Kentarô SATÔ - Actualité manga

Kentarô SATÔ 佐藤健太郎

Interview de l'auteur

Publiée le Dimanche, 31 Mars 2019

Avec Magical Girl of the End qui fut le premier best seller des éditions Akata et qui a lancé avec succès l’incontournable collection WTF?!, puis Magical Girl Site qui ne cesse de gagner en puissance, Kentarô Satô s’est imposé comme un joli nom du catalogue de l’éditeur, si bien que ce dernier a décidé de l’inviter à l’occasion du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Entre ses séances de dédicaces où il s’appliquait à faire des dessins pour tout le monde, et une intéressante conférence publique, Manga-news a pu aller à la rencontre de l’artiste pour une interview dont voici le compte-rendu. Sympathique et bavard, le mangaka a pu nous en révéler un peu plus sur ses deux oeuvres-phares !


Kentarô Satô, merci d’avoir accepté cette interview ! Pour commencer, qu’est-ce qui a forgé en vous le désir de devenir mangaka ? Des œuvres ou auteurs en particulier ? Avez-vous suivi une formation particulière pour ça ?

Kentarô Satô : C’est moi qui vous remercie ! A l’époque où j’étais étudiant, j’étais dans une fac générale, mais dans la section artistique. Avec mes camarades je parlais souvent de mon idée de devenir mangaka, mais sans être sûr à 100 %. Mais quand on est étudiant au Japon, il faut commencer à faire les recherches d’emploi avant la fin des études, et à ce moment-là j’ai très vite compris que je n’étais pas fait pour être salarié dans une entreprise. J’ai donc définitivement décidé de devenir mangaka, et j’ai commencé par être assistant pendant à peu près deux ans. Ensuite, j’ai envoyé mes propres planches et suis devenu pro.

Concernant les œuvres dont j’étais fan quand j’étais jeune, il s’agit plutôt de séries comme Dragon Ball ou Jojo’s Bizarre Adventure. Je ne sais pas si, d’un point de vue graphique, je peux dire que j’ai reçu ces influences-là, car c’est toujours difficile de parler de soi à ce niveau-là et qu’en terme de contenu ce n’est pas forcément pareil. Mais en tout cas, ce sont clairement des œuvres qui sont restées en moi en tant que lecteur.

  
  

Du coup, pour qui étiez-vous assistant, et qu’est-ce que ça vous a appris ?

Déjà, je pense que si je n’avais pas fait cette étape d’assistant, je n’aurais jamais pu devenir mangaka, parce que j’ai vraiment beaucoup appris pendant cette période. Comme je devais dessiner beaucoup de décors, j’ai acquis de l’expérience sur ce point. J’ai également pu observer, voir en quoi consistait exactement le métier, ce qu’il fallait faire, quelles étaient les contraintes et les méthodes. J’ai pu comprendre ce que ça impliquait de devenir professionnel.

Et j’ai été assistant auprès de Naoshi Komi, à l’époque où il concevait Nisekoi pour le Shônen Jump.


Après des histoires courtes vous lancez en 2012 votre 1e série longue : Magical Girl of the End, qui tord le cou au concept de magical girl. Comment avez-vous imaginé ce concept complètement fou ?

A l’origine, le concept de l’histoire n’était pas du tout comme ça. Au départ il s’agissait plutôt de jiangshi (des zombies chinois, ndlr) qui arrivaient au Japon en traversant la mer à la nage, et qui allaient détruire l’humanité. Mon éditeur a dit que ce n’était pas possible, et du coup j’ai à nouveau réfléchi au concept. Je me suis alors dit que ce qui serait original, ce serait de mettre des magical girls en ennemies, et d’en faire des zombies. Je crois que ça n’avait jamais été fait avant comme mélange, en plus les magical girls sont plutôt à la mode, et c’est ce qui m’a motivé. Je me suis dit que ça pourrait être quelque chose qui marcherait, j’ai proposé l’idée à mon éditeur, et ça a été accepté.
  
  

La série impressionne pour sa capacité à aller toujours plus loin au fil de ses 3 grandes parties. Aviez-vous prévu dès le départ d’aller aussi loin dans le scénario et ses surenchères ? Aviez-vous tous ces développements en tête dès le début ?

Je n’avais pas tout prévu dès le début. Ce que je savais de manière assez précise, on va dire que c’était environ 30 % de l’histoire. J’avais en tête le début et la fin, mais tout ce qui s’est passé au milieu n’était pas décidé de manière ferme et précise. Du coup, il y a tout le chemin qui s’est fait au fur et à mesure, et quand j’avais besoin de relier les éléments entre eux. C’est aussi comme ça que l’histoire a pris complètement forme.


Vu comment les choses se relancent sans cesse dans la série, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour conserver la cohérence globale ? Notamment à partir du moment où les voyages dans le temps arrivent ?

Le côté voyages temporels était décidé dès le départ et était assez clair, j’avais déjà ça dans ma tête au début de l’histoire, donc ce n’était pas un problème. Ce qui a été dur, c’est de réussir à connecter ça avec le reste au fur et à mesure.
  
  

Le concept des univers parallèles était-il, lui aussi, déjà prévu dès le départ ?

Non, cet aspect-là n’était pas prévu.


Du coup, quelle furent les difficultés pour bien connecter cette idée-là au reste ?

Je ne sais pas exactement, mais c’était vraiment très difficile ! J’ai dû faire beaucoup d’efforts, mais je ne veux plus jamais me lancer dans des trucs comme ça, c’est trop galère ! (rires)
  
  

Du coup, y a-t-il des moments où vous vous êtes dit « dans quoi est-ce que je me suis embarqué », où vous avez plus galéré ?

