Innocent Vol.3 - Actualité manga
Innocent Vol.3 - Manga

Innocent Vol.3 : Critiques

Innocent

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 25 Avril 2016

Il y a débats et ébats dans les appartements de la fratrie Sanson ; autour de la table à diner, le soir venu, et à la lueur de la bougie, le ton monte. Hier, Charles-Henri Sanson portait soin à un jeune enfant miséreux et abandonné à la mort à raison d’une maladie à la prise en charge que trop tardive. Le père du malheureux, habité par le désespoir, commettra le larcin avant de poignarder le Roi de France aux portes du Palais de Versailles. Aujourd’hui, la Chambre de la Tournelle a rendue sa décision : ledit Sieur Robert-François Damiens, pour avoir commis le régicide, sera condamné à une sentence non exécutée depuis près de cent-cinquante années : l’écartèlement suivi d’un bûcher à l’attention des reliquats de dépouille. Charles-Henri, en les faits, nouvel exécuteur des hautes œuvres de Paris, s’il n’a que dix-huit ans et que bien des personnes ont d’ores-et-déjà quitté le monde de par ses mains, ne se sent pas véritablement le cœur à l’ouvrage : sa vertu est une nouvelle fois mise à l’épreuve, le châtiment apparaît telle l’odieuse barbarie qui s’étend bien au-delà de tout ce qu’il pu infliger jusqu’alors : impossible, incommensurable. S’amorce alors un énième jeu de pouvoir au sein du lignage Sanson sur fond d’un événement historique aussi indigne que grandiloquent.

Si, dans un premier temps, le fébrile Charles-Henri trouvera l’aide, aux élans opportuns, de son oncle, le charitable Gabriel Sanson, bourreau de Reims, ce dernier apparaîtra par la suite singulièrement intentionné, pour ne point dire intéressé : s’il pu accepter de prendre la sentence sous sa responsabilité ce ne sera en réalité qu’afin de devenir, à terme, l’exécuteur des hautes œuvres de Paris en lieu et place de son neveu. De son côté, Jean-Baptiste, le père de Charles-Henri, n’est plus en possession de ses moyens, il flanchera et sera adressé, aux fins de repos, dans une propriété de campagne appartenant à la famille. Ainsi, sur ce terreau brièvement rapporté, l’auteur s’attelle à détailler l’hégémonie d’Anne-Marthe, la grand-mère qui, depuis toujours, a pu occuper le rôle névralgique dans la construction de cette lignée de bourreaux à travers le royaume. Elle ruse, calcule, fomente, anticipe et accable ses enfants et petits-enfants dans le cadre d’une seule perspective : un patriarcat omnipotent dans la réalisation de la tâche assignée par le Roi. A cet effet, les planches, toujours aussi sublimes, seront le lieu de figures de styles diverses : tantôt renvoyant à la dépendance maternelle biaisée qui alète et, parfois, à la mère néfaste illustrée telle une araignée à la toile fratricide. En dépit des volontés de chacun, elle souhaite que Charles-Henri reprenne le flambeau ; lui seul, aucun autre : elle fera tout pour cela, quoiqu’en dise l’oncle.

L’auteur place Charles-Henri face à ses responsabilités. D’abord, contre lui-même, son âme égarée, servi par une mise en scène évocatrice, à l’instar de cette saisissante double page imageant le jeune-homme s’engouffrant à cheval dans une forêt de pénombre aux allures d’un néant sans concession. Charles-Henri est désormais au fonds du gouffre, il ne pourra chuter davantage : à lui de se relever et d’assumer pleinement l’Office. Jusqu’à la toute fin de l’ouvrage, Shin’Ichi Sakamoto manie habilement le suspense quant à la manière avec laquelle Charles-Henri saura faire fi des objectifs de son oncle et des manipulations de sa grand-mère afin de s’imposer comme le seul et unique « Monsieur de Paris ». Le jour tant attendu venant, et les préparatifs fin prêts, bien des aléas s’esquisseront néanmoins lors des différentes étapes de l’exécution de la sentence : Charles-Henri devra surmonter les évènements et se montrer à la hauteur. Dans un fondu-graphique assez délicieux l’auteur mettra en exergue les sentiments d’un autre temps dudit Charles-Henri, lui, dont les aspirations éthiques ne sont que trop en décalage à l’aune des archaïsmes de son époque : une planche où il est dansé sur l’échafaud d’un Paris du vingtième siècle, dans lequel les feux d’artifices remplacent les bûchers : contraste de ces êtres en avance sur leur temps.

Encore une fois l’auteur procède à une assez fine synthèse entre les faits historiques, la famille Sanson et les personnages de l’époque.  Si le fait historique dominant est en l’espèce celui de l’écartèlement du régicide, on ne peut que d’ores-et-déjà constater une subreptice fragilité de la monarchie royale. Au titre des personnages d’alors, l’on appréciera la présence de Soubise, réellement présent lors de l’exécution de la sentence, puisque embauché à cette œuvre par Charles-Henri et son oncle, lesquels ne se sentaient pas véritablement confiants quant à la réalisation de tout cela. D’ailleurs, nombre d’éléments historiques seront distillés par l’auteur, comme, savoir : l’état d’ivresse de Soubise, les difficultés à se produire les matériaux du bûcher ou, encore, l’anecdote de Casanova faisant des siennes depuis la fenêtre de sa dernière location : croustillant. Le personnage de Robert-François Damiens fut un objet d’étude plutôt privilégié de nombre d’historiens ; tant sa vie que les évènements entourant sa mort sont sujets à de nombreuses interrogations, débats et interprétations ; cependant, l’auteur a su prendre une distance intelligente quant à tout cela, allant même jusqu’à s’accorder certaines libertés qui, si elles demeurent raffinées, ne manque point également de donner du souffle à ce roman hors-norme que peu constituer le lignage Sanson.

Ainsi, l’on aura été hautement interpellé par la prestation méticuleuse d’un auteur quant à l’élaboration de cette fresque qui, manifestement, au fil des ouvrages, ne faiblit jamais à la tâche de surprendre : un seinen historique et romanesque parfois transcendant, souvent contemplatif et régulièrement sophistiqué : une épopée qui, à ce stade et au sens propre du terme, subjugue.

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Alphonse
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs