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Manga Nouvelle rencontre avec Shonen autour d'Outlaw Players

Jeudi, 28 Février 2019 à 18h00 - Source :Rubrique Interviews

En 2016, nous rencontrions une première fois l'auteur français Shonen à propos de son œuvre phare publiée aux éditions Ki-oon : Outlaw Players. Maintenant que sept tomes sont parus, nous avons rencontré une nouvelle fois le mangaka qui nous parle du développement de son œuvre et sa manière d'écrire son histoire.


Nous nous sommes vu une première fois en 2016, à l'occasion de la sortie du premier tome d'Outlaw Players. Un peu plus de deux ans après, nous en sommes au tome 7. Quel bilan tires-tu de cette première étape de publication ? As-tu pu développer l'histoire comme tu le voulais ?

Shonen : En partie je dirais. Vu qu'il existe toujours une incertitude sur le futur de la série, on ne sait jamais si elle sera publiée encore longtemps, je me suis forcé à accélérer certaines choses. Mais ce n'est pas un mal, car j'ai ainsi évité de trop grosses longueurs dans le récit. C'est un retour que j'ai souvent eu : les lecteurs semblent trouver que la trame avance vite. Ça me permettra aussi de développer davantage de choses dans la suite.


© Shonen / Ki-oon

As-tu des exemples de parties scénaristiques que tu as accélérées ?

Shonen : Ce n'est pas vraiment l'histoire en elle même que j'ai dû accélérer, mais plutôt des scènes d'action que j'ai dû raccourcir. Mais ça n'a visiblement pas gêné le lectorat. Ce ne sont pas les scènes d'action qui les intéressent le plus mais davantage l'univers et les personnages. Ils aiment sentir une progression.

Tes méthodes de travail ont-elles changé depuis le premier tome ? Es-tu aidé par un assistant, désormais ?

Shonen : Non, je suis toujours tout seul. (rires)
Ce n'est pas nouveau, le principal facteur qui pourrait influencer le fait que je travail seul est le succès de la série, et par conséquent le budget. Forcément, si Outlaw Players fonctionne, on aura un meilleur budget, ce qui permettrait de faire travailler une personne supplémentaire.

Je pense que c'est davantage ma méthode de travail qui a changé. Vu que je suis seul, je dois travailler comme le ferait une équipe. C'est assez particulier de raisonner comme un groupe quand on est seul. (rires)
Au départ, je dessinais mes planches une par une. Par exemple, j'avais déjà mes storyboards et mes crayonnés, et je faisais l'encrage de A à Z. Je ne passais pas à la prochaine planche tant que je n'avais pas fini la première. Aujourd'hui, mon organisation rend mon travail plus rapide : je procède en plusieurs étapes. D'abord, je fais plusieurs passages dont un où je passe sur toutes mes planches en raisonnant comme un auteur, par exemple en faisant un encrage partiel, et je peux passer à la planche suivante sans finir totalement la précédente. Quand toutes les pages sont encrées de manière « temporaire », je fais un deuxième passage où j'endosse le rôle de l'assistant : je peaufine les détails, j'ajoute les décors et les aplats de noirs...
Cette technique me permet de mieux définir mes priorités. Par exemple, dans mon ancienne méthode, je n'avais pas le temps de trop détailler une planche si j'avais passé trop de temps sur la précédente. Je devais me limite dans les rajouts de détails. Maintenant, j'ai une vue d'ensemble et je sais d'avance quels détails je peux sacrifier si je manque de temps. C'est plus facile pour gérer mon temps.


© Shonen / Ki-oon

C'est aussi pour ça que tu as pu garder un rythme de parution assez rapide tout en travaillant seul ?


Shonen : Oui, mais ça m'a aussi permis de faire un bon compromis, celui de publier mes volumes rapidement tout en gardant une certaine qualité. Si je devais faire des sacrifices en simplifiant mon trait, les lecteurs le remarqueraient.

Même si sept tomes sont parus en deux ans, il faut relativiser car j'avais déjà plusieurs volumes de prêts lors du lancement d'Outlaw Players. Publier plusieurs tomes sur un rythme soutenu était essentiel au départ. Maintenant, j'ai un rythme de croisière, à savoir deux volumes par année.

Le scénario est assez insistant sur la bande de Saku qui est constamment enrichie par de nouveaux membres. On a vraiment l'impression de suivre une bande d'amis comme dans les mmorpg... Est-ce volontaire ?

