Oiseau bleu (l') - Actualité manga

Oiseau bleu (l') : Critiques

Aoi Tori - Wakuraba

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 19 Janvier 2016

Critique 1


On l'avait encensé avec le magnifique Chien gardien d'étoiles, on le retrouve enfin en France, cette fois-ci aux éditions Ki-oon, avec son dernier ouvrage en date : via L'Oiseau Bleu, Takashi Murakami délivre à nouveau un ensemble de deux drames profondément humains dont il a le secret, pour un nouveau chef d'oeuvre instantané.

Ici, Murakami livre une oeuvre qui, comme beaucoup d'autres, est imprégnée de l'après 11 mars 2011. A l'origine, le scénario centré sur le thème de la famille avait été entamé par l'auteur peu avant le drame, mais à l'issue de celui-ci, l'impact sur son esprit fut tel que le recueil s'est en retrouvé fortement nourri. La peur de perdre ses proches, le besoin de se reconstruire après un drame comme celui-ci, l'inquiétude face à sa propre mort, sont autant de tourments ayant pris le mangaka au plus profond de lui-même, se répercutant sur son oeuvre qui n'en apparaît alors que plus sincère et juste.

A l'instar du Chien gardien d'étoile, L'Oiseau Bleu se divise en deux récits emboîtés l'un dans l'autre.

Le premier récit, qui fait environ 80 pages, offre son nom au recueil, et puise lui-même ce nom dans l'oeuvre éponyme du belge Maurice Maeterlinck qui a déjà inspiré beaucoup d'oeuvres rien qu'au Japon (un chapitre du manga Demain les oiseaux de Tezuka, RahXephon, un long passage de Moonlight Act, Eureka Seven...).
Dans cette oeuvre, un frère et une soeur, Tyltyl et Mytyl, partent en quête d'un légendaire oiseau bleu afin de guérir une enfant malade. Et les enfants, dans leur quête, croiseront notamment la route de personnes issues de leur passé et de leur avenir : leurs grands-parents morts, leur petit frère qui n'est pas encore né... La référence au récit de Maeterlick dans le manga de Murakami n'est évidemment pas anodine et possède une forte symbolique puisqu'il y est, là aussi, question de la mort, du passé et du futur.

Porté par de superbes premières planches aux couleurs paisibles, le début présente une scène de bonheur quotidien on ne peut plus simple : celle d'un pique-nique. Celui de la famille Higashimoto. La douce Yuki, la mère, profite de cet instant fugace, mais essentiel aux côtés, de son mari aimant, Naoki, et de Shu, leur adorable petit garçon de 5 ans. Puis vient la route du retour, où les couleurs disparaissent, les pages n'étant ponctuées que de rouge lorsque vient frapper un drame aussi soudain que terrible : la faute à une tourterelle passant devant la voiture de la famille, Naoki perd le contrôle du véhicule, qui sort brutalement de la route. Yuki s'en sort avec seulement une blessure à la tête... mais son fils ne survit pas à la violence du choc, et son époux se retrouve dans un coma végétatif dont il risque de ne jamais sortir...

En un rien de temps, la vie de Yuki bascule du tout au tout, au bout d'un drame qui frappe des familles chaque jour. Pour celle qui avait enfin fondé un foyer et trouvé le bonheur, tout est soudainement parti en fumée... Quel avenir l'attend désormais ? Comment pourra-t-elle se relever de cette terrible épreuve ? Telles sont les questions que Murakami abordera avec une finesse exemplaire.

