REDJET - Actualité manga

Interview de l'auteur

Publiée le Samedi, 29 Décembre 2018

Cet été, Japan Expo accueillait de nouveaux auteurs du catalogue H2T. Mangaka d'origine italienne à qui nous devons Space Duck RG, Redjet est venu rencontrer ses lecteurs français pour la première fois. Pour nous, ce fut l'occasion de nous entretenir avec l'auteur au sujet de son one-shot, narrant l'histoire d'un canard pas comme les autres... A ses côtés, Mahmoud Larguem, le directeur éditorial de H2T, nous a apporté quelques éclaircissements à propos du projet.



Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs français ? Comment en êtes-vous venu au dessin et au manga ?


Redjet : Je suis Redjet, auteur de Space Duck RG. Je me suis toujours intéressé au manga, que j'ai découvert par le biais des anime. Et c'est parce que je voulais me rapprocher des personnages que j'aimais et que je voulais dessiner que je me suis mis aux mangas. Par la suite, c'est naturellement que je me suis mis à en dessiner.


Est-ce que certains auteurs ou certains anime en particulier vous ont marqué ?


Redjet : Les shônen au sens large, comme One Piece d'Eiichirô Oda ou Naruto de Masashi Kishimoto. Certains titres de niche m'ont marqué, comme le manga Gon de Masashi Tanaka.


En France, nous vous connaissons pour Space Duck RG, aux éditions H2T. Avez-vous eu l'occasion d'être publié en Italie ou de dessiner d'autres histoires en indépendant, de votre côté ?


Redjet : Aussi étrange que cela puisse paraître, je n'ai jamais été publié en Italie. En revanche, certaines de mes histoires sont parues au Japon, grâce à des concours internationaux.


Comment a eu lieu votre rencontre avec la plateforme Weekly Comics et les éditions H2T ?


Redjet : J'ai reçu une proposition de la part de l'éditeur H2T, qui m'a de suite laissé une très bonne impression. J'ai vite vu que c'était une belle opportunité pour publier des mangas en version papier. C'est comme ça que la collaboration a débuté.


Mahmoud Larguem : Lors de la constitution du catalogue de départ des éditions H2T, je passais énormément de temps sur internet. Redjet a une très grande présence sur les réseaux sociaux et sur presque toutes les plateformes en rapport avec la bande-dessinée ou les milieu artistiques. Car en dehors de la bande-dessinée, Redjet dessine aussi beaucoup d'illustrations. Il est assez connu pour ça, et il reçoit énormément de commandes. Il a un savoir-faire de la couleur qui m'a interpellé, sans compter ses résultats dans les concours de mangas internationaux. J'étais justement séduit par ces plateformes regroupant des artistes du monde entier, voulant se confronter au marché japonais. Je me suis naturellement dit que si un auteur comme Redjet est en mesure de tenir ce pari, il devrait briller sous la bannière H2T et dans l’hexagone.




Justement Redjet, votre maîtrise de la couleur est impressionnante. Comment en êtes-vous venu à ce résultat ? Avez-vous fait des études de graphisme ou en rapport avec l'art ? Quels sont vos outils pour travailler cette couleur ?


Redjet : Pour la maîtrise de la couleur, j'ai appris en observant d'autres artistes, sur des plateformes comme Pixiv. Petite aparté pour le travail en noir et blanc : je travail à 70% en traditionnel pour le crayonné et l'encrage, puis les trames à l'informatique. Je travaille uniquement la couleur au numérique.


Space Duck RG, votre one-shot paru en France, a une grande part humoristique. Quelles sont vos influences en terme d'humour ?


Redjet : Étant un grand fan du travail de Tanaka sur le manga Gon, j'aime beaucoup me baser sur un humour construit sur des situations autour desquelles des éléments réels se produisent. Sur ces éléments se greffe un certain surréalisme, ce qui créer un décalage.




Le fait que le protagoniste de l'histoire soit un canard joue beaucoup dans l'humour. Pourquoi avoir choisi le canard comme animal plutôt qu'un autre ?