C’était le cas à chaque chapitre ! (rires)

J’ai commencé à vraiment me poser des questions à partir du tome 11, avec les voyages temporels et la nécessité de tout bien connecter.


Les magical girls ont des designs bien recherchés, comment avez-vous imaginé ces designs ?

De base, le concept de magical girls zombies était quelque chose de pas vu, donc je voulais faire en sorte que même dans le design ce soit original, jamais vu. Mais il fallait veiller à quand même conserver une cohérence avec le concept-même de magical girl.

C’est pour ça que pour la toute première ennemie qui apparaît dans la série, j’ai voulu qu’elle ressemble vraiment à une magical girl, mais avec un aspect qui de mon point de vue semblait original, c’est-à-dire avec un look de gothic lolita zombie. Ce point de départ permettait de bien identifier le fait que les ennemies soient des magical girls, puis par la suite ça m’a permis d’ajouter dans le design des suivantes plein de choses qui me paraissaient surprenantes.

En tout cas, l’idée était vraiment de surprendre les lecteurs, avec une vision inédite des magical girls. J’ai toujours essayé de surprendre sur ce point, tout au long de la série.
  
  

En 2013 vous avez lancé une autre série tordant le cou au concept de magical girl : Magical Girl Site. Pourquoi avoir choisi de rester dans cette veine magical girl ?

En créant une deuxième série de magical girls en parallèle de Magical Girl of the End, je voulais que les lecteurs se demandent si les deux univers allaient se connecter ou pas. C’était une manière de jouer un peu avec eux et leurs habitudes de lecture. Ca m’amusait qu'ils s’interrogent.


Du coup, avez-vous eu des retours de lecteurs à ce sujet ?

J’ai eu beaucoup de questions de lecteurs qui voulaient savoir si oui ou non les deux séries allaient se connecter, et je leur ai répondu que je ne pouvais pas le leur dire. Maintenant que Magical Girl of the End est fini, la seule méthode pour connaître la réponse, c’est de lire Magical Girl Site.
  
  

Moi-même je me suis posé la question (rires). Comment est née l’idée de Magical Girl Site ?

Magical Girl of the End était une histoire de panique et d’horreur qui ne s’inscrivait pas dans un monde réaliste. Avec Magical Girl Site, je voulais faire quelque chose de différent, et qui pourrait être crédible dans une certaine réalité. C’est comme ça que j’ai créé le sujet, avec une idée de suspense. Après, j’ai bien conscience que mes deux séries sont sombres, car je ne pense pas être capable d’écrire des histoires fraîches et lumineuses. Et je suppose que les lecteurs préfèrent retrouver des choses sombres dans mes œuvres.


C’était déjà un peu le cas dans Magical Girl of the End, ça l’est encore plus dans Magical Girl Site : la série a un ton plus sérieux et ancré dans la société, avec notamment, en toile de fond, l’exploitation de nombreux problèmes et vices humains et sociaux : brimades, pressions familiales, suicide… En quoi évoquer tout ceci était important pour vous ?

Comme déjà dit, ça m’amuse de créer des choses qui n’ont pas été faites, et je pense qu’auparavant il n’y a pas ou alors il y a peu d’oeuvre de magical girls abordant un aspect sociétal. Et vu qu’en plus je voulais écrire quelque chose de plus ancré dans une certaine réalité, et que la réalité n’est pas un monde de rêve idéal lumineux, je me devais d’inscrire Magical Girl Site dans ces aspects plus durs de la réalité.
  
  

Pour représenter cette réalité, sur quoi vous êtes-vous basé ? Sur des choses que vous avez pu voir ? Sur de la documentation ?

Pour parler de plus problèmes évoqués dans la série, comme le harcèlement, je pense que selon les époques cela prend des formes différentes, donc je me suis renseigné, j’ai cherché des témoignages, j’ai parlé avec des gens… j’ai regardé tout ce qui se passe au tour de moi, dans les médias, sur internet, dans mon entourage… A force d’échanges et d’observations, j’ai pu créer tout ça.


Une petite question qui est peut-être un hasard : si ça ne spoile pas, pouvez-vous nous dire s’il y a une raison particulière pour que la Tempest dans Magical Girl Site soit prévue le 11 août ?

Il faudra lire la suite pour le savoir ! Je suis justement en train de dessiner tout ce qui se passe autour de ce jour-là.
  
  

Magical Girl Site a connu l’année dernière une adaptation animée. Comment ce projet est-il né ? Quel a été votre rôle dessus ?

J’ai beaucoup participé. J’étais consulté sur tout le character design, j’ai aussi suivi tout le projet scénaristique… On m’a tout montré pour que je valide. Et en plus j’ai aussi pu me faire un petit kiff en participant en tant que comédien de doublage, c’est quelque chose que j’avais envie de tenter.


Qui jouiez-vous ?

J’ai joué le personnage qui est torturé par Yatsumura (rires).
  
  
  
Dans Magical Girl of the End, les magical girls n'ont rien de mignon. Dans Magical Girl Site, les héroïnes deviennent surtout magical girls par désespoir, et leur condition face aux administratrices et hautes sphères du magical girl site est sombre. Au final, quelle est votre vision de la magical girl ?

Pour moi, la magical girl idéale, ça reste une magical girl qui protège la justice, mais c’est le genre de chose que je suis incapable de dessiner.


Du coup, dans vos œuvres, y a-t-il une magical girl qui a votre préférence ?

Je ne sais pas trop si on peut l’appeler magical girl, mais dans la mesure où à un moment il enfile la culotte magique, je préfère Kaname, le grand frère de l’héroïne ! (rires)
  
  

Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Kentarô Satô, à Bruno Pham pour la mise en place de la rencontre et pour sa qualité d’interprète, et au FIBD.