Shonen : C'est un peu ça oui. Si on remarque bien, on assiste à pas mal de passages sur le quotidien des personnages dans le jeu, par exemple des scènes nocturnes au coin du feu... C'est des moments où les personnages discutent et apprennent à mieux se connaître. On le voit dans les derniers volumes : il y a de plus en plus de scènes du genre.

Ce n'est pas une orientation que j'avais en tête au départ, c'est venu assez naturellement. Je pense continuer dans cette direction car ça ressemble aux mécaniques de certains mmorpg, par exemple aux soirées événementielles, et sont propices à l'évolution des relations entre les joueurs.

C'est justement ce qui se dégage dans ces séquences, plutôt intimistes au final...

Shonen : Tout à fait. J'essaie de rendre ces scènes relativement variées : Une se déroulera au coin d'un feu, l'autre dans un hôtel... Le soir, en tant qu'instant scénaristique, est ainsi plus propice pour mieux connaître les personnages.


© Shonen / Ki-oon

Plus l'histoire avance, et plus on voit des créatures aux designs impressionnants et variés. As-tu des influences particulières ? Peut-être mythologiques ou vidéoludiques ?

Shonen : Un peu de tout ça. Je puise dans les influences mythologiques, ce qui est normal puisque tout le monde connait ces mythes, ainsi que les bestiaires classiques de rpg que beaucoup connaissent. Mais c'est surtout Monster Hunter qui m'a influencé. Je ne suis pas un gros joueur des derniers opus mais plutôt des premiers. Dans cette série, il y a l'importance de la mécanique de la chasse au monstre : les plus gros et les plus difficiles sont les plus intéressants car ils donnent de meilleurs composants. Ces éléments ont aussi une importance dans Outlaw Players, on verra qu'ils permettront la fabrication d'équipements et d'armes. Ça rejoint le côté mmorpg du titre et maintient la nécessité de chasser des monstres toujours plus imposants.

Dans le tome six, c'est le personnage de Koto qui est mis en avant. Il est assez ambigu, te tient-il particulièrement à cœur ?

Shonen : C'est un personnage qui a besoin d'être développé. C'est déjà le cas dans le sixième tome, mais on il reste des zones d'ombre. Plus personnellement, c'est un personnage qui me parle car il véhicule des idées qui me correspondent en tant qu'auteur. Si je devais m'identifier à un personnage, ça serait à Koto.

D'une manière générale, cherches-tu à équilibrer le développement des personnages qui constituent l'équipe de Saku ?

Shonen : Il y a de ça, car il faut forcément traiter tous les personnages, je n'aime pas en laisser à l'écart. C'est aussi pour ça que le nombre de figures principales est limité : il y en a cinq, ainsi qu'une PNJ. Dans la série d'origine, le nombre de personnages aurait dû être plus important. Mais c'est pour éviter d'en mettre en retrait que je n'en rajoute pas plus. Cinq ou six figures principales, c'est parfait pour bien les gérer.

A côté de ça, des personnages secondaires seront aussi traités. Il reste donc beaucoup à faire.


© Shonen / Ki-oon
Tu traites aussi les PNJ comme de vrais personnages, c'est un parti-pris très intéressant.

Shonen : A l'origine, les PNJ ont été pensés comme des humains afin de faciliter l'immersion du joueur. J'ai voulu accentuer cet aspect pour créer des choix moraux. Si les PNJ sont mortels et ne peuvent pas être ressuscités, contrairement aux joueurs, cela créera une dynamique différente. En théorie, le joueur favorisera davantage la vie du PNJ que celle d'un autre joueur.

Et, surtout, leurs comportements humains est nécessaire afin de toucher le lecteur, pour qu'il soit plus impliqué. C'est une mécanique qui sera plus détaillée plus tard. Mon optique est de développer les PNJ, mais surtout de montrer les différences entre les personnages dans le jeu et dans la vie réelle. Par exemple, un certain personnage est intéressant car il est "condamné", et je compte revenir dessus. Ça sera davantage développer plus tard, rien n'est laissé au hasard.

Outlaw Players n'est pas un shônen d'aventure basique au schéma classique : il n'y a pas de différents petits arcs, et l'histoire se présente plutôt comme une grande aventure. Est-ce un moyen pour toi de dépayser tes lecteurs ?

Shonen : Oui, mais c'est surtout une vision très personnelle. Aujourd'hui, je suis un peu lassé par le modèle classique des shônen. Dans Outlaw Players, rien ne se passe forcément comme prévu. J'annonce par exemple un tournoi, mais on ne sait pas ce qui peut se passer. Dans un titre classique, on s'attend à voir un tournoi sur plusieurs volumes. C'est comme dans le tome six dans lequel on s'attendait à un grand combat, alors qu'il n'y a rien eu au final.

J'aime jouer avec les codes, mais c'est aussi dans une volonté de traiter l'histoire et l'univers plutôt que les scènes d'action. A ma grande surprise, c'est ce qui intéresse le plus mon lectorat.

Concernant l'esthétique globale de la série, par exemple les environnements, tu parviens toujours à te renouveler. Dans le sixième tome, on assiste à un relief très inspiré de l'Afrique du nord et de la péninsule arabique, avec des étendues très désertiques. Te documentes-tu beaucoup sur tout ces aspects de l'environnement ?

Shonen : Pas spécialement. En revanche, ce sont les architectures qui nécessitent un minimum de recherches, surtout quand je veux faire original.

Autrement non, ce sont juste des environnements qui se veulent différents. Par exemple, dans le cas de Providence, on voit le groupe évoluer dans des contrées enneigées.


© Shonen / Ki-oon
Tu as pris l'habitude de rencontrer tes lecteurs sur les différents salons. Peux-tu nous parler de tes différents échanges avec eux ?

Shonen : Oui, je parle beaucoup avec eux, et c'est normal. J'essaie de recueillir leurs avis pour mieux m'adapter. En tant qu'auteur, c'est essentiel d'avoir sa propre vision de l’œuvre, mais c'est aussi intéressant de connaître l'opinion des lecteurs sur les thématiques ou l'avancée de l'histoire. C'est ce qui m'a aussi poussé à inclure plus de développements du scénario et des personnages, et moins de combat. Ça tombe à pic, puisque c'est aussi ce qui m'intéresse le plus.

Je remarque aussi que le lectorat est essentiellement composé de jeunes adultes, il n'est pas aussi large que le lectorat shônen, c'est un peu dommage.

Le manga de création française est en plein essor : on compte de plus en plus de titres, et une véritable communauté autour des ces œuvres s'est crée. T'est-il toi-même arrivé de lire d'autres mangas français ?

Shonen : J'ai commencé à lire Dreamland il y a quelques années, mais je n'ai pas continué par manque de temps. D'une manière générale, je manque tout simplement de temps pour lire. Je passe plutôt mes jours de repos à dormir. (rires)


© Shonen / Ki-oon
Dans notre interview de 2016, nous avons parlé de jeux-vidéo, vu que tu y joues beaucoup. Même si tu as moins de temps, as-tu pu jouer à quelques titres depuis ?

Shonen : Pas vraiment. On m'a offert une Playstation 4 il y a un ou deux ans, mais je n'ai pas eu le temps de l'allumer, et il peu de titres me séduisent dessus. Je joue plus à des petits jeux ou à certains RPG. Par exemple, j'ai Persona5 chez moi depuis un moment, mais je n'y ai pas encore touché. Un autre jeu m'intéresse et me tente bien : c'est la série des Yakuza. Les vidéos de gameplay que j'ai vues m'ont donné envie. Je suis quelqu'un qui donne beaucoup d'importance au gameplay, et je dois avouer que NieR Automata est répétitif à ce niveau là. Celui-là, je l'ai commencé sur PC, mais je n'ai pas eu le temps de le finir. (rires)

Tu as cotoyé plusieurs salons avec Yami Shin, autrice de Green Mechanic. Cela vous arrive-t-il d'échanger sur vos travaux respectifs ?

Shonen : Pas vraiment. Je n'ai pas trop eu l'occasion de parler sérieusement avec elle, seulement lors de certains repas mais nous n'étions pas seul, et nous n'avons jamais échangé sur nos points de vue et inspirations. Cela ne m'empêche pas de respecter son travail, car j'aime énormément son trait. C'est peut-être un peu ma faute si nous n'avons pas eu l'occasion de discuter : je suis un auteur assez solitaire, je n'appartiens pas à un groupe ni de communauté... Je suis relativement fermé, mais j'aime être solitaire. En tant qu'auteur, j'aime rester dans mon coin, ce qui peut aussi être un défaut puisque les autres auteurs sont souvent en contact avec leurs lecteurs via les réseaux sociaux. Un ami à moi gère une page sur les réseaux, réunissant ceux qui aiment:mes travaux. Heureusement qu'il a pris cette initiative, car je ne le ferais pas de moi-même. (rires)

Cela te donne un petit côté mystique et mystérieux...

