Masahiko OKURA - Actualité manga

Masahiko OKURA 倉 雅彦

Interview de l'auteur

Publiée le Samedi, 16 Septembre 2017

Masahiko Ôkura est un animateur qui exerce ses talents depuis plus de 30 ans et qui, depuis ses débuts au studio Carpenter jusqu'à sa dernière réalisation The Silver Guardian, a connu un certain nombre de projets et de studios. A l'occasion de sa venue à Japan Expo, nous avons pu nous entretenir un peu avec lui.



Merci d'avoir accepté cette interview. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler dans l’animation ? Des œuvres et artistes en particulier ?

Masahiko Ôkura : Quand j'étais en école primaire, j'étais plutôt du genre à ne pas trop aimer les cours et à ne pas faire mes devoirs, et du coup j'aimais bien regarder de l'animation à la télévision.

L'animé qui m'a le plus impressionné à cette époque est Uchû Senkan Yamato / Space Battleship Yamato. Ca a été pour moi le déclic, et en voyant à la télé le staff présenter l'oeuvre, ça m'a donné envie de travailler dans l'animation plus tard.


Vous avez fait vos débuts en 1982 chez Studio Carpenter, un studio d’animation connu pour assister Toei Animation dans la réalisation de beaucoup de ses productions. Quel souvenir gardez-vous de cette période et des collaborations avec Toei ?

Quand on a l'habitude d'être le meilleur de la classe en dessin, et que d'un seul coup on arrive parmi tous les professionnels de Toei Animation où on t'engueule tous les jours, ça fait un choc ! (rires)

Heureusement, j'ai rapidement beaucoup appris, mais au départ ça m'a beaucoup étonné.

Finalement, je me dit qu'à cette époque, il y avait des senpai qui me faisaient vraiment peur, mais maintenant ce n'est plus trop le cas. Aujourd'hui je pense que les choses sont différentes, et avec le recul je pense que c'était une bonne expérience de formation.


Vous avez ensuite poursuivi votre carrière en freelance. Pourquoi ce choix ?

A la base, même chez Carpenter et Toei, j'étais déjà un peu freelance. Je recevais mon salaire de la part de Carpenter et non de Toei, et quand je retournais travailler chez Toei je me rendais bien compte qu'on n'était pas assez libres. Plusieurs travaux ont eu lieu, et j'ai constaté que quand on est chez Toei, il faut obligatoirement y rester et toujours bosser pour eux. C'est ce qui m'a décidé à me lancer totalement en freelance.



L'une de vos 1ères réalisations est Yukikaze sous forme d’OAV. Comment s’est passé ce passage à la réalisation ?

Avant Yukikaze j'ai pu être directeur de jeux sur Dreamcast.

La réalisation de Yukikaze a été vraiment compliquée, d'autant qu'auparavant, à l'époque de Toei, la structure de la société était vraiment rigoureuse et impeccable. Quand je suis passé chez Gonzo, c'était n'importe quoi au niveau de l'organisation, et du coup ce fut un travail très éprouvant.
  
De plus, le roman original de Yukikaze ne donnait quasiment aucune précision quant à la description de l'univers, des avions... d'où la difficulté, en tant que réalisateur, de tout imaginer et de tout créer. Les fans de la première heure du roman n'ont pas beaucoup apprécié la version anime, alors que les personnes qui ont connu le roman après l'anime ont beaucoup aimé l'adaptation animée.


En 2007 vous réalisez Blue Drop, un anime de science-fiction adapté du manga éponyme de Akihito Yoshitomi. Comment êtes-vous arrivé sur ce projet, et quels ont été les grands enjeux de cette adaptation ?

J'avais des connaissances dans le milieu qui m'ont parlé de ce projet d'adaptation.

Akihito Yoshitomi, l'auteur du manga, ne voulait pas une simple adaptation, et souhaitait que l'animé soit un projet original. Du coup on a fait une sorte de « hors-série » du manga, et ça a été un exercice assez stimulant.



Récemment on vous a retrouvé à la réalisation de The Silver Guardian, une coproduction entre la Chine et le Japon initiée par la société Haoliners Animation. Qu’est-ce qu’une coproduction de ce type change dans le travail ?

C'est complètement à part de ce que j'avais fait auparavant, tout simplement parce que la manière de faire des Chinois et des Japonais possède de nombreuses  différences. Prendre en considération ces deux façons de travailler était assez compliqué.


