu'il ne participera pas au film Digimon Adventure : Last Evolution Kizuna, climax de l'aventure lancée par la première série, à cause de divergences de visions de thèmes et d'intrigue.

Le directeur de série est épaulé par Satoru Noshizono à l'écriture du scénario. Un auteur très enclin à scénariser des œuvres jeunesse puisqu'il a beaucoup travaillé sur Duel Masters et Cardfight !! Vanguard, ce qui ne l'a pas empêché d’œuvrer sur des anime de registres variés tels que Naruto, Shaman King, GTO et... Yamada : Ma première fois.

Le character-design, lui, est assuré par le légendaire Katsuyoshi Nakatsuru, qu'on ne présente plus. En plus d'être l'un des concepteurs phares des personnages de la licence Digimon, il fut le character-designer de Dragon Ball Z Durant l'ère post 1993, à partir l'arc Majin Boo donc, puis Dragon Ball GT, en plus d'avoir été animateur sur la licence depuis ses premiers opus. Et puisque nous évoquions les changements musicaux entre les versions originale et occidentale de la série, soulignons que la B.O initiale est le fruit du travail de Takanori Arisawa, compositeur attitré des quatre premières séries Digimon, et dont l'autre licence forte n'est ni plus ni moins qu'une certaine Sailor Moon...

Cette grande introduction étant faite, abordons la série, davantage son fond plus que sa forme. Car ce qui distingue la version originale de celle sabotée par Saban vient surtout de ses scripts, de ses coupures, et de sa partition musicales.


Un scénario inchangé ?


Digimon Adventure, c'est l'histoire de sept enfants, réunis en camp de vacances, téléportés dans un autre monde né des données numériques : le Monde Digital. Dans ces lieux vivent les digimon, abréviations de "digital monster", des êtres parfois doux comme des agneaux, et d'autres fois plus virulents, voire maléfiques. Chacun de ses enfants sympathise avec un digimon qui semble lui être prédestiné. Une surprenante rencontre qui va virer à l'aventure puisque cette grande troupe va apprendre à connaître le Monde Digital, éventuellement trouver une issue, mais surtout combattre les entités maléfiques qui scindent l'équilibre entre les deux univers.

Le plot de Digimon reste basique, mais représente un appel à l'aventure qui forme au final un véritable voyage initiatique pour chacun des enfants de l'histoire. Car au delà de la simple série de combats de monstres faite pour générer du marchandising, il a eu chez Hiroyuki Kakudô et Satoru Nishizono une véritable ambition de raconter une histoire et d'explorer un univers. Soit un moyen de faire différemment de l'anime Pokémon, point que nous ne développerons pas afin de ne pas ouvrir des portes ouvertes.


Si le scénario proposé est une réussite, ce n'est pas tant pour les péripéties proposées, mais par la dimension humaine générée. Dans Digimon Adventure, ce sont avant tout des protagonistes enfants que nous découvrons, chacun ayant son caractère et son lot de troubles. Dilemmes familiaux, difficulté à trouver sa voie, rapport complexe à une figure fraternelle... Tout au long des épisodes, ce sont ces enjeux qui se voient traités et résolus. L'approche est audacieuse car pour le cœur de cible d'époque, le discours était parlant et universel.
Mais la version d'origine est-elle si différente, par rapport à ce qu'on a connu dans la version made in Saban ? En vérité, pas tant que ça. Le scénario reste intact, et les développements présents en VF le sont aussi en VO. Le plus grand changement vient de la manière d'inclure cette écriture, la démarche de la version occidentale étant une catastrophe à ce niveau. Comment prendre réellement au sérieux de telles intrigues, si deux moments touchants ou dramatiques sont cassés par une blague digne d'une célèbre marque de bonbon ? En version originale, bien que de petites tranches de légèreté soient ponctuellement présentes, le récit assume entièrement sa direction. Si un développement est fort, le spectateur doit s'en imprégner jusqu'au bout. L'histoire reste donc la même, certes, mais la structure scénaristique et les scripts cristallisent l'expérience forte, plutôt que de nous jeter à la figure quelques moments sérieux entre deux blagues douteuses. Rien que pour ça, la version originale est une redécouverte, puisqu'on observe les véritables intentions d'ambiance du réalisateur.

Et par résonance, les rapports entre les héros et leurs compagnons digimon se voient concernés. Dans Adventure, l'idée est de proposer à chaque enfant un compagnon complémentaire, une créature qui s'apparente à un ami plus qu'à un animal de compagnie, et dont le tempérament s'associe avec le concerné sans être calqué. Piyomon est une boule d'amour pour une Sora apprenant à gérer son comportement affectif, Tentomon est fasciné par un Kôshirô toujours plus curieux, Gabumon est parfaitement candide pour un Yamato parfois solitaire... Chaque binôme a été murement réfléchi, et est sujet à ses propres évolutions. Alors, de la même manière que notre immersion dans le scénario change quand on n'est pas pris pour un idiot caressé par des gags débiles, on apprécie amplement plus ces relations quand celles-ci sont traitées avec l'émotion nécessaire.

Évoquons aussi, brièvement, les scènes censurées par Saban qui, si elles ne changent pas le fond de l'histoire, contribuent à l'impact de certaines scènes. Le plus célèbre exemple est celui ce Pinocchimon (ou Puppetmon), traquant Takeru avec une arme à feu de type magnum. Inconcevable sur une chaîne comme TF1, mais une scène qui joue sur le malsain de l'antagoniste, entre enfant toujours enclin à jouer et psychopathe sanguinaire.


La composition musical, pour un rendu sincère


Nous évoquions précédemment les différences dans la composition musicale, un point qu'il convient d'aborder plus en détail. Takanori Arisawa est le compositeur des pistes de Digimon Adventure, un travail marqué par de multiples influences. Car l'une des forces de cette bande originale est de ne jamais rester sur une même tonalité, ni même sur une même gamme d'effet sonores ou d'instruments. Les morceaux rocks des batailles flirtent alors avec les musiques aux ambiances western, quant les pure morceaux d'harmonica apportent des touches de tristesse et de solennité pertinente. Puis, un morceau tout particulier vient ponctuer quelques instants dans le véritable monde : Le Boléro de Ravel. Pour quiconque est passé par le film prologue au préalable, il s'agit d'un véritable hymne faisant écho à la naissance des enfants élus, un morceau sans doute présent grâce à Mamoru Hosoda (qui réalise aussi l'excellent et envoutant épisode 21 de la série), et qu'on retrouvera donc lors de ces moments charnières pour des scènes de grande élégance, et d'intensité narrative.

Non, la version originale ne se contente pas de multiples pistes pops, souvent reprises du générique américain. Le travail d'ambiance sonore se veut plus subtil afin de créer différents styles. Les batailles peuvent donc se montrer intense, les instants de calme plus enjoués par des côtés pop de la bande originale, tandis que les moments de tristesse resplendissent par les morceaux d'harmonica déjà évoqués. Parlons-en alors, de ces instants : Dans cette version originale, difficile parfois de ne pas avoir le cœur serré, tant le travail de composition de Takanori Arisawa sert son récit. L'artiste a parfaitement saisi les intentions de l’œuvre et la portée des différentes histoires racontées, c'est un fait. Alors, maintenant que les deux versions sont légalement disponibles, n'hésitez pas à faire vous-même le test : Regardez un moment poignant en version originale sur Crunchyroll, puis son équivalent VF sur ADN. Effet garanti, tant le contraste est assuré.


Des couacs de traduction ?

Pour Crunchyroll, il demeurait un certain challenge à honorer. Puisque la version occidentale modifiait pas mal de termes et de noms de digimon, afin d'infantiliser le tout et de rendre plus crétin quelques éléments forts de la série, on pouvait se demander si le risque d'une traduction totale serait pris. Il faut dire que le film Last Evolution Kizuna n'honorait pas ce contrat, afin de parler à tous les enfants d'autrefois, et pas seulement à celles et ceux qui ont appris les terminologies véritables de la VO.

Le constat est alors en demi-teinte. D'un côté, on sent la volonté de coller fidèlement à l'univers, aussi les "digisauveurs" deviennent les « enfants élus », le "digimonde" le "monde digital", la "digivolution" l' "évolution").... Et même plusieurs créatures importantes retrouvent leurs identités d'origine, tel que Myotismon qui devient enfin l'effrayant Vamdemon (le personnage valant l'écoute en version originale grâce à la prestation glaçante de Ryûzaburô Ôtomo, plus percutante que celle affreusement clichée de Michel Prud'homme).
Pourtant, à côté de ces honneurs, certains ont été mis de côté. Aussi Tailmon reste Gatomon dans les sous-titres, tandis que Gennai est porté en "Jennai". Aussi, les titres d'épisodes d'antan ont été repris, ce qui fait sérieusement tâche puisqu'on comprend aisément le décalage entre l'intitulé japonais oralement annoncé, et le sous-titre proposé. Reste que ces lacunes sont en quantités réduite, et finalement mineurs par rapport aux améliorations de terminologie. Tout n'est pas parfait donc, mais c'est un bond de géant en avant fait par rapport à la mouture que nous avons toujours connue.


Du retour à l'enfance à la fable initiatique

Digimon est une série pour enfant dont le mérite est de ne jamais prendre son spectateur pour un débile, une simple cible marketing vouée à générée de l'argent, comme aimait bien le clamer Haïm Saban. Si l’œuvre montre des lacunes techniques par les nombreuses réutilisations de plan ou les efforts d'animation limités, le fond est une petite merveille dans son genre. D'abord une simple série de combat de monstres, l’œuvre devient un voyage dépaysant et, surtout, initiatique, où sont brassées des thématiques fortes sur une réalisation subtile, tantis que les multiples ambiances se côtoient à merveille. De la série bon-enfant, parfois même feel-good, on passe ponctuellement à une œuvre sérieuse traitant de l'adoption, du deuil, du chagrin, ou de la quête du vrai soi.

Si la version Saban effleurait ce qu'est l’œuvre véritable en lui faisant de grotesques béquilles, la version originale sous-titre redore le blason de cette œuvre beaucoup boudée, et parfois débilement comparée à Pokémon. Tentez le voyage, ne serait-ce pour observer les différentes entre les deux versions, mais aussi parce que c'est la haute-définition qui nous est proposée.

On espère alors que Crunchyroll ne s'arrêtera pas en si bon chemin : Les deux saisons suivantes mériteraient à être redécouvertes sous cet angle, et encore plus les trois premiers films qui ont constitué le plus grand massacre de la licence, en occident. A ceci s'ajoutent d'autres séries et métrages que le public français attend depuis bien longtemps déjà. Tout un programme hypothétique, qu'on espère voir se concrétiser.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato

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