Redjet : Les canards sont naturellement très maladroits, à la différence des autres animaux. De ce fait, c'est encore plus marquant de voir qu'un canard réussisse à réaliser de grandes choses. Dans un certain sens, à un moment donné de notre vie, on devient tous des canards. (rires)


Le nom du héros est aussi marquant : Renoir Germain Paris-Saint-Germain. D'où vous est venue cette idée ? Un lien avec l'équipe de football de Paris ?


Redjet : Le choix de Germain vient d'une espèce de canard appelée colvert en France. Renoir étant un nom français qui me plait, ça a donné Renoir Germain. Paris-Saint-Germain a été rajouté pour insister sur le côté absurde du personnage.




Renoir Germain a beau être absurde, il est aussi très touchant. De ce fait, Space Duck RG ne se limite pas au registre comique. Est-ce une volonté de votre part de vouloir toucher le lecteur de différentes manières, que ce soit par l'humour et les situations touchantes ?


Redjet : Dans mon idée, un enfant verra une situation du manga et rira automatiquement. Face à cette même situation, un adulte aura une autre réflexion, il se dira "j'ai des rêves, et je veux les réaliser". Il y a tout un langage et selon l'individu, la perception est différente.


Parmi les grandes thématiques de Space Duck RG, on retrouve l'accomplissement de nos rêves, mais aussi la différence et l'intégration. Ces sujets vous intéressent-ils personnellement ?


Redjet : Le fait qu'un canard rêve d'aller dans l'espace et y parvienne a deux significations. Il y a d'abord une résonance personnelle par rapport à ma carrière d'auteur. Pour les lecteurs, je veux transmettre que n'importe qui peut réaliser ses rêves.






Il y a donc ce parallèle entre vous et Renoir Germain. Avez-vous mis d'autres éléments de vous-même dans le personnage ?


Redjet : Oui, la timidité, j'ai toujours été timide. Et comme moi, RG arrive à se perdre dans des situations simples, et a des rêves beaucoup plus grands que lui. Mais, quand il décide de faire quelque chose, il y arrive toujours. (rires)


Space Duck RG se finit de manière ouverte, si bien qu'on pourrait imaginer d'autres aventures pour le jeune canard. Cette conclusion est-elle une volonté de votre part, ou plutôt un choix éditorial ?


Redjet : La réponse à cette question sera apportée dans quatre ou cinq ans, car RG est une toute petite partie d'un ensemble beaucoup plus grand. Je peux vous dire que les aventures de RG ne sont pas terminées.




Ainsi, on peut supposer que vous avez déjà de futurs projets en tête...


Redjet : La suite sera un projet totalement différent de RG, dans lequel je pourrai m'investir et développer toutes mes capacités.


Mahmoud Larguem : Petite précision éditoriale : Space Duck RG a été réalisé à un moment où Redjet était occupé par beaucoup d'autres projets, comme des concours japonais et des commandes faites par des éditeurs japonais. Malgré ces impératifs, notre collaboration s'est très bien passée, et Redjet n'a jamais manqué à ses obligations. Mais de son point de vue, la qualité de RG n'est pas au maximum de ce qu'il peut donner sur le plan technique. Dans son prochain projet, vu que le sujet sera plus sérieux, il pourra montrer l'ensemble de ses talents. Il s'agira d'un projet à destination du marché relié, et en prépublication sur Weekly Comics en parallèle.



Interview réalisée par Takato. Remerciements à Redjet ainsi qu'à Mahmoud Larguem pour l'interprétation et ses précisions éditoriales.


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Samedi, 28 Décembre 2019

Avant 2019, nous connaissions Redjet pour son one-shot d'aventure humoristique Space Duck RG, le récit d'un canard souhaitant aller dans l'espace. Cette année, l'auteur est revenu aux éditions H2T avec une série plus ambitieuse : Innermost.


Afin de célébrer le lancement récent de ce seinen fantastique, le mangaka italien était présent à Japan Expo, pour la deuxième année consécutive. Nous avons eu l'occasion de le rencontrer de nouveau, afin de parler du projet Innermost.




