Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka - Actualité manga

Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka : Critiques

Gakkou e Ikenai Boku to 9-nin no Sensei

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 01 Août 2016

Critique 1 :

Tout commence par une gifle violente et injustifiée, celle qu'une institutrice sur les nerfs inflige au petit Masatomo Tanahashi, élève de CP de 7 ans. Dès lors, la vie de ce gamin jusque là plutôt joyeux bascule : il a peur de retourner à l'école. Il en cauchemarde même, voyant dans ses cauchemars un monsieur en noir symbolisant ses peurs. Et l'école, à partir de cet incident, il n'y retournera que partiellement : malgré la succession à ses côtés de divers enseignants, prof à domiciles ou pédagogues, malgré la présence de ses parents qui tenteront bien des choses pour le réacclimater au milieu scolaire, il ne parviendra jamais à vivre une scolarité normale...

Cette enfance éloignée du système bien rangé, c'est en grande partie celle que l'auteur de ce manga, Syoichi Tanazono, a vécue. Pendant près de 290 pages, le mangaka invite ainsi le lecteur à découvrir son parcours aussi difficile qu'atypique de ses 7 ans à ses 13 ans, et nous plonge directement dans son récit en montrant à quel point un simple geste malheureux peut faire basculer une vie, surtout à un âge aussi jeune.

L'oeuvre prend pour thématique centrale la phobie scolaire, sujet on ne peut plus délicat, encore plus à notre époque où l'éducation et le milieu scolaire sont régulièrement remis en question... et pas uniquement au Japon ! Il suffit d'observer l'état de l'éducation en France actuellement pour comprendre que ce pavé de 290 pages a une consonance très universelle.

Pour autant, il ne faut chercher aucune critique acerbe dans ce récit, qui est avant tout une histoire personnelle sur fond de problèmes sociétaux, racontée à travers les yeux et les pensées d'un enfant en grande partie déscolarisé. La narration est effectivement très introspective et, le plus simplement du monde, nous montre tout ce que pouvait penser l'auteur au fil de ces années compliquées, poussant alors le lecteur adulte à se questionner sur des choses primordiales : Comment comprendre exactement ce que peut ressentir un enfant renfermé ? Comment être sûr de l'avoir bien cerné ? Comment l'aborder ? En nous plongeant du point de vue du héros enfantin, Tanazono inverse les choses et pousse la réflexion assez loin et fortement, par exemple en mettant en scène une jeune enseignante un peu dépassée, mais positive qui pense bien agir pour le jeune garçon alors que ce n'est pas le cas.

Les problèmes sociétaux, donc, sont nombreux à être évoqués au fil du tome, et à leur tête on trouve forcément la délicate entreprise qu'est l'éducation scolaire... que le mangaka a le bon goût de ne jamais critiquer, préférant s'atteler à portraire les nombreux éducateurs qu'il a pu connaître. Des pédagogues tentant de comprendre son blocage sans forcément y parvenir. Des professeurs à domicile appliqués, tentant de le faire travailler comme il faut, mais difficilement puisque Masa a tendance à ne pas étudier quand il n'en a pas envie, ou alternant les études avec deux jeux et des sorties pour permettre au gamin de renouer un lien avec le monde extérieur. Des instituteurs aux techniques très diverses, entre celle qui se montre très bienveillante et compréhensive, celle qui se contente d'exercer son travail sans chercher à sympathiser avec les élèves, celle qui, encore jeune, cache derrière son sourire constant le fait qu'elle est un peu dépassée et n'impose pas son autorité, celui qui cache une application très sérieuse et plutôt encourageante derrière son visage un peu effrayant, ou le dénommé Kumagaï, adoptant un comportement très impliqué et ludique à même de capter l'attention les gosses et de les mettre en confiance, et qui sera celui qui parviendra le plus longtemps à maintenir Masa sur une voie scolaire à peu près régulière.
Autant de cas qui montrent surtout à quel point l'instruction scolaire peut être difficile à appréhender, à quel point le métier d'enseignant peut être compliqué... et à quel point, tout simplement, l'éducation de manière générale est aussi délicate qu'importante. Par exemple, le cas de l'enseignante plutôt froide et distante permet de souligner à quel point il peut être important de nouer des liens avec des enfants si jeunes et ayant besoin d'une certaine affection. Et même l'enseignante auteure de la gifle, ayant rapidement compris son erreur due au stress, cherchera à s'excuser, mais sans succès.

Mais malgré tout, quels que soient l'année et l'enseignant, il y a toujours des jours où Masa ne va pas en classe, car même dans les meilleurs moments, d'autres problèmes viennent le replonger dans ses frayeurs, dans son incapacité à se rendre en cours, dans ses cauchemars d'enfant où le monsieur en noir revient le hanter. Il y a des événements inévitables dont il ne peut être qu'observateur : mort, suicide, éloignement contraint d'un ami cher... mais aussi des choses encore plus délicates, à commencer par le regard des autres (élèves, voisins...), ses désillusions aux examens, ou les brimades enfantines parfois très cruelles qu'il subira pendant un temps, du fait de son côté mal adapté, non entré dans le moule. Cruelle réalité commune à bien des cultures.
Mais Masa lui-même n'est pas parfait et, presque sans vraiment le vouloir, peut se montrer un peu odieux et cruel dans son désir de réintégrer les enfants "normaux", comme le montre notamment un passage à l'issue difficile avec Horii...
Et même quand il parvient à plutôt bien s'intégrer, de nombreux tourments continuent forcément de se montrer en lui. Comment peut-il effacer l'anxiété qui a toujours été en lui concernant l'école ? Comment savoir s'il peut faire confiance aux autres ? Même s'il sait qu'il doit aller à l'école et qu'il veut y aller, comment faire disparaître ces choses qui le bloquent toujours ? Se dessinent ainsi des sujets délicats : le manque de confiance en soi et envers les autres, la difficulté de trouver sa place et de s'intégrer... et la peur de se trouver "anormal".

Il y a en effet une notion qui revient constamment, tout au long du volume : celle de "normalité". En ne parvenant pas à aller en cours et à s'intégrer au groupe, le jeune Masa a peur de devenir "anormal". Il cherche à être "normal", à faire partie du groupe, de cette microsociété qu'est la classe... quitte à ne pas être totalement lui-même en s'improvisant quasiment "leader" d'une petite bande à un certain moment. Mais être "normal" signifie-t-il forcément être bien ancré dans le moule sociétal ? Cette interrogation vient constamment à l'esprit du lecteur au fil des pages où il découvre le parcours de ce gosse qui, au bout de ses interrogations sur son avenir, voit se dessiner une lueur d'espoir à travers une chose : le manga. Et plus spécifiquement, un manga.

Dès la première page, en effet, Syoichi Tanazono fait référence à Dragon Ball. L'oeuvre d'Akira Toriyama ne quittera ensuite jamais le récit, revenant constamment plus ou moins fortement, à travers la passion du jeune garçon pour le dessin animé DBZ qu'il regarde à la télé et dont il redessine les personnages ou reproduit des scènes de combat, sa découverte passionnée du manga, son suivi en magazine, sa visite d'une exposition de planches originales qui le rend plus intéressé par l'auteur de sa série fétiche... Au fil de ces six années de vie, Dragon Ball sera là pour lui changer les idées, pour l'épauler, et même pour faire naître en lui une vocation, avec en point culminant une incroyable et véridique rencontre... S'il fallait le rappeler, voici un exemple qui montre toute l'importance de l'Art qui peut sauver une éducation et une vie.

Enfin, un mot sur les dessins. Ceux-ci, éloignés des standards (et ce n'est pas plus mal), dégagent toute leur saveur dans l'application que le mangaka y a mis pour faire ressortir les émotions de ses personnages, simples et jamais exagérées. Un beau travail qui colle parfaitement au fond, et auquel s'ajoutent quelques bonnes petites trouvailles comme la présence presque envahissante des trames noires dans les passages où Masa se sent le plus perdu.

Au Japon, Syoichi Tanazono a déjà publié divers récits courts et a remporté quelques prix, mais Sans aller à l'école, je suis devenu mangaka est son tout premier manga relié, paru dans son pays d'origine début 2015 après sa prépublication en 2014. Et l'on peut dire que le jeune auteur démarre avec beaucoup de force via ce récit semi-autobiographique peu habituel et incroyablement pertinent dans ses thématiques. Son parcours difficile a fait de lui ce qu'il est, il en a fait une force porteuse d'espoir qui se ressent directement sur son style, et l'on ne peut qu'espérer le revoir très vite !

Avec ses quasi 300 pages imprimées très qualitativement sur du papier bien épais, et sa traduction très claire et immersive, l'album vaut amplement ses 9,55€. En fin de tome, on trouve une jolie postface du mangaka, mais aussi un long texte de 4 pages d'Akira Toriyama lui-même, où il revient sur sa rencontre avec le jeune Tanazono... Plus non négligeable s'il en est, tant on sait que Toriyama n'aime pas trop s'exprimer et se montrer !


Critique 2 :

Akata aime les mangas à thématiques sociales, l’éditeur nous l’a prouvé tout le long de sa ligne éditoriale, que ce soit sur des one-shot comme Je reviendrai vous voir ou des nekketsu tels que l’excellent Prisonnier Riku. Avec Sans aller à l’école, je suis devenu mangaka, l’auteur Shoichi Tanazono nous parle d’une autre thématique forte dans la société rigide japonaise : la déscolarisation. Le sujet est donc grave d’autant plus que la couverture, représentant le jeune héros avec un regard sinistre, a de quoi nous émouvoir directement et donc nous intriguer. Le bandeau publicitaire n’est pas indifférent à l’intérêt qu’on peut porter au one-shot puisqu’il présente une recommandation d’Akira Toriyama, auteur de Dragon Ball, une démarche qui n’a rien d’un hasard mais nous aurons tout le loisir d’y revenir…

Œuvre en grande partie autobiographique, le one-shot présente les années scolaires de Masatomo Tanahashi, un enfant normal sur bien des points : il est fan de Dragon Ball et aime jouer avec ses amis. Pourtant, il se montre vite perdu lors des cours et la réaction violente de son institutrice face à son incompréhension n’apaise pas son malaise, bien au contraire. Phobique à l’idée de retourner en cours au point d’en faire des cauchemars, Masatomo va alors connaître une enfance singulière, n’allant que ponctuellement en cours et se réfugiant dans ses passions. Et si ses parents vont tout tenter pour l’aider, les différentes interactions du petit garçon vont lui faire comprendre qu’en société, être déscolarisé n’est pas vu de la meilleure de façons…

Sur ce pavé de près de 300 pages, Shoichi Tanazono se livre au délicat exercice de l’œuvre autobiographique. Cet auteur, peu édité au Japon et qui vit du dessin de différentes manières, raconte en effet son enfance via une identité fictive, celle de Masatomo Tanahashi et son parcours en tant qu’enfant déscolarisé. C’est sous l’angle du handicap que le mangaka raconte son histoire, un récit particulièrement détaillé puisqu’il s’étale sur de longues années, décortiquant les années primaires et lycées de l’auteur lorsqu’il était enfant.