Shonen : C'est surtout que je n'ai jamais eu grand chose à dire sur moi ou sur ma vie. Si les lecteurs ont des questions, ils peuvent me voir lors des salons. En dehors de ça, je n'ai rien à raconter, je suis juste un auteur qui bosse sur ses planches.


© Shonen / Ki-oon
Concluons notre interview par un peu de teasing : Comment présenterais-tu, en quelques mots, le futur d'Outlaw Players à tes lecteurs ?

Shonen : Le seul chose que je pourrais dire à lectorat c'est que s'ils trouvent déjà l'histoire complexe, ça sera pire ensuite. (rires)

On peut déjà se poser pas mal de questions sur l'intrigue, et les tomes parus jusqu'à présent donnent déjà beaucoup d'indices. C'est assez ambigu car si on ne prête pas attention aux dialogues, ça reste simple, alors qu'il y a énormément de doubles-sens dans les textes.

Vous vous rendrez compte que certaines révélations ont été faites depuis le début, la relecture du titre sera plus intéressante. Petit indice : des « spoils » ont été faits dans le tome deux. Mais ils ont été faits de telle sorte à ce que les lecteurs ne les remarquent pas.

Un autre exemple. Un lecteur m'a fait part d'une incohérence entre les volumes cinq et six, mais elle est volontaire. Dans le tome six, on apprend qe les PNJ sont crées et ne sortiront jamais de cet univers. Pourtant, dans le tome cinq, on apprend que la faction Providence vient de l'extérieure. Il y a donc quelque chose derrière ça, on le verra plus tard...

Je préfère ce genre d'écriture, je n'aime pas quand c'est trop linéaire. Mais ça vient aussi du fait que je commence à me faire vieux, et je réfléchis un peu plus.... (rires)
Ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas l'action, je n'ai juste pas énormément de temps pour en intégrer. Si je devais m'étendre sur un gros combat, même épique, ça ne serait pas sur plus d'un volume.


Interview réalisée par Takato. Remerciements à Shonen et à Marine Volny des éditions Ki-oon pour l'organisation de la rencontre.
  

commentaires

zarui12

De zarui12, le 01 Mars 2019 à 13h34

Les deux prochains tomes vont sortir rapidement, en plus ! :D

 

Kokuop

De Kokuop [437 Pts], le 01 Mars 2019 à 10h23

Merci pour cet interview, très intéressant et très révélateur de la philosophie de SHONEN. Cet auteur a une façon de poser sa narration de manière très calme sans la rendre ennuyeuse. Sinon j'ai lu plusieurs fois Shonen expliquer que ses lecteurs préfèrent la narration au combat, c'est vrai, mais je ne dis pas non à une revanche Sakuu-Targis qui est pour moi un des meilleurs combats que j'ai pu lire en manga ! ^^ Merci encore pour ce travail :)

Chipsteur

De Chipsteur [267 Pts], le 01 Mars 2019 à 08h51

Super interview ! Shonen prend les bonnes décisions : rien de mieux qu'une scène au coin du feu, plutôt qu'une eniem scène d'action. 

 

Quand j'avais acheté le 1er tome à sa sortie j'étais très sceptique, je m'étais dis encore une énième histoire ou les héros sont dans un jeux vidéo... ke l'avais acheté juste par soutien au manga français. Et finalement une petite bombe ce manga ! Depuis j'achète chaque tome à sa sortie. 

 

Ber1977

De Ber1977 [255 Pts], le 01 Mars 2019 à 08h36

Excellent article, je suis fan de cette série (hors tranche d’âge manifestement cer j’ai 41 ans!) et j’espère qu’elle se poursuivra sans encombre. Les dessins sonst juste magnifiques et l’histoire franchement bien menée.

kintaro

De kintaro [346 Pts], le 28 Février 2019 à 20h53

Article intéréssant ! J'adore le travail de Shonen et Outlaw Player est une pure merveille ;) 

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