Pouvez-vous détailler un peu ces différences ?

Par exemple, au niveau du genga. Au Japon on en fait un et on met des points jusqu'à 4 pour montrer les postures. En Chine, ils numérotent directement en 1, 2, 3, 4, et souvent en caractères chinois. C'est un peu compliqué car il y a des traductions à faire, ainsi que des interprétations différentes, et du coup il faut parfois redemander des précisions.

(ndlr : en animation, le mot genga désigne les poses-clés que l'animateur-clé dessine, il s'agit des poses de départ et de fin d'un personnage. En se basant sur ce genga, les autres animateurs doivent ensuite dessiner les poses intermédiaires, nommées dôga.)



Vous avez travaillé à de nombreux postes : Animateur-clé, directeur de l’animation, réalisateur, chara designer, mecha designer… Quel poste vous a le plus stimulé ?

Chaque travail a été intéressant, mais je pense que mon préféré a été la réalisation de Blue Drop. Même si ça ne s'est pas vraiment vendu, pour moi c'est le projet qui me tient peut-être le plus à cœur. Grâce au désir d'Akihito Yoshitomi de faire quelque chose de différent du manga original, il y avait une certaine liberté créatrice, et d'une certaine manière c'est dans cet animé que j'ai pu mettre le plus de moi-même.


Cela fait une trentaine d’année que vous travaillez dans l’animation. Que pensez-vous de l’animation japonaise d’aujourd’hui par rapport à celle de vos débuts ?

Bien sûr, le principal changement a été le passage de l'analogue vers le digital, et avec le recul je trouve ce changement un peu dommage. Avant on ne pouvait pas vraiment corriger les dessins, alors que maintenant c'est devenu beaucoup plus facile. Il n'y a plus le stress lié à ça, et ce n'est peut-être une si bonne chose, car à force de facilité les choses on se relâche et on offre des travaux plus lisses.



Interview réalisée par Koiwai. Remerciements à Masahiko Ôkura, à son interprète, à son agent Aouchache Noureddine Widad de Haoliners Animation, et à Japan Expo.
  


Interview n°2 de l'auteur

Publiée le Samedi, 22 Février 2025

A la fin du mois de juin dernier, le salon Japan Tours Festival accueillait quelques invités animation intéressants parmi lesquels Masahiko Okura.

Animateur, character designer, mécha-designer et réalisateur, celui-ci débute sa carrière en 1982 au sein du Studio Carpenter où il est le dernier élève de Daikubara Akira (Le Serpent Blanc). Il travaille alors en tant qu'intervalliste sur Mes Tendres Années, Embrasse-moi Lucile ou encore Yamato. Le studio Studio Carpenter travaillant très souvent sur les productions du studio Toei, il travaille aussi sur Albator et sur des œuvres étrangères comme Les Tortues Ninja, Jem et les Hologrammes et  le film Transformers où il était en charge du design et de la direction de l’animation. Reconnu dans le milieu pour son talent de mecha-designer, il est en charge de celui-ci sur des productions comme Hokuto No Ken, Odin Starlight Mutiny, Condition Green et pour superviser plus tard sur Uchuu Senkan Yamato. Il en profite aussi pour se lancer sur du character design avec l'anime Talulu le Magicien, puis enchaîne sur les OAV de MAPS ou encore sur le film Coo de la mer lointaine. Il devient par la suite réalisateur sur des œuvres souvent tournées vers la SF comme Blue Drop, Yukikaze, et plus récemment l'adaptation du webtoon The Silver Guardian. Actuellement, il continue d’animer et de faire du storyboard pour différentes œuvres comme Golden Kamuy, Mobile Suit Gundam The Witch from Mercury ou encore The Weakest Tamer.

Bien que nous l’ayons déjà rencontré en 2017 pour une interview que vous pouvez toujours retrouver en suivant ce lien, c’est avec plaisir que nous sommes repartis à sa rencontre, pour une nouvelle interview que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui.


Tout au long du festival, M. Okura réalisa un grand dessin du L'Arcadia en public, pour un résultat final impressionnant.




Masahiko Okura, merci d'avoir accepté cette nouvelle interview avec nous. Dans notre interview de 2017 vous disiez qu'à vos débuts au Studio Carpenter, un studio d’animation connu pour assister Toei Animation, vous vous faisiez souvent gronder et reprendre sur certaines choses. Aujourd'hui vous êtes un vétéran, alors trouvez vous que les méthodes sont toujours les mêmes pour former les nouveaux ? Et vous-mêmes, comment vous y prenez-vous pour former des petits jeunes quand vous en avez dans votre équipe ?


Masahiko Okura : A l'époque, l'animation japonaise était quelque chose d'encore assez jeune, si bien que mes supérieurs n'étaient pas beaucoup plus âgés que moi. Par exemple, je me souviens que certains d'entre eux avaient peut-être entre 20 et 25 ans. Il n'y avait pas vraiment de différences d'âges, et du coup je pense que nos relations tenaient plus de la rivalité. Chacun avait envie de se montrer meilleur que les autres, et d'un côté c'était assez stimulant, mais de l'autre côté il n'y avait finalement pas vraiment de réels temps d'enseignements.


Aujourd'hui, avec ma position actuelle qui est celle d'un vétéran, où il m'arrive souvent de devoir transmettre des choses à la nouvelle génération, je ressens l'écart d'âge. Je vois passer beaucoup de gens très, très jeunes, avec lesquels j'ai parfois un différence d'âge de presque 40 ans. Mais plutôt que de vraiment prendre le rôle d'une sorte d'enseignant avec eux, je préfère simplement leur dire ce que je trouve bien ou moins bien dans leur travail.



Toujours dans notre précédente interview, vous évoquiez vite fait le fait qu'avant votre première réalisation d'anime sur Yukikaze, vous avez eu une première expérience de directeur sur des jeux Dreamcast. Quels étaient ces jeux, quel souvenir en gardez-vous, et qu'est-ce que ça vous a appris ?


Avant la conception de Yukikaze qui a pris du temps avec le studio Gonzo, il y avait un autre projet: Blue Submarine No.6. Parallèlement à cet animé, on avait décidé de faire un jeu sur Dreamcast ancré dans le même univers. En réalité, nous étions une majorité dans l'équipe à vouloir plutôt faire le jeu pour la PlayStation, mais cela s'est finalement fait sur la console de SEGA. C'est sur ce jeu-là que j'ai été réalisateur.


Concrètement, au début je n'ai pas vu de grosse différences avec la conception d'un anime, car la conception du scénario et du storyboard était assez similaire. En revanche, vu que le jeu était en 3D, il avait beaucoup de choses auxquelles il fallait s'habituer et s'adapter en terme de perspectives, de manière à ce que cela reste un projet différent de l'anime et ayant sa propre personnalité.


Tout ce que j'ai appris sur la partie numérique et 3D de ce jeu m'a ensuite beaucoup servi pour la réalisation de Yukikaze.




Vous nous disiez aussi que le poste qui vous a le plus stimulé est celui sur Blue Drop où il y avait beaucoup de liberté créatrice et où vous avez pu mettre beaucoup de vous-même. Quel est la part de vous-même en question dans cet anime ?

J'ai effectivement eu beaucoup de libertés sur Blue Drop, du fait qu'il s'agissait finalement quasiment d'un projet original. Bien sûr, à l'origine il y a le manga d'Akihito Yoshitomi, dont il fallait respecter uniquement le concept : des jeunes filles devant se battre contre une menace extraterrestre. Nous devions simplement faire le lien avec le manga, et tant qu'il y avait ce lien nous étions libres de créer l'anime comme nous le souhaitions.

Pour l'équipe créative le projet a été assez simple en revanche pour les chargés de production ça a été plus difficile. Malgré tout, pour ma part, ça reste une expérience vraiment super, un bon souvenir où j'ai pris plaisir à pouvoir faire les choses à ma sauce.

Je rajouterai aussi que ce genre de projet est typiquement de ceux qui attirent les fans de niche pointilleux, et ça n'a pas loupé : on a reçu certaines critiques, mais dans le fond on les a bien acceptées car de notre côté nous étions contents d'avoir pu mener cet anime comme cela nous plaisait, en lui offrant sa part d'originalité.


Quand on vous interrogeait en 2017 sur votre rapport à l'animation d'aujourd'hui par rapport à celle d'avant, vous disiez trouver dommage que l'outil numérique, même s'il facilite le travail, le rende aussi plus lisse car on peut corriger plus facilement les choses, et du coup on se relâche. Aujourd'hui, quel est votre avis là-dessus ?

C'est amusant de voir ce que j'avais pu vous dire il y a quelques années (rires).

Depuis sept ans, l'animation n'a fait qu'évoluer toujours plus vers le numérique. Le travail sur papier est grandement abandonné au profit du travail sur tablettes. Mais les avantages et inconvénients du numérique, eux, n'ont pas changé. La balance entre le positive et le négatif reste difficile à mesurer, sauf au niveau du coût : vu qu'il est plus facile de corriger/modifier sur tablette, ça revient moins cher.

J'aimerais toutefois rajouter un point qui est peut-être un peu différent de ce que je vous disais en 2017 : ce n'est pas parce que le travail se fait désormais surtout en numérique que l'on va pour autant pouvoir revoir les choses à l'infini. Il y aurait alors trop de choses à revoir en terme de quantité, et on pourrait indéfiniment trouver des choses à modifier, d'autant plus que chaque membre de l'équipe va avoir sa vision. Ce qui est important, c'est de trouver jusqu'à quel niveau il y a besoin de modifier pour que le résultat soit convaincant. Dans le fond, cet aspect-là était pareil avec le travail sur papier. Il faut déterminer ce qu'il est nécessaire de modifier et ce qui ne l'est pas, et ça c'est quelque chose que je trouve intéressant.




Vous avez aussi travaillé sur des oeuvres étrangères comme Les Tortues Ninjas ou Jem et les Hologrammes. Quel souvenir en gardez-vous ? Noteriez-vous des différences particulières avec le travail sur des oeuvres japonaises ?

Quand j'y repense, je me dis d'abord que c'était différent, puis je me demande si finalement c'était si différent que ça.

Ce qui était demandé différait surtout en terme de mise en scène. Dans l'animation japonaise, on essayait de faire les choses de manière assez concise, un peu à la chaîne, rapidement mais efficacement. Alors que dans le travail sur des productions américaines, on avait un peu plus de temps, un peu plus de possibilités, ainsi qu'une gestion un petit peu différente.

La différence se fait aussi ressentir sur le plan hiérarchique. Au Japon, c'est le réalisateur qui dirige un peu la production, la manière de faire, l'intention de l'animé. Aux Etats-Unis, c'est plutôt le producteur qui a la mainmise sur le projet et qui le chapeaute. A partir de là, il y a peut-être moins de vision créatrice personnelle.

Je souhaite également souligner une autre différence. Au Japon, on a souvent des séries animées au déroulement précis, avec des épisodes qui se suivent pour raconter une longue histoire, alors que pour les œuvres américaines ce n'était pas ça du tout. Du coup, ça me posait un souci dans ma manière d'interpréter ces dessins animés étrangers. Les producteurs donnaient des lignes directrices  nombreuses et strictes : il fallait que telle chose soit exactement comme ça, etc, avec peu de marges de manœuvre. Cependant, il y a eu un changement quand j'ai travaillé sur le coproduction nippo-américaine Transformers, notamment avec Shigeyasu Yamauchi : on a essayé, ensemble avec le reste du staff, de diriger le projet un peu à la japonaise. Malgré quelques limites, nous avons plutôt pu interpréter ce projet à notre manière.


Enfin, vous êtes reconnu pour vos talents de mecha designer. Qu'est-ce qui vous plaît le plus dedans, par rapport à d'autres postes ?

A l'époque où est né le boom des mechas, on devait beaucoup de chose au célèbre studio Sunrise qui a percé grâce à ça et qui est resté spécialiste du genre. Pour ma part, étant donné que je venais du studio Carpenter qui est un peu un sous-traitant de Toei, et que Toei n'est pas plus que ça branché mecha, j'ai un peu pris la mauvaise porte d'entrée pour me diriger vers le mecha design... ou en tout cas, c'est ce que je croyais ! Car finalement, je me suis retrouvé à être l'un des principaux adeptes de mechas dans les écuries de Toei, et ils ont alors fait appel à moi pour pas mal de leurs projets qui touchaient au mecha.

Quant à ce qui me plaît le plus dans le mecha design... En fait, j'aime bien les trucs cools, et pour moi le mecha c'est super cool. Evidemment, j'aime bien dessiner aussi des personnages humains, surtout les filles, mais je dois dire que le côté cool des designs de mechas m'attire encore plus, également car en terme de designs on peut apporter plus d'originalité et de créativité.


Interview menée par Koiwai. Un grand merci à Masahiko Okura, à Widad Noureddine en sa qualité d'interprète, et aux équipe de Japan Tours Festival.