On sait de la société japonaise sa grande rigueur, les études ayant là-bas une place primordiale. Etre déscolarisé, on s’en doute, n’a donc rien de facile et c’est donc cette jeunesse peu joyeuse qui nous est contée. La phobie du jeune héros passe en effet par différents stades tout le long du récit, ceci grâce aux rencontres et à l’état d’esprit du petit garçon qui ne cessent d’évoluer au fil des pages. Cette déscolarisation est donc racontée et expliquée selon bien des angles : on y découvre aussi bien le petit-garçon qui n’a pas une vie normale et qui n’évolue pas dans un cercle d’amis comme il le devrait, mais aussi les points de vue divers de la société à travers une multitude de portrait. Nombreux sont les adultes à être confrontés au handicap de Masatomo et tous ont des réactions différentes. Si on est forcément touchés par ces personnages justes qui cherchent à l’aider et comprendre ses soucis, on est en revanche attristés par ceux qui montrent des réactions typiques de la société japonaise, garnies autour de réactions caricaturales montrant bien qu’un handicap social n’a pas tellement sa place dans le Japon moderne… Et si le discours de Shoichi Tanazono se montre aussi captivant que touchant, c’est parce que l’auteur a la faculté de ne pas partir dans un pathos total. Au contraire, son récit est troublant de crédibilité et, traitant du cas d’un individu malade, insiste sur les hauts et les bas que le petit-garçon peut rencontrer. Sa vie n’est donc pas toujours noire, bien au contraire, et c’est cette nuance qui rend forcément les rechutes du jeune héros particulièrement poignantes, si bien qu’on se questionne à de multiples reprises sur l’avenir qu’il pourrait connaître.

Nous parlions d’Akira Toriyama au début de cette chronique, et ça n’a rien d’un hasard. En effet, la recommandation du mangaka pour ce titre ainsi que la postface qu’il a écrite ne sont pas anodines, loin de là. Le quotidien de Masatomo, et donc du mangaka quand il était jeune, était façonné par le manga Dragon Ball qui représentait son seul véritable échappatoire à ses peurs et à cette société stricte. Le chef d’œuvre du nekketsu est constamment évoqué dans le récit et à ce titre, mieux vaut avoir lu le manga et l’aimer pour comprendre ce que le titre apporte au petit-garçon. Les références à Dragon Ball sont en effet multiples et Masatomo passe une grande partie de son temps à retranscrire les dessins de Toriyama. Mais loin d’être un simple léchage de bottes au mangaka, Shoichi Tanazono se sert de l’aventure de Son Gokû pour exploiter la thématique du rêve tout en s’appuyant sur son propre vécu. C’est notamment dans la phase finale du one-shot que Dragon Ball prend toute son importance et démontre avant tout que la passion, si on s’y accroche vivement, est peut-être le meilleur moyen de sortir la tête de l’eau. Le contraste avec la société nippone très (trop ?) rationnelle est palpable, les rêves du héros paraissent ainsi volontairement idéalistes mais vont progressivement le mener vers son salut. D’une certaine manière, Sans aller à l’école, je suis devenu mangaka peut être interprété comme une critique virulente de la société nippone.

Pour appuyer le propos, on retient aussi la patte graphique de Shoichi Tanazono, simpliste de prime abord mais qui, par sa douceur et ses choix de mise en scène, symbolise parfaitement la vision du petit-garçon de ceux qui l’entourent, ses hantises et ponctuellement ses joies. « L’univers » graphique dont parle Akira Toriyama, dans le récit, a véritablement un sens sur ce one-shot.

L’édition d’Akata, elle, est d’excellente facture. La traduction est efficace d’un bout à l’autre, chose peu évidente puisque le récit se construit en grande partie sur la narration interne et les réflexions de Masatomo, et l’impression se révèle aussi de qualité. Le prix, certes de 9€55, vaut largement le travail éditorial sur ce pavé de 300 pages.

Témoignage d’un handicap social, critique de la société, surpassement de soi pour l’accomplissement de ses rêves… le one-shot autobiographique de Shoichi Tanazono aborde une multitude de thématiques tout en se montrant touchant sans jamais vouloir trop en faire. Voilà donc un témoignage passionnant et actuel que nous livre l’auteur, une littérature graphique à caractère sociale comme on aimerait en voir plus souvent.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

18 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs