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Ciné-Asie Chronique ciné asie - The Grandmaster

Mercredi, 06 Août 2014 à 11h00

Dernier film en date de Wong Kar-Wai, le biopic d'arts martiaux The Grandmaster se voit analysé par notre chroniquer RogueAerith dans la chronique qui suit.





Dans une Chine qui s'embrase, entre 1936 et 1955 (fin de l’Empire, occupation japonaise, Seconde Guerre Mondiale, Révolution), « The Grandmaster » nous conte l'histoire d'Ip Man (joué par Tony Leung Chiu-Wai), maître de « wing chun » (une variante du kung-fu), représentant des écoles du Nord, inspiré d’un personnage réel qui fut le maître de Bruce Lee. Un défi lui est lancé par le représentant des écoles du Sud, sur fond de tensions au sein même de ce clan. La Lame, combattant violent et impulsif (joué par Chang Chen), souhaite en prendre la tête. Ip Man devra se parfaire aux techniques qu'il ne connaît pas afin de maîtriser un kung-fu le plus complet possible pour gagner son combat contre le Sud. Malgré sa concurrence avec La Lame, le Sud est représenté par une jeune femme, Gong Er (jouée par Zhang Ziyi), maîtrisant le style « ba gua », seule détentrice d'une technique secrète, les 64 poings (on se calme les Narutards, Neji Hyuga n'a rien à voir là-dedans !).




La rencontre entre le film de kung-fu et Wong Kar-Wai était pleine de promesses. Pour ce réalisateur hongkongais pour qui l'esthétique visuelle est une religion, un art martial mettant à contribution tout le corps et composé de mouvements faisant presque penser à des incantations était une mine d'or. Mais contrairement aux différents volets d'Ip Man réalisés par Wilson Yip, « The Grandmaster » n'a rien d'un film de combats pur et dur. C'est même là le problème : le dernier film de Wing Kar-Wai ne trouve jamais ses marques et fait office d'OCNI (objet cinématographique non identifié).




On dit souvent qu'un film doit être apprécié pour ce qu'il est. Mais devant le ratage que représente ce « The Grandmaster », comment ne pas le comparer aux autres films de Wong Kar-Wai ? Effectivement, « The Grandmaster » n'a ni l'homogénéité d'un « In the mood for love », ni la passion d'un « 2046 », ni la simplicité du mésestimé « My blueberry nights », films vis-à-vis desquels, pour ma part, je voue un culte sans nom. « The Grandmaster » se rapproche plutôt du controversé « Les centres du temps », souffrant des mêmes maux. Dans « The Grandmaster », le fil narratif est extrêmement décousu et peu clair, la mise en scène contemplative est d'un ennui mortel (un comble lorsque l'on voit la réussite d'« In the mood for love » qui a tout simplement réinventé le cinéma contemplatif), les dialogues pseudo-philosophiques sont un somnifère à toute épreuve, plusieurs incohérences ruinent la crédibilité de l'ensemble (les combats en milieu clos)... Le film n'est qu'un patchwork qui peine à se trouver. La première heure est littéralement « enfermée », tant d'un point de vue esthétique avec des décors uniquement intérieurs – à quelques exceptions près – que d'un point de vue narratif avec une succession de rencontres sans charme, puisque le maître apprend différents styles d'arts martiaux auprès des spécialistes concernés...et c'est tout. La seconde heure joue sur un ancrage maladroit dans l'Histoire chinoise. A la fin du film, on est bien embêtés d'une part de s'être autant ennuyés, d'autre part pour expliquer ce que raconte « The Grandmaster ».




Le ratage scénaristique est total lorsque la fin prend le contrepied du reste du film en étant parfaitement explicite : l'objectif était clairement de comprendre l'idéologie d'un grand maître d'arts martiaux comme Ip man. Ben c'était pas franchement évident ! Que dire également de cette fausse fin, comme si le cinéaste ne voulait pas nous lâcher, qui ne sert à rien. Que dire enfin de l'accent très important mis sur le personnage joué par Zhang Ziyi, allant totalement à l'encontre de la logique du film, censé approfondir Ip man. Vraiment, dans sa narration et son scénario, « The Grandmaster » est une calamité. L'inégalité entre la première et la seconde heure, cette sensation permanente d'absence de fil narratif, pire même, de construction-déconstruction, ces ellipses confuses, ne font pas de « The Grandmaster » un film expérimental, ni un film inachevé... mais bien un film raté. On se prend de plein fouet la gestation difficile, les reports incessants, qui ont tant inquiété avant la sortie du film. Pour trouver une belle fresque historique, et un beau raisonnement sur les arts martiaux, tournez-vous vers le magnifique « Hero » de Zhang Yimou. Pour un film d'arts martiaux mélancolique où l'esthétique n'est pas un prétexte à tout, il y a le génial « Tigre et Dragon » d'Ang Lee. Wong Kar-Wai n'a pas su se mettre au goût du jour, accusant plus de 10 ans de retard.


  
  
Mais alors que reste-il à « The Grandmaster » pour espérer briller quelques instants ? Briller, c'est le mot. Le film a un aspect clinquant. On sait Wong Kar-Wai maître en esthétique, c'est peu de le dire, avec ses films précédents. Alors oui, « The Grandmaster » est beau, mais c'est à peu près tout, et ce n'est pas une franche réussite de ce côté-là non plus. La caméra est amoureuse des acteurs, tournoyant autour des corps et des visages, à la manière de ce qu'on retrouve dans « In the mood for love » et « 2046 ». Cependant, le côté effacé de Tony Leung Chiu-Wai, alors qu'il donnait une classe sans pareille aux personnages qu'il jouait dans les films précédents, n'est qu'austérité. L'acteur semble amaigri, comme fatigué par son rôle et l'entraînement physique impitoyable qu'il a dû subir (avec rappelons-le, une fracture du bras à la clef). On retrouve également une Zhang Ziyi agile et gracieuse... mais c'est tout. C'est fou comme cette actrice n'a jamais été filmée que comme une poupée, hormis chez Ang Lee. Le filtre rouge-orangé pesant sur le film pendant toute sa première heure, si bien utilisé dans « In the mood for love » et « 2046 », devient ici rapidement insupportable. Celui gris neigeux, proche du noir et blanc, omniprésent durant la seconde heure, est bien plus agréable. Agréable, la mise en scène ne l'est en tous cas que très peu : plus de la moitié du film joue sur des ralentis sans aucune finesse. Pourquoi sans finesse ? Parce qu'ils sont extrêmement nombreux et semblent être là pour esthétiser gratuitement. La transition entre ces séquences ralenties et des séquences normales fatigue très vite. Restent les combats. Utilisant certes à outrance ralentis et câbles, on peut y trouver l'originalité et l'anticonformisme manquant au reste du film. L'esthétique y est beaucoup plus réussie que dans le reste du film, car plus surprenante, comme si tous les efforts s'y étaient concentrés. Chacun a sa propre identité, comme si Wong Kar-Wai avait voulu en faire des personnages à part entière, comme un Woody Allen peut le faire pour les grandes capitales. Le combat sous la neige sur un quai de gare est incontestablement le meilleur du film, et l'un des plus impressionnants vu au cinéma ses dernières années. On pourrait croire que l'esthétique de Wong Kar-Wai est là pour rendre les combats plus légers, plus aériens. Détrompez-vous. Quand bien même les effets spéciaux font illusion, puisque contrairement à un film de Donnie Yen ou autre film thaïlandais ou indonésien (suivez mon regard...), les coups ne sont pas réellement portés et les acteurs ne sont pas des professionnels du combat (même si Tony Leung doit maintenant maîtriser quelques rudiments !), ce combat est d'une violence et d'une brutalité rares. Ou l'on voit que Wong Kar-Wai est quand même parvenu à apposer son empreinte : son esthétique douce, ses effets spéciaux vifs, utilisés avec intelligence, font des miracles en transcendant les impacts des coups. Pourtant, il y a un bémol. Le combat du début, montré dans toutes les bandes-annonces, tel le porte-étendard du film, a souvent été décrit comme une réussite totale, nous mettant dans l'ambiance (enchaîner avec la première heure d'un ennui sans nom n'est rendu que plus difficile...). Un combat sous une pluie battante, avec des ennemis multiples, dans la pénombre. Superbe, cette séquence d'introduction ? Ben pas forcément, justement. Vous ne trouvez pas que cela a un gros air de déjà-vu ? Et pour cause ! Il semble tout droit sorti d'un « Matrix Revolutions » : mêmes ficelles, même esthétique, car même chorégraphe en manque d'inspiration semblant s'autoplagier, Yuen Woo-Ping ! Heureusement que ce dernier a de (très) bonnes idées pour le reste du film... sauf au moment où il nous ressert un deuxième combat sous la pluie, avec un autre personnage, « The Grandmaster » donnant à ce moment précis dans la redondance (décidément, quel raté niveau narration). Il fallait peut-être rentabiliser certains effets spéciaux ? Ajoutez à cela une ambiance sonore ban(c)ale (souvenirs nostalgiques des merveilleuses OST d' « In the mood for love » et « 2046 »), sans charme, et vous obtenez un film sans âme, sans réelle réussite. Un comble. « The Grandmaster » ne peut même pas se prétendre prétentieux, avec une esthétique qui aurait pu prendre le pas sur tout le reste, tant il n'en a pas les moyens... des moyens qui, rappelons-le là encore, ont été mis, le film ayant coûté très cher.




Du côté des bonus, l'éditeur nous fait clairement comprendre que mettre la main à la poche est préférable pour avoir quelque chose de sympa. Le DVD ne comprend qu'un making-of qui ne fait que 10 minutes, là où le Blu-ray propose quelque chose de plus complet. Un scandale. Et encore, que ce soit sur DVD ou Blu-ray, au regard de la genèse difficile du film, on aurait été en droit de réclamer encore plus, pour observer les tergiversations du réalisateur et recueillir ses commentaires. La démonstration de wing chun est là encore moins longue sur le Blu-ray. Et on s'arrêtera là pour les bonus côté DVD, ce qui ne fait pas lourd !




Fresque décousue, mal construite inégale, dénuée de sens, « The Grandmaster » est une énorme déception. Il passe à des années-lumière d'un de ses objectifs, rendre hommage au personnage d'Ip Man et à la philosophie des arts martiaux, tant le scénario et les personnages manquent totalement de profondeur. Pire, « The Grandmaster » se montre redondant avec les précédents films du réalisateur, avec un énième amour non vécu, laissant des regrets, sauf celui d'avoir pu garder son honneur (ici face aux ennemis). Un autre objectif est heureusement partiellement rempli : les combats de très grande qualité, seuls moments où Wong Kar-Wai peut s'exprimer et laisser éclater ses idées esthétiques, tandis que le reste n'est que conformisme chiant vu et revu dans ses autres films. Les critiques ont été très mitigées à la sortie du film, puisque c'était tout ou rien (chef d'oeuvre ou ratage). Votre serviteur, vous l'aurez compris, lorgne du côté de la seconde option. Et en tant qu'adorateur fervent des films de Wong Kar-Wai, la pilule ne fut que plus dure à avaler, même s'il fallait s'en douter au vu de l'historique du tournage.
  

commentaires

bakagoku

De bakagoku [4628 Pts], le 07 Août 2014 à 19h45

Je trouve cette critique un peu dure. Certes, le scénario est bancal et parfois confus mais l'esthétisme, la qualité de la réalisation et le jeu des acteurs sauvent quand même la mise. Pas un chef d'oeuvre donc, clairement pas le meilleur Wong Kar-Wai, mais néanmoins honorable à mon avis ! Meilleur que My Blueberry Nights par exemple. J'ai l'impression que Rogue avait mis un peu trop d'espoirs dans ce film, d'où sa déception !

Maboulox

De Maboulox, le 06 Août 2014 à 14h01

 

Critique qui semble avoir été écrite par un ado de quinze qui s'attendait à voir un nouveau film des tortues ninja. Wong-Kar-Wai est un artste qui privilégie l'esthétique et l'émotion pure. Changez de métier svp

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