Bonjour Redjet. Nous nous sommes vus l'année dernière, pour parler de Space Duck RG. A cette époque, avais-tu déjà bien entamé Innermost ?



Redjet : En effet, j'avais déjà bouclé le premier chapitre l'année dernière !


Tu es passé d'une série d'aventure humoristique à de l'action plus sérieuse. Est-ce que cette transition a été brutale pour toi ?



Redjet : En réalité, mon style de dessin et les univers que j'imaginais ont toujours été très proches d'Innermost. C'est plutôt Space Duck RG qui sortait de mon cadre habituel. Innermost n'a donc pas été un grand chamboulement pour moi.


L'année dernière, tu nous confiais que le projet RG avait été compliqué, car tu avais d'autres implications en parallèle. Tu es un peu plus libre cette année, mais tu dessines une série soutenue avec une intrigue plus ambitieuse... Par conséquent, la tâche est-elle plus simple ?


Redjet : En effet, j'ai plus de temps à consacrer à Innermost que j'en avais pour Space Duck RG. Je passe beaucoup de temps sur l'écriture de l'histoire, car je tiens à ce qu'elle se tienne et qu'elle reste cohérente. Je passe aussi plus de temps qu'avant sur le dessin des pages et sur le traitement graphique.



Justement, puisqu'on parle de l'histoire, as-tu déjà un plan scénaristique en tête ? Voire un nombre de volumes idéal ?


Redjet : Oui, je sais précisément ce que je vais développer dans le scénario. Et nous serons sur une série de six ou sept volumes.


Durant cette décennie, beaucoup de mangas ont joué sur une certaine tendance scénaristique, à savoir la lutte opposant l'humanité à des envahisseurs ou des prédateurs définis. On pense forcément à L'Attaque des Titans, aussi Terra Formars. Dans Innermost, cette tendance est symbolisée par la menace des Galags. Est-ce que ce sont des œuvres qui t'ont influencé ? Comment t'es-tu approprié cette mouvance ?


Redjet : En réalité, j'ai pensé le projet Innermost il y a plus de dix ans. Mon éditeur te confirmera avoir vu un croquis de Devil datant de mes 16 ans. (rires)


Ces thématiques, celle de l'Homme contre des aliens ou d'autres créatures, existaient finalement déjà à l'époque. J'avais déjà ces idées en tête, même si l'histoire n'était pas totalement structurée. De fait, les séries citées n'ont pas spécialement impacté Innermost.



La grosse épée de Devil renvoie à un certain Berserk. Kentarô Miura fait-il partie de tes inspirations scénaristiques ou graphiques ?



Redjet : Là aussi, la conception de l'épée de Devil date d'il y a plus de dix ans. La forme y était, le gabarit aussi, et la couleur était déjà décidée. Bien après, j'ai découvert Berserk, puis il y a en effet eu une influence de Kentarô Miura sur des personnages comme Devil.


Tu nous as dit passer beaucoup de temps sur l'écriture d'Innermost. Maintenant que tu as la structure du récit en tête, peux-tu nous dire combien de temps tu as mis pour imaginer toute l'histoire mais aussi les concepts et les personnages ?


Redjet : Si on devait compter en nombre de jours l'écriture de l'histoire totale, en cumulé, on pourrait se restreindre à quelques jours. Mais en réalité, cela a pris plusieurs années car le scénario a grandi avec moi, et je me suis nourri de l'évolution politique du monde pour agrémenter mon intrigue. Au départ, toute l'histoire d'Innermost devait se dérouler en 2020. Mais vu qu'on y est déjà, le contexte m'a paru un peu précipité.


C'est vrai que le premier tome d'Innermost présente des thématiques sociales, comme les disparités entre riches et pauvres. Ça renvoie à une réalité toujours plus actuelle. Est-ce important pour toi d'implanter ce type de discours sociaux dans tes œuvres ?



Redjet : C'est en effet important pour moi que l'histoire d'Innermost véhicule un message. Parce que ces messages renvoient à des questions très contemporaines, et ça me permet très modestement de donner des clés pour comprendre le monde qui nous entoure aujourd'hui, et pourquoi pas aider à la réflexion de la société humaine dans laquelle on vit.



Space Duck RG et Innermost étant deux œuvres totalement différentes, l'une étant un one-shot humoristique et la seconde une série d'action, est-ce que ta méthode de travail a évolué ?


Redjet : Ma façon de travailler à radicalement changé. Je me questionne en permanence sur le rendu de mes planches, par exemple sur la meilleure manière de représenter la ville, ou comment capturer des ambiances... Il y a eu une évolution dans ma méthodologie, et dans la conception de cette série.


On remarque qu'il y a toujours une place laissée à la romance dans tes mangas. Dans Innermost, elle est symbolisée par Eris et Devil. Est-ce que cette part romantique est importe pour toi ? En tant que lecteur, aimes-tu retrouver ce côté sentimental dans les œuvres que tu découvres ?


Redjet : Oui, c'est important que ce type de relation soit développé, surtout dans Innermost. En tant que lecteur, j'aime retrouver cette part romantique dans des histoires. Mais ça m’agace de souvent voir ce type de relation ne jamais déboucher sur quelque chose. J'ai donc envie de développer quelque chose de différent avec Innermost, la relation entre Eris et Devil devrait donc aboutir... (rires)



Les échanges entre personnages sont très importants dans Innermost. Comment arrives-tu à gérer la balance entre les phases d'action et celles d’interactions entre tes personnages ?


Redjet : Je vois ces phases de dialogue un peu comme un temps de repos dans une course. On court, on s'épuise, et le moment de s'arrêter est l'occasion d'échanger sur ce qui vient de se passer ou sur ce qui se produira. Ce sont des parenthèses durant lesquelles on fait le bilan, un peu comme des checkpoint entre deux phases d'action qui font avancer l'histoire.


As-tu eu l'occasion de présenter Space Duck RG et Innermost à ton lectorat italien, ne serait-ce que quelques pages ? As-tu eu des retour à ce sujet ?


Redjet : Pas en ce qui concerne Space Duck RG, car ce n'est pas un type d'histoire qui plait beaucoup en Italie. En revanche, pour Innermost, j'ai pu avoir des retours sur le côté graphique via les réseaux sociaux. J'ai eu des remarques très positives, et mes lecteurs italiens ont éprouvé un réel intérêt. Pas du côté de l'histoire, forcément, vu que les planches sont en français et que mes lecteurs ne parlent pas la langue.



C'est la deuxième fois que tu participes à Japan Expo. Comment vis-tu cette nouvelle expérience ? As-tu pu retrouver des lecteurs qui étaient déjà venus te voir l'an passé ?



Redjet : Pour ce deuxième rendez-vous, certains lecteurs sont effectivement revenus me voir, dont certains dont je me suis souvenu. Mon ressenti cette année est assez différent. L'année dernière, c'était mon premier salon manga, j'étais donc tendu. Cette fois, j'ai plus de recul, je sais que j'ai un travail à faire, et je le fais. J'ai la tête davantage sur les épaules.


Pour finir, revenons sur la battle de dessin shônen versus shôjo qui s'est déroulée deux jours avant. Tu as dessiné en duo avec Salvatore Nives, l'auteur de Flare Zero, face à une équipe féminine composée de Rossella Sergi, l'autrice de Deep Scar, et Kira Yukishiro, l'autrice de Scarlet Soul. Peux-tu revenir sur ce moment ?


Redjet : C'était assez particulier, car c'était une expérience nouvelle pour moi. L'exercice était intéressant, déjà dans le fait de devoir se mettre d'accord sur le sujet avec Salvatore. Aussi, il ne fallait pas se tromper, car une erreur pouvait nous coûter le point. Au final, je me suis beaucoup amusé, et c'est cet aspect qui a dominé ce jour-là.



Interview réalisée par Takato. Remerciements à Redjet ainsi qu'à Mahmoud Larguem et Ludivine Gouhier des éditions H2T pour la traduction et l'organisation de la rencontre.