L'auteur frôle le pathos à quelques égards, notamment dans le surplus de malheur s'abattant sur Yuki : elle qui avait perdu ses parents très jeune et venait tout juste de connaître le bonheur familial, elle vient à nouveau de le perdre. Et pourtant, Murakami parvient à éviter d'être trop larmoyant, car plutôt que chercher artificiellement à nous tirer les larmes des yeux, il s'applique plutôt à dépeindre de près le nouveau quotidien qui attend Yuki, et cela passe par de nombreuses étapes finement croquées sur le plan psychologique. Ainsi retrouve-t-on une Yuki qui a d'abord du mal à réaliser que son enfant n'est plus là. Elle continue, pendant un temps, d'aller l'attendre à la sortie du bus, en vain. Elle se raccroche aux derniers résidus de sa voix enfantine, enregistrée dans un vieux jouet, mais à côté de ça ne parvient pas encore à regarder en face les photos de lui... Murakami présente avec force et finesse toute l'ambivalence de la détresse psychologique de la jeune femme, incapable pour l'instant de pleurer la mort de son enfant tant elle ne peut y croire et préfère, en quelque sorte, fuit cette réalité impossible à accepter.
La fuite et l'espoir se font alors à travers la figure de son époux, plongé dans un coma végétatif dont il a peu de chances de ressortir. Naoki, présent sans l'être, reste celui en qui Yuki peut le plus se raccrocher, et elle s'occupera alors de lui jour après jour, au gré de ses passages dans différents hôpitaux et cliniques, jusqu'à ce qu'il soit rapatrié au domicile familial où elle continuera inlassablement de lui prodiguer les soins. Ses beaux-parents, une femme bienveillante et un homme affaibli par un début de démence et ayant lui-même préféré effacer de sa mémoire l'existence de Shu et de Naoki, auront beau lui proposer de s'arrêter là, auront beau lui dire qu'elle peut encore refaire sa vie, il n'en sera rien.

Dans cette présentation quotidienne, Yuki nous apparaît alors profondément humaine dans son mélange de faiblesse et de force, coincée entre le drame de la perte de son enfant et l'espoir de voir Naoki reprendre conscience. Dans ce portrait d'une difficile reconstruction, Murakami fait des merveilles sur le plan narratif et visuel. Sa narration posée et proche de Yuki est impeccable et fait passer l'essentiel sans forcer (par exemple, le temps qui passe inlassablement se voit uniquement à travers les cheveux de la jeune femme qui repoussent peu à peu), son trait tout en douceur (que ne renierait pas Fumiyo Kôno) dégage autant de poésie que d'humanité... Et que dire de ces moments venant entrecouper le lourd quotidien de Yuki, où nous sommes invités à suivre Shu et Naoki vagabondant ensemble dans la prairie, pour un résultant apportant plus de douceur et de poésie tout en proposant une belle vision métaphorique de la mort... et du lien unissant ces deux-là à Yuki qu'ils ont laissée seule derrière eux, et qui est ici symbolisée par une belle trouvaille : une nuée de libellules, qui, peut-être, finira par récupérer Naoki ?

A l'issue de ce récit mêlant un drame puissant à un abord intelligent, humain, doux et poétique, la perte d'un être cher est évoquée avec maestria par un auteur délivrant, au bout du compte, un message d'espoir qui fait mouche. "Ainsi va la vie".

Le deuxième récit, "Les feuilles mortes", tire son nom d'un double sens japonais, ce terme pouvant désigner les feuilles malades d'un arbre ou le fait de retrouver quelqu'un que l'on connaît de façon fortuite. Deux définitions collant au personnage central de ce récit : Hideo Higashimoto, le père de Naoki et grand-père de Shu, croisé dans le premier récit alors qu'il connaissait un début de démence.
Cette fois-ci, c'est un début plus brut auquel nous avons droit : des couleurs plus artificielles, ponctuées de bruits assourdissants représentées par d'envahissantes onomatopées. Nous sommes dans une aciérie des années 60, où le jeune Higashimoto exerce son premier travail aux côtés de collègues qui tentent tous, tant bien que mal, de joindre les debout. C'est notamment le cas d'un collègue qui, pour subvenir aux besoins de son fils Yuta, multiplie ses heures de travail, confiant alors la garde de son enfant à Higashimoto. Les choses se passent plutôt bien, Higashimoto s'attache fortement à Yuta et à son paternel. Jusqu'à ce que... Retour dans le présent, où l'on retrouve un Hideo vieilli et amoindri par les débuts de sa démence. Il commence à oublier certaines choses d'abord anodines, puis cela prend peu à peu de plus en plus d'ampleur... Il est atteint de la maladie d'Alzheimer, et cela s'amplifie forcément au fil du temps. Et là aussi, Murakami choisit de nous plonger au plus près du personnage et de son épouse. Au fil d'une narration toujours aussi attentive et douce, et de dessins toujours aussi subtils notamment pour présenter le passage du temps (ici, ce temps qui passe se ressent tout naturellement à travers la vieillesse de plus en plus marquée de Hideo), on voit le quotidien du vieux couple de plus en plus mis à mal par la maladie, à laquelle vient s'ajouter le drame de Yuki, Naoki et Shu qui a forcément un impact lui aussi. Voir Hideo oublier de plus en plus de choses, se demander de plus en lus souvent ce qu'il fait et qui est sa famille, et voir son épouse continuer d'être là pour lui malgré des difficultés de plus en plus fortes, a quelque chose de profondément touchant et humain dans cette simplicité de ton. Murakami trouve le ton parfait pour dépeindre  la lente "déchéance" du vieil homme, qui oublie jusqu'à sa famille... alors que, pourtant, il semble ne pas oublier certaines choses même s'il a du mal à s'en rappeler précisément. Le souvenir de son premier travail où il veut constamment retourner, le souvenir d'un enfant pour lequel il n'a rien pu faire... Et si le message d'espoir était là ? Car de façon presque fortuite, une figure du passé de Hideo finit pas ressurgir devant lui, et c'est désormais cette figure qui est là pur lui. Pour tenter de le soigner, mais aussi pour montrer que, même s'il oublie tout et qu'il ne sera bientôt plus de ce monde, il y aura toujours quelqu'un pour entretenir son souvenir. Dans tout ceci, Murakami parvient à nouveau à éviter de justesse le pathos. Il est même rare de voir les personnages pleurer réellement, et quand ils pleurent c'est très brièvement dans des scènes qui marquent en profondeur de par leur justesse, comme à la page 158.

Et l'auteur ne s'arrête pas là : tout comme dans le Chien gardien d'étoiles, ses deux récits lui permettent également de mettre en avant des failles de la société japonaise : le manque d'implication et d'aide des soins médicaux et sociaux dans un cas comme le coma végétatif, les gros manques dans les mesures de soutien et d'assistance pour des maladies comme la démence... tout ceci ne faisant que rendre plus pénible encore la situation des patients et de leur famille. Comment se relever quand les aides extérieures ne suffisent pas et que la société ne prend pas le temps et les mesures pour ça ?

Sur un total de 210 pages, c'est alors une oeuvre incroyablement juste et complète que nous offre le mangaka. Enfant, adultes, personnes âgées... Murakami brasse toutes les générations pour les confronter brillamment à d'importants problèmes de société et à de fortes thématiques humaines : la mort qui frappe soudainement ou qui approche inexorablement, le deuil, le souvenir, l'oubli, la vieillesse... des choses qui sont le lot de tout être humain et contre lesquelles on ne peut rien, hormis l'indéfectible soutien des proches, de la famille, et le besoin de trouver la force de se reconstruire. Ainsi va le cycle de la vie, les dernières pages bouclant d'ailleurs la boucle ouverte au début du tome via l'image symbolique de l'oiseau.

L'édition de Ki-oon est impeccable. Le grand format de la collection Latitudes se prête totalement au travail de Murakami, les pages en couleur dont partie intégrante de l'ambiance de l'oeuvre, la qualité d'impression est excellente, la traduction ne comporte aucune fausse note, et la couverture colorée avec son vernis sélectif est du plus bel effet.


Critique 2


Le pic-nique de la famille Higashimoto traduit le bonheur de leur petit foyer. Yuki et Naoki ont un adorable enfant, Shu, espiègle, mais profitant des plaisirs de la vie. Seulement… le bonheur prend fin lorsque tous trois sont victimes d’un accident de voiture. Shu meurt sur le coup tandis que Naoki reste dans un état entre la vie et la mort. Le monde de Yuki s’écroule sous ses yeux et, désarçonnée, elle se doit de faire face à la réalité et de faire le deuil de ce qu’elle a perdu. Mais est-ce que la vie permet de réellement se reconstruire après un tel drame ?

De son côté, Hideo, le père de Naoki, vit sa propre histoire. Culpabilisant de la mort de son ancien collègue de travail, ce dernier a appris à tourner la page. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Frappé par la maladie d’Alzheimer, c’est à ce moment qu’il retrouve Yûta, le fils de son défunt collègue qui a bien grandi et est devenu médecin. Peut-être est-ce l’heure de la rédemption pour Hideo, mais ses problèmes de santé annoncent des jours difficiles pour son existence et celle de sa femme.

Derrière cette entrée en matière pessimiste, vous aurez peut-être reconnu la patte tragique de Takashi Murakami, un auteur que nous connaissons bien en France grâce aux deux volumes du Chien gardien d’étoiles, édités aux éditions Sarbacane. Pour le nouveau récit du mangaka, c’est Ki-oon qui a repris le relais à travers sa collection Latitudes. Les amateurs du style poétique de l’auteur peuvent ainsi se jeter les yeux fermés sur L’Oiseau Bleu qui démontre que Takashi Murakami n’a en rien perdu de son style ni de sa manière de traiter des sujets percutants…

Scindé en deux histoires parallèles, mais qui s’entrecoupent à certains moments, le one-shot doit son nom au premier des deux récits, le plus dramatique, celui qui donne au volume son accroche. L’histoire de Yuki, mère du petit Shû qui va perdre son fils au cours d’un accident de la route tandis que son mari reste dans un état incertain, a en effet de quoi chambouler les esprits puisque le ton y est essentiellement très dramatique, notamment sur les premières pages qui donnent à l’histoire sa tonalité qui est des plus graves. La tristesse est évidemment présentée par la mort d’un petit-garçon, symbole même de l’innocence, et est appuyée par le combat permanent d’une mère qui a perdu tous ses repères dans la vie et qui tente tant bien que mal de se reconstruire. Le deuil est alors une idée forte qui montre le trauma d’un auteur marqué par le tristement célèbre 11 mars 2011 et ce dernier veut avant tout transmettre un message pour permettre à chacun de se reconstruire, raison pour laquelle malgré l’accumulation de malheurs vécus par Yuki, la finalité du récit trouve une ouverte plus optimiste. Mais la force de l’ouvrage est de rendre le message accessible, en focalisant un contexte commun qui pourrait nous frapper tous. Et pour ces raisons, on entre aisément dans le combat de Yuki et c’est sans mal qu’on s’associe à ses peines et ses déboires, les siens, mais aussi ceux de Naoki qui vit l’expérience de manière plus métaphorique. Certaines séquences nous broient ainsi le cœur, cœur qui s’apaise de fil en aiguille au fur et à mesure des développements, et notamment face à l’issue finale du premier arc. Car dans le second, cette dimension est plus moindre et clame d’autres messages.

L’un d’eux est la dimension sociale du récit de Murakami, déjà fortement ressenti dans la première partie de l’œuvre, mais qui impacte aussi énormément la seconde. Derrière le combat de Yuki, il y a évidemment la question du deuil, mais le mangaka en profite pour présenter les difficultés à traiter les séquelles d’un tel drame à travers la société, notamment dans des contextes médicaux et familiaux. Comment alors rebâtir une vie quand le modèle sociétal lui-même nous met des bâtons dans les roues et n’apporte pas un soutien plus solide ?
C’est dans cet ordre d’idée que l’histoire de Hideo, le père de Naoki dont la maladie d’Alzheimer commence à se répandre en lui, nous est narrée. L’auteur passe ainsi en revue le thème de la vieillesse et notamment le fait de vieillir au sein de structures qui ne permettent pas toujours aux personnes âgées les plus fragiles de finir leur existence dans la quiétude. Ces problèmes amènent forcément à l’empathie des protagonistes de l’œuvre, mais sont aussi source de réflexion sur notre cadre de vie et le fait qu’il est difficile de surmonter seul ces souffrances quand le monde extérieur ne nous aide pas.

Takashi Murakami est un amoureux de la famille, sans aucun doute. Pour ces raisons, la dernière idée majeure de son œuvre est l’autre point de vue de la vieillesse, étape de la vie traitée de manière sociale, mais aussi sur le plan de l’état d’esprit. A travers les souffrances de Hideo et des personnages qui l’entourent, l’approche de la mort est montrée d’abord comme une fatalité, une source d’angoisse à laquelle on ne peut se soustraire et qui amorce progressivement le trépas d’un proche, mais aussi la fin d’instants de bonheurs, voire de souvenirs auxquels nous tenons. L’idée est aussi de préparer son deuil, d’une certaine manière. La vie est présentée éphémère comme éternelle puisque là aussi, Takashi Murakami nous présence l’existence d’un homme de la plus belle des manières : l’être humain a beau n’être là que pour une durée presque déterminée, l’amour qui le lie au sien, ses passions et ses joies, le rattache forcément à un être qui entretiendra le souvenir de la personne, et ce éternellement.

A travers toutes ces idées, ces développements illustrés à travers l’existence de Yuki, d’Hideo et de leurs proches, le message du mangaka nous happe de la première page à la dernière. On passe aisément des larmes à la quiétude puisque le message est traité de manière progressive jusqu’à aboutir à l’espoir, à l’optimisme. Il ne faut certainement pas croire que L’Oiseau Bleu instaure des climats dramatiques pour jouer la carte de la surenchère, le récit n’est pas là pour ça, mais pour présenter des idées fortes, les fatalités de la vie qui nous concerne forcément tout un chacun.

Le dessin de Takashi Murakami illustre l’atmosphère et la crédibilité du récit. Le trait se veut réaliste et ne joue pas sur les fantaisies graphiques, cela nous permet d’ailleurs de mieux appréhender les personnages en tant qu’humains. L’œuvre s’ancre aussi dans notre existence à travers les lieux et décors très détaillés qui dépeignent avec richesse le monde dans lequel nous évoluons. Enfin, difficile de ne pas évoquer la sensation de douceur permanente qui se dégage du trait. Même dans les moments les plus graves, l’auteur n’exagère pas les faciès des personnages, il est même plutôt rare que nous les voyons pleurer malgré les drames qui s’abattent sur eux. Cela n’empêche pas le style d’être très expressif, il insiste notamment sur les expressions de quiétude, les sourires des protagonistes. Le style de Takashi Murakami est alors à voir comme un aboutissement de son message, une volonté de paix intérieure qui doit nous accompagner à chaque moment de la vie.

Pour saluer la poésie du mangaka, Ki-oon nous offre une version Latitude d’excellente facture. Le format sert le sérieux de l’œuvre et permet de faire ressortir les richesses des planches de Murakami qui ont leur importance. La traduction est très convaincante, et le travail éditorial sur l’ouvrage en tant que livre est sans fausses notes aucunes : papier épais, impression de qualité, couverture profitant de vernis sélectif… L’Oiseau Bleu est un bonheur à tenir en mains.

Finalement, le nouveau récit de Murakami est une leçon de vie dont chacun tirera ses propres conclusions. A travers les parcours difficiles de plusieurs personnages sur le chemin de l’existence, l’auteur nous livre deux histoires poignantes, humaines et qui font réfléchir sur bien des questions que chacun aura connues ou rencontrera. Difficile en tout cas de ne rien ressentir à la lecture de L’Oiseau Bleu.


Critique 3


Takashi Murakami a fait une entrée remarquée en France, il y a quelques années, parmi les amateurs de mangas d’auteur. Son Chien Gardien d’Etoile était une œuvre incroyablement poignante, du synopsis dévoilé par l’éditeur (Sarbacane) avant la sortie de l’œuvre jusqu’à la dernière page de l’ouvrage. Murakami fait partie de ces auteurs qui disposent d’un véritable talent dans le registre dramatique, et c’est donc avec joie que l’on accueille une nouvelle œuvre de lui, L’oiseau bleu, chez Ki-oon dans la collection Latitudes.

Et une nouvelle fois, son talent fait mouche. Le manga évoque plusieurs thèmes sensibles et concrets, à savoir le deuil d’un enfant, l’accompagnement d’un conjoint lourdement handicapé et la maladie d’Alzheimer. Trois causes de ravages dans la vie de gens normaux, pour lesquelles Murakami dépeint des personnages justes et touchants.

À l’instar du Chien gardien d’étoiles, le pathos est présent en grande quantité, mais jamais à l’excès. Cette nuance est très importante et permet de montrer que Murakami sait utiliser ses scénarios à bon escient. Ainsi, dans la première phase de l’histoire, le moment «choc » apparaît tôt pour mieux laisser place au « vivre après » le drame, et c’est là toute l’intelligence de l’auteur. Comme il le dit dans la postface du manga, on a à la base fait appel à lui pour écrire une histoire sur la famille. Et la cohésion après un drame, la retranscription de la force des liens de famille sont finalement des éléments plus importants que n’importe quelle description détaillée d’un accident violent.

