You CHIBA 千葉侑生

Interview de l'auteur

Publiée le Vendredi, 14 Juin 2024

Le mois d'avril a vu les éditions Ki-oon rouvrir leur fameuse Antre Ki-oon à Paris, qui plus est sur une surface encore plus grande pour laisser place à de nombreuses activités et petites expositions, et en accueillant pour quelques jours une invitée de choix en la personne de You Chiba, l’autrice du prometteur manga Kindergarten Wars qui était lancé dans notre langue pour l’occasion. Ayant fait le déplacement, l’équipe de Manga-news a eu la chance de pouvoir rencontrer la mangaka, en vue d’une interview !

Devenue un beau succès du site Shônen Jump+ de Shûeisha depuis son arrivée dessus en 2022, cette oeuvre, nommée Youchien Wars en japonais, a d'abord démarré sur le Jump Rookie ! (un magazine en ligne où les mangakas en herbe peuvent poster leurs histoires), où elle connut un plébiscite des lecteurs si fort qu'elle a ensuite pu passer un cran au-dessus. Et le parcours de You Chiba elle-même n'est pas parmi les plus communs pour une autrice de manga: initialement orientée vers des études scientifiques après le lycée, elle voulait néanmoins surtout vivre de sa passion pour la fabrication de guitares, en se lançant même dans un cursus spécialisé pour ça. C'est pour l'aider à financer ces études qu'elle a initialement participé à un concours sur le site de webtoons Comico, où elle a remporté un prix et a pu faire ses débuts dans le webtoon. Il s'agit d'une reconversion de plus pour elle, qui se fixe alors pour but de devenir mangaka. Après avoir conçu plusieurs webtoons, elles est repérée par l'écurie Shônen Jump lors d'un nouveau concours et a, dans la foulée, l'occasion de lancer en 2018 Dricam!!. Conclue après 103 chapitres entièrement en couleurs en 2019, cette série fut proposée sur le Shônen Jump+ exclusivement en format webtoon, si bien qu'elle n'a jamais connu de parution physique à ce jour. Cependant, après cette oeuvre, elle peine à percer à nouveau pendant environ deux ans, au point de songer à changer à nouveau de voie pour se faire embaucher dans une boulangerie. C'est finalement là que sa nouvelle idée, à savoir celle qui donnera naissance à Kindergarten Wars, est retenue en 2022 par Shûeisha, qui plus est en format manga cette fois-ci.

Kindergarten Wars nous immisce au sein d'une école maternelle très particulière, réputée pour être la maternelle la plus sûre du monde, car elle regroupe les jeunes enfants de toutes sortes de pointures du Japon, si bien que nombre de malfrats se verraient bien s'en prendre à des bambins et les kidnapper pour faire chanter leurs parents, voire pire encore. Or, quoi de mieux, pour tuer des criminels, que d'autres criminels ? C'est là tout le fonctionnement de l'école, qui recrute en prison des combattants criminels très aguerris en en faisant à la fois les instituteurs et les gardes du corps de l'établissement. Evidemment, ces criminels sont soigneusement contrôlés à leur embauche, et il ne font pas ça par pure charité puisqu'on leur promet, à l'arrivée, une remise de peine, si tant est qu'ils survivent assez longtemps pour ça face aux ennemis toujours plus nombreux. Rita est précisément l'une de ces gardiennes du lieu, veillant quotidiennement à la protection des enfants. Derrière son minois presque innocent, elle est une véritable experte au combat et une tueuse légendaire, capable d'éliminer sans sourciller tout intrus... à moins qu'il soit beau gosse et qu'il corresponde parfaitement à ses goûts très spécifiques. Car dans le fond, cette jeune femme ne rêve que d'amour, aimerait plus que tout vivre une parfaite idylle avec un mec canon. Même si bon, ses petites mises à l'épreuve pour jauger les habitudes culinaires ou cinématographiques de ses crushs se concluent toujours très vite par un bain de sang…

A l’occasion de la sortie du volume 3 de la série en France il y a quelques jours, nous vous proposons, ci-dessous, de découvrir notre interview.

You Chiba, merci d’avoir accepté cette rencontre ! Avant de devenir mangaka, vous avez emprunté un cursus pour devenir fabricante de guitares, un domaine qui vous passionnait. Aussi, avez-vous déjà songé à réaliser un manga autour de ce sujet très spécifique ? Une oeuvre musicale qui sortirait des sentiers battus ? Et cette passion est-elle toujours en vous aujourd'hui ?

You Chiba : Ma passion pour la guitare est toujours là, et je pense qu’elle ne disparaîtra jamais ! En fait, j’aime tellement la guitare que, rien qu’en entendant le mot « guitare » ou en le voyant dans une histoire, je vais trouver ça génial et n’avoir aucun jugement objectif sur la qualité de l’histoire elle-même (rires). Du coup, j’ai peur qu’il y ait ce syndrome si, un jour, je venais à concevoir un manga sur ce sujet.

On sait qu'au départ, votre arrivée dans le monde du webtoon/manga a débuté par un concours en vue de gagner de l'argent pour financer vos études. Pourquoi le choix du webtoon/manga pour ça ? Est-ce un domaine qui vous passionnait déjà auparavant?

Pour être honnête, je me suis dirigée vers ce concours tout simplement parce qu’à la clé, il y avait une belle somme d’argent (rires).

Avant ça, je dessinais peut-être un peu quand j’étais à l’école primaire, mais il n’y avait rien de sérieux, et je n’avais jamais vraiment eu de contact avec le monde du manga.

Du coup, étant donné que vous n’aviez jamais envisagé de faire du manga auparavant, comment avez-vous appris à dessiner, et quels sont vos artistes et vos oeuvres de référence dans ce domaine ?

J’aime beaucoup Taiyô Matsumoto, notamment son oeuvre Ping Pong. Je trouve géniale la façon dont il déroule son histoire dans cette série en particulier.

A part ça, mes références en matière de dessin sont plutôt des choses très mignonnes, et il se peut que j’aie également pris un peu modèle sur One Piece au départ.

Avant d'être repérée par l'éditeur Shûeisha, plus spécifiquement par la rédaction du Shônen Jump+, vous avez dessiné plusieurs webtoons après avoir participé à un concours pour la plateforme Comico. En tant qu'artiste, comment ressentez-vous les spécificités de ce format, notamment via sa narration et son découpage en scrolling vertical ?

C’est un format assez facile, car il suffit de faire des traits horizontaux à l’intérieur d’une trame verticale pour définir les cases, donc il y a beaucoup moins de réflexion à avoir que dans un manga traditionnel pour le découpage.

Par exemple, dans le manga traditionnel, il y a plus de possibilités pour décider de la grandeur des cases, et ça apporte immédiatement plus de travail de mise en scène. En somme, la mise en scène est beaucoup plus limitée dans un webtoon, si bien que quand je suis passée à un format manga traditionnel ça s’est révélé être une autre grammaire artistique pour moi, et j’ai dû recommencer à étudier la mise en scène. C’est beaucoup plus complexe à mettre en place en format manga traditionnel, mais du coup c’est beaucoup plus riche en possibilités, et à l’arrivée c’est également plus gratifiant en tant qu’artiste. Par exemple, dans Kindergarten Wars j’aime jouer sur les doubles-pages, ce qui aurait été impossible dans un webtoon.

Et je pense qu’aujourd’hui encore, je fais très attention à la simplicité de lecture, via des choses comme la longueur des répliques.

Avant Kindergarten Wars, vous avez intégré l'écurie Shônen Jump+ dès 2018 avec Dricam!!. Pouvez-vous nous parler de ce projet intégralement en couleur ? Sachant que celui-ci se rapproche d'ailleurs davantage du format webtoon que du format manga.

A l’origine, c’est Shûeisha qui voulait tenter un line-up de mangas en couleurs et dans un format similaire à du webtoon, si bien qu’ils ont lancé un concours sur le sujet pour le Shônen Jump+. Or, à cette époque j’étais presque la seule à faire du shônen en format webtoon (la grande majorité des autres artistes faisaient plutôt du shôjo), alors j’ai décidé de tenter ma chance.

Abordons désormais Kindergarten Wars. Le mélange entre action, comédie et univers du crime fait particulièrement mouche en ce moment. On peut penser à des mangas comme Reborn! dès les années 2000, mais plus récemment il y a aussi SPY x FAMILY, Sakamoto Days, ou encore Mission Yozakura Family pour la génération actuelle. Avez-vous été marquée, voire peut-être influencée, par ces oeuvres et/ou leurs auteurs ?

Je pense que quand j’étais en train de réfléchir au concept de Kindergarten Wars, il y avait effectivement déjà plusieurs œuvres ancrées dans ce genre d’univers. Sakamoto Days venait de commencer, SPY x FAMILY était déjà bien installé… A mon avis, c’est une période où tout le monde avait une fascination pour ce genre d’univers et de personnages. Des bad guys avec un trait d’humour, ça paraît cool !

Votre responsable éditorial sur Kindergarten Wars n'est autre que Shihei Lin, qui est très réputé pour être un faiseur de hits, en ayant par exemple accompagné Tatsuya Endo sur SPY x FAMILY, Tatsuki Fujimoto sur Chainsaw Man ou encore Yukinobu Tatsu sur DanDaDan. Comment se déroule votre façon de travailler avec lui ? Jusqu'à quel point est-il impliqué dans des éléments comme l'établissement du caractère des personnages, le découpage ou la mise en scène ? Comment vous a-t-il aiguillé ou vous aiguille-t-il encore sur la série ?

On se voit généralement une fois par mois, pour décider de la suite de l’histoire et de ce qui va arriver aux personnages. Quand je n’ai vraiment pas d’idées, il me fait des propositions, mais j’avoue que généralement je ne suis pas très enthousiasmée par ses suggestions (rires). Il arrive même souvent que, si on prend une décision à la fin du rendez-vous éditorial, je finisse par faire complètement autre chose (Shihei Lin, présent lors de l’interview, rit lui aussi).

Mais il ne s’énerve jamais, et a plutôt tendance à faire des compliments sur le résultat final, ce qui met beaucoup en confiance.

L'ambiance et l'héroïne sont parfaitement posées par les deux premiers chapitres, qui ont sensiblement la même construction: vous y répétez quasiment le même schéma, pour un effet de running gag qui, en plus d'être drôle, renforce la façon très particulière dont Rita envisage une relation amoureuse. Comment vous sont venues l' idée de ces deux premiers chapitres presque similaires, et le concept de cette héroïne décalée ?

Concernant les deux premiers chapitres qui se répètent, il s’agit d’une suggestion de Shihei Lin qui m’a beaucoup plu. Il se disait que ce serait un bon moyen de conserver l’attention du lectorat en insistant sur certains éléments.

Et pour ce qui est de Rita, ma série précédente Dricam !! mettait aussi en scène une héroïne qui était en quelque sorte amoureuse de l’amour, et j’avais eu beaucoup de plaisir à la dessiner. Je la mettais en scène avec facilité, de façon instinctive, alors j’ai choisi de garder ce concept de personnage plein d’énergie, mais en donnant à Rita un côté peut-être un peu plus pleurnicheuse que dans ma série précédente.

Interview réalisée par Koiwai et Takato. Un grand merci à You Chiba, à son staff, et à l’équipe des éditions Ki-oon !

Liens

https://twitter.com/chibayou09421