SOGABE Shûji - Actualité manga

SOGABE Shûji 曽我部修司

Interview de l'auteur

Publiée le Jeudi, 05 Septembre 2019

Persona est sans doute la licence phare des éditions Mana Books pour l'année 2019. En parallèle à la sortie de l'artbook de Persona5 au printemps dernier, l'éditeur a entamé la parution du manga Persona3 par Shûji Sogabe.


Japan Expo 2019 fut l'occasion pour Mana Books de publier le quatrième tome... mais aussi de faire venir son auteur, Shûji Sogabe, qui a aussi signé l'adaptation manga de Persona4, encore inédite chez nous. Persona étant une licence qui nous tient à cœur, une rencontre avec l'artiste était inévitable.




Avant d'être mangaka, vous étiez illustrateur. Comment vous est venu le goût du dessin ? Avez-vous suivi une formation graphique particulière via des études ?


Shûji Sogabe : Après le lycée, j'ai étudié durant un an dans une école d'animation. Entre temps, je me suis beaucoup intéressé aux fanzines et aux dôjinshis via des événements comme le Comicket. J'ai alors arrêté mes études et me suis lancé là-dedans, tout en étudiant par moi-même le travail graphique sur ordinateur et l'exploitation par Photoshop.


A travers mon investissement dans le fanzinat, j'ai rencontré CHOCO, illustrateur pour la série Xenosaga, qui est devenu mon maître en la matière et m'a appris beaucoup de choses. J'utilisais beaucoup Photoshop, et il m'a enseigné Illustrator ainsi que la manière de travailler la fabrication de livres, ce qui m'a beaucoup intéressé. Cette personne m'a appris beaucoup de choses qui continuent de m'être utiles aujourd'hui.



Nous avons récemment eu le plaisir de découvrir votre travail avec le manga Persona3. Comment êtes-vous arrivé sur le projet ? Et comment est née l'adaptation manga du jeu Persona3 ?



Shûji Sogabe : A l'époque, je vendais un fanzine avec des illustrations de Persona3 au Comicket. C'est un éditeur du magazine Dengeki Maoh de l'éditeur Mediaworks, aujourd'hui Kadokawa, qui a remarqué mon travail. Il m'a demandé de manière directe si je voulais dessiner l'adaptation manga de P3 dans le magazine.


A ce moment, mon réflexe fut de crier « Vous êtes sérieux ?! ». (rires)


Cette histoire est arrivée très peu de temps après la sortie du jeu-vidéo. Je ne me souviens plus la période exacte, mais c'était le Comicket qui a suivi la sortie du jeu.


PERSONA3 vol. 5 ©ATLUS ©SEGA All rights reserved. ©Shuji SOGABE 2009 First published in Japan in 2009 by KADOKAWA CORPORATION, Tokyo. French translation rights arranged with KADOKAWA CORPORATION, Tokyo. and AC Media through Tuttle-Mori Agency, inc.


A ce moment là, vous avez enchainé de nombreux projets. Il y a eu notamment le manga Persona4 et bien d'autres titres... Ça a dû être une période de travail très intense. Comment avez-vous réussi à jongler entre tous ces projets ?


Shûji Sogabe : Grâce à mes études et mon intérêt pour l'animation, j'ai toujours été très doué pour travailler en équipe, et être dans plusieurs teams sur des projets différents. Dans mon studio, d'autres personnes sont aussi capables d'illustrer les personnages que je dessine. Du coup, on arrive à être plus productifs et à travailler rapidement.


Je suis quelqu'un qui a du mal à refuser les projets qu'on me propose. J'ai tendance à accepter beaucoup trop de choses, ce qui ralentit le travail des équipes en général... C'était déjà vrai à l'époque, et c'est toujours le cas aujourd'hui. (rires)


D'ailleurs, que les français n'hésitent pas à me proposer du travail, je suis prêt à accepter ! (rires)

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Parlons maintenant de Persona3. La particularité de cette adaptation manga est de retranscrire les événements du jeu comme un puzzle, en jonglant entre les époques. Comment vous est venu ce choix ? Peut-on y voir une certaine symbolique ?



Shûji Sogabe : J'ai commencé à travailler sur le manga Persona3 l'année suivant la sortie du jeu-vidéo. Quand on a lancé l'adaptation, on voulait d'abord faire plaisir aux fans du jeu. Les personnages sont très populaires, en particulier auprès des fans féminines, et l'un d'entre eux arrive plutôt à la fin du jeu : Ryoji. Si on avait respecté le déroulement chronologique, il ne serait apparu qu'au bout de plusieurs années, et ça nous gênait dans cette optique de récompenser les fans. On a ainsi réfléchi à un moyen de le faire apparaître plus tôt dans l'histoire, ce qui fut pour nous l'occasion de reconstruire la temporalité de l'intrigue.


On a repris le scénario en inscrivant les événements majeurs du jeu sur de petites fiches qu'on a mélangées pour reformer un ordre, en apportant bien-sûr une continuité et une forme à ce nouvel assemblage. Dans l'histoire de P3, chaque personnage a droit à sa propre évolution. On a reconstruit ça avec Yukari, Minato et les autres, pour donner un ordre d'événement proche des trames de Persona4 et Persona5, qui sont pourtant sortis bien plus tard. C'était étonnant mais aussi très intéressant. Évidemment, la construction du manga Persona3 n'a pas eu d'influence sur les épisodes vidéoludiques suivants.

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Dans le quatrième tome, vous dîtes avoir atteint la moitié de l'histoire, ce qui n'est pas vraiment le cas puisque la série totalise onze volumes. Qu'est-ce qui a amené une prolongation du manga ?



Shûji Sogabe : Oh, c'est juste que je ne savais pas quand le manga allait se terminer. (rires)


Quand j'étais enfant, à chaque fois que j'avais des devoirs, je n'arrivais jamais à calculer le temps que ça me prendrait. Je pensais sincèrement en être à la moitié, mais ce n'était pas le cas. Je suis quand même minutieux dans ce que je fais, et j'aime que mon travail soit bien fait. Vers la fin, je me suis rendu compte qu'il y avait encore des choses à adapter et des dialogues à intégrer. Aussi, je ne voulais pas que les fans qui suivent le manga soient déçus par certains manques.


Votre éditeur ne s'est jamais opposé au fait de rallonger la durée du manga ?



Shûji Sogabe : Non, il n'a jamais rien dit à ce niveau là. Persona est une série tout le temps en mouvement, qui se poursuit à travers divers projets. Parce que le manga a continué plus longtemps que prévu, des personnes d'Atlus travaillant sur le jeu-vidéo sont venues me remercier en personne. Ca a permis de conserver une actualité autour de Persona même après la sortie des épisodes 4 et 5.

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Les entités de la saga sont des designs atypiques de manière générale. Avez-vous eu des difficultés à dessiner les Personae et les Shadows ?


Shûji Sogabe : Ces entités existaient déjà dans le jeu-vidéo, je ne suis donc pas parti de zéro. J'ai reçu beaucoup d'esquisses du jeu pour m'aider. Afin de développer mon interprétation pour les représenter dans le manga, j'ai beaucoup discuté avec M. Shigenori Soejima, le character-designer du jeu.


Lors de mes discussions avec M. Soejima, j'ai appris à comprendre quel type de personne il était, s'il aimait plutôt les éléments mécaniques par exemple. Ça m'a permis d'appuyer mon dessin sur certaines facettes des Shadows et des Personae. Aussi, de façon à créer un lien dans l'histoire, nous avons beaucoup parlé du scénario.


Dans vos scènes d'action, vous apportez une sortre de filtre flou qui leur donne beaucoup de relief. Quelles sont vos méthodes de travail ?



Shûji Sogabe : Quand j'ai commencé à dessiner des mangas, il y a plus de dix ans, on était en plein dans la période de transition entre le dessin manuel et le dessin assisté par ordinateur. A ce moment, je me suis investit à fond dans le dessin par ordinateur, car je pensais que c'était l'avenir du manga. Mais plus le temps passait, et plus je me demandais si ça avait un sens de tout réaliser en numérique, donc je suis repassé partiellement au dessin manuel. C'est ce qu'on peut ressentir vers le milieu de la progression de Persona3, je pense.

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Vous avez une relation appuyée avec le jeu-vidéo puisque vous étiez illustrateur vidéoludique, puis avez adapté Persona en manga. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport au jeu-vidéo ?



Shûji Sogabe : Je suis un grand fan de jeux-vidéo, que ce soit le rétro ou les dernières nouveautés.


Quand j'étais en fin de maternelle, ce qui correspondait à la sortie de la Famicom au Japon, j'ai eu le choix entre acheter Mario et un jeu Transformers. J'ai choisi Transformers, et je pense avoir fait le bon choix puisque ça a dû avoir un impact sur ma carrière.


J'étais un enfant qui jouait beaucoup aux jeux-vidéo, même lors des rassemblements entre amis. Dehors, j'avais toujours ma Game Boy avec moi. Suivre les sorties de consoles était quelque chose de très important dans ma vie. L'évolution historique du médium m'intéressait. A mes yeux, chaque époque a une identité distincte. J'ai l'impression d'avoir assisté à la progression de l'histoire des jeux artistiquement parlant, et c'est quelque chose qui me parle encore énormément aujourd'hui.


Actuellement, un assiste à une nouvelle évolution. Jusqu'à présent, tout se passait exclusivement à travers l'écran. Avec la réalité virtuelle, les choses évoluent, et je suis impatient de voir les nouveautés qui seront proposées dans le futur.



Interview réalisée par Takato. Remerciements à Shûji Sogabe et à son interprète, Djamel Rabahi. Merci à Marine Volny des éditions Mana Books et à Charlotte Demougin de Games of Com pour l'organisation de la rencontre.