En parlant du thème de la famille, Murakami est habile grâce à la construction de son récit en deux parties. Les intrigues couvrent plusieurs facettes du thème de la famille : l’amour du conjoint, le souvenir lorsqu’on vieillit, l’amour d’un enfant, s’investir dans les soins… Murakami est exhaustif.
Enfin, Murakami a tenu à évoquer un autre thème, important lui aussi, à savoir l’égalité des traitements et la gestion des établissements hospitaliers. Il estime qu’au Japon, les patients incurables sont mal traités, envoyé d’hôpitaux en hôpitaux pour libérer des places, jusqu’à ce que plus aucun lieu ne souhaite les accueillir.

En passant en revue toutes les thématiques du manga, on s’aperçoit qu’il est très riche, ancré dans le réel, engagé. À cela, on ajoute la facilité de l’auteur à provoquer l’émotion, et on obtient une œuvre de grande qualité.

Avec Toyoda (Undercurrent) il y a quelques mois, Murakami aujourd’hui et Urushibara (Mushishi) bientôt, la collection Latitudes de Ki-oon a trouvé une de ses voies : continuer à publier les œuvres d’auteurs empreints de sensibilité dans leur processus créatif, alors que leurs précédents mangas ne sont pas des bestsellers, ou même sont des titres carrément confidentiels. On ne peut que les remercier de nous offrir ce genre de récit, pour une édition remarquable (pages couleurs somptueuses, excellente qualité d’impression, traduction impeccable, bonne prise en main de l’ouvrage, vernis sélectif sur la couverture) à un prix plus que correct (15€).


Critique 4


Yuki est une femme heureuse et aimée par son mari, Naoki. Rien ne semblait entacher son bonheur. Avec leur enfant, Shu, âgé de 5 ans, ils profitaient des moments simples en famille. Alors lorsqu’une belle journée pointe le bout de son nez, Yuki et son mari décident d’aller pique-niquer avec leur fils. Mais, le tragique destin s’abattra sur cette famille et à jamais la vie de Yuki sera brisée. Comment faire face à la perte de son enfant ? Comment réussir à faire face à la vie qui continue alors que tous les repères ont été détruits ?

Takashi Murakami nous offre dans ce titre un regard sur la vie qui peut se montrer cruelle et dure. Il n’y a pas de logique sur ce qui peut nous arriver. Pourquoi le malheur s’abat sur une famille et pas l’autre ? A travers Yuki, l’auteur décrit le désespoir d’une femme qui doit faire face à la mort de son enfant et également doit être auprès de son mari qui est dans un état très critique. Niant d’abord les faits, se construisant un monde imaginaire pour réussir en fin de compte à tenir face à cette insurmontable épreuve, Yuki est une femme abîmée et détruite.

Puis, nous voyons en elle, une lueur de vie et une force : celle de réussir à vouloir survivre. S’accrochant à son mari, elle fera tout pour être auprès de lui et tenter de le relever. Mais parallèlement à cela, Takashi Murakami dénonce un système de santé au Japon qui délaisse les personnes ayant besoin de soins en continues et qui sont dans un état quasi végétatif. Voir le mari de Yuki être trimballé d’hôpital en hôpital est bien malheureux. Et certaines familles sont obligées à force de garder leur membre de famille malade à la maison alors qu’ils ont besoin de soin quotidien donné par un personnel médical. Face à un système qui les délaisse, ils sont obligés de prendre le relais des soins médicaux.

Une autre histoire se greffe à cette famille endeuillée. Celle des parents de Naoki qui vont devoir à la fois faire face au drame qui touche à leur famille, mais également à la maladie régénératrice qu’est Alzheimer avec le père de Naoki. C’est une vie que l’on voit se dégénérer petit à petit avec une telle impuissance que ce soit pour l’entourage que pour la personne qui le vit. Un récit triste et éprouvant.

L’oiseau bleu est un titre qui nous interpelle par les moments tragiques ou bien inévitables de la vie. La vie peut se montrer belle, peut nous remplir de bonheur, peut nous laisser vivre des années magnifiques, mais également peut se montrer cruelle. La maladie, les décès et la vieillesse feront partie un moment donné ou un autre partie de notre quotidien et Takashi Murakami réussit à nous toucher avec son œuvre.


Critique 4 : L'avis du chroniqueur
Einah

18 20
Critique 3 : L'avis du chroniqueur
Raimaru

17 20
